"Il avait deux personnalités": les parents du terroriste de Nice se posent toujours la question du "pourquoi"

"Il avait deux personnalités": les parents du terroriste de Nice se posent toujours la question du "pourquoi"

"Je ne sais pas s’il a pris des drogues, je ne sais pas s’il a été poussé par quelque chose, je ne sais pas pourquoi jusqu’à maintenant. Pour moi, il est devenu fou." Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel est le premier membre de la famille du terroriste à se présenter devant la cour d'assises spéciale qui juge l'attentat du 14-Juillet. Le père de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, venu de Tunisie, doit aider la justice à comprendre la personnalité de son fils au 14 juillet 2016 et ce qui l'a conduit à commettre son acte.

D'emblée, le père de famille de 63 ans se souvient de celui qu'il appelle "Salman" - son deuxième prénom - comme quelqu'un de "peu obéissant", "brutal", incapable de gérer la frustration et pouvant avoir des accès de violences. "Quand il ne trouve pas une solution à un problème, il s’énerve, il s’emballe vite, détaille l'homme le visage marqué par son métier d'agriculteur. Quand il rencontre un obstacle, il s’emballe, il devient rouge et après il se calme."

"Sinon il frappait"

À 16-17 ans, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, deuxième d'une fratrie de 11, est installé dans un studio, à l'écart de la maison familiale à M'Saken, dans le sud de la Tunisie. "Il avait des comportements durs avec ses frères, on lui a dit 'tu vas vivre tout seul, comme ça c’est mieux", commente son père.

"Il n’était pas capable d’habiter là où il y avait des enfants, ils lui déchiraient ses papiers, ses livres, acquiesce Rabab, la sœur du terroriste venue témoigner dans l'après-midi. Le jeune homme d'alors est frappé par son père quand "il commet de graves erreurs", il frappe lui aussi ses frères et sœurs. Plus tard, son épouse en France se plaindra aussi de violences conjugales.

"Il aimait dire une seule fois ce qu’il ne faut pas faire, sinon il frappait", a témoigné sa cadette de trois ans.

Instable, son ex-femme a raconté que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a tenté de se suicider à deux reprises. À 19 ans, son père l'emmène chez un psychiatre à Sousse, la grande ville. Une réaction peu courante dans la Tunisie rurale du milieu des années 90. Cette visite médicale va d'ailleurs concentrer la grande majorité des questions des différentes parties du procès.

"Le jour où j’ai décidé de l’emmener à ce monsieur-là, j’ai trouvé une porte défoncée, une fenêtre cassée, explique Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel. Je lui ai dit 'Salman pourquoi tu as fait ça?'" Il avait alors bloqué la porte avec une chaise et des chaînes en fer.

"Pas un type qui obéit bien"

Le psychiatre lui prescrit trois médicaments, un anxiolytique, un antidépresseur et un calmant. Il lui demande également de revenir pour un autre rendez-vous. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ne reverra jamais son médecin. Cette question va occuper une grande partie des débats. Pourquoi sa famille ne l'a-t-elle pas poussée à retourner voir le psychiatre? Cette famille qui avait constaté des comportements "étranges" de la part du jeune homme, comme "marcher au soleil sous 46 degrés" ou "sous la pluie quand tout le monde se protégeait".

"Il n'a pas voulu y retourner, explique Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel. Comme je vous l’ai dit c’est pas un type qui obéit bien, il m’a dit 'il m’a donné des pilules et des médicaments qui m’endorment'. Quand il va à l’université il ne peut pas suivre ses cours."

Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est le premier garçon de la fratrie. "On attend beaucoup du fils aîné, on voulait qu’il devienne un homme", explique la mère du terroriste, aidé d'un traducteur lors de son témoignage. Les relations avec son père se sont tendues après l'obtention de son baccalauréat. "Il a voulu s’orienter vers le milieu sportif, comme coach sportif, a raconté Rabab, la sœur, très volubile, mêlant le français et l'arabe. Papa a refusé, il voulait qu’il soit ingénieur. Il a changé de comportement après l’histoire de sa réorientation."

"Il n'a jamais été pratiquant"

"Isolé", le terroriste "parlait peu" à sa famille quand il vivait avec elle, mais surtout depuis son départ pour la France après son mariage en 2007, à l'âge de 22 ans. Le père de désormais trois enfants entretenait très peu de contact avec ses proches. La dernière fois que ses parents l'ont vu, c'était en 2012 quand il est venu une fois en Tunisie. Ces derniers affirment ne rien savoir de sa radicalisation. "Lui, il n’a jamais été pratiquant, il n’a jamais fait la prière mon fils, il n’a jamais donné d’importance à la religion", dit le père, incarcéré pour ses "idées islamiques" sous le régime de Ben Ali.

"Il était doué pour une seule chose, la musculation, c’est tout, moi je dis la vérité", poursuit-il, se rappelant que son fils prenait des produits pour prendre de la masse, consommait de l'alcool et sortait beaucoup.

Sa sœur, non plus, dit n'avoir rien su du tournant pratiquant de son frère. Pourtant ce dernier, lui a envoyé le 6 juillet 2016, 8 jours avant les attentats, une photo de lui dans une mosquée pour fêter la fin de l'Aïd. "C'est comme si je découvrais cette photo aujourd'hui", lance, incrédule, la jeune femme de 35 ans. À l'époque, elle avait commenté: "Ne deviens pas daeshi". "Une blague" explique-t-elle désormais, assurant qu'il s'agit d'"un mot d'époque" pour qualifier les personnes qui se laissent pousser la barbe ou qui s'habillent de manière traditionnelle.

"Il avait deux personnalités"

Sa mère dit toujours avoir des "doutes" concernant la culpabilité de son fils. "Je n’étais jamais venue en France avant aujourd’hui donc je ne sais pas comment il menait sa vie ici, plaide cette femme de 58 ans, expliquant n'avoir pas pu obtenir de visa pour se rendre à Nice. Je pense qu’on aurait pu le calmer, c’est vrai."

Le père du terroriste cherche lui aussi une explication. Sans réponse à apporter, il condamne l'attentat perpétré par son fils sur la promenade des Anglais le soir du 14 juillet 2016, tuant 86 personnes: "On présente nos condoléances aux familles, à tout le peuple français, nous demandons pardon, pardon, dit-il. Faut pas croire qu’on est heureux de ça, c’est un bilan de guerre, je le condamne. S’il a fait ça, il mérite d’être abattu."

"J’avais l’impression qu’il avait deux personnalités, résume sa sœur. Je me pose toujours cette question: pourquoi n’a-t-il pas pu penser au moins à ces enfants? Pourquoi tuer? Il était malade mental. J'aurais accepté qu’il se suicide s’il était malade mental, mais comment a-t-il pu tuer tous ces gens?"

Article original publié sur BFMTV.com