Derrière ces tutos TikTok se cache une esthétique inspirée du porno

On ne compte plus les vidéos de recettes, les tutos ou les DIY qui reprennent, sans le dire, les codes esthétiques du porno sur les réseaux sociaux.
On ne compte plus les vidéos de recettes, les tutos ou les DIY qui reprennent, sans le dire, les codes esthétiques du porno sur les réseaux sociaux.

RESEAUX SOCIAUX - Connaissez-vous les chaînes @foodsbible, @5.minute.crafts ou encore @chefclub ? Si vous surfez sur TikTok ou sur Instagram, vous avez déjà sûrement croisé leurs vidéos de cuisine en ASMR ou leurs astuces DIY et vous les avez peut-être parfois trouvées… étranges. Gros plans sur des pieds, bruits suggestifs, utilisation de divers aliments phalliques dans des recettes improbables… Ces chaînes reprennent en fait une partie des codes du fétichisme et de la pornographie pour jouer sur les désirs et ainsi générer des vues.

Prenons cette vidéo de 5-Minute Crafts - leur profil TikTok compte 11,8 millions d’abonnés, leur chaîne YouTube presque 80 millions - qui présente plusieurs astuces cuisine : beurrer son épi de maïs en le frottant dans une tranche de pain de mie, insérer un knacki dans un cornichon pour en faire un snack, retirer la peau d’une langue de bœuf (trypophobes s’abstenir)… Le tout avec des gros plans sur les aliments et une gestuelle suggestive.

Une autre vidéo de ce compte présente plusieurs objets d’hygiène et s’ouvre sur un plan de pieds mouillés et savonneux. Un appel du pied (littéralement) à l’un des fétiches les plus populaires sur Internet.

En bien moins subtil, on peut également mentionner la tendance #wetandmessy, hashtag qui comptabilise quatre millions de vues sur TikTok, où des personnes se recouvrent de nourriture, de peinture, ou de toute autre matière dégoulinante.

Et si vous êtes plutôt porté sur l’hygiène, le réseau chinois a aussi de quoi satisfaire vos fantasmes à travers des comptes où des hommes torse nu font le ménage avec un enthousiasme surprenant, dans des vidéos accompagnées de légendes du genre « les vrais hommes font la vaisselle ».

« Ces vidéos ont quelque chose de sexuel et d’érotique. Elles viennent éveiller des sensations dans notre corps. Ça peut être du plaisir, de la frustration, un goût de ’reviens-y’... Elles peuvent aussi nous choquer », analyse Camille Bataillon, sexologue clinicienne et hôte du podcast Camille parle sexe, que nous avons contactée par téléphone. « Mais dès que ça nous choque, que ça crée des sensations agréables, ça nous plaît et on a envie de rester. »

Jouer sur le visuel et le sonore

Il est plus facile d’identifier ce type de contenu une fois qu’on en a compris les codes. Notamment les vidéos qui mettent en scène de la nourriture. Selon Laurence Allard, chercheuse à la Sorbonne Nouvelle dans le domaine des usages numériques, ces contenus « rendent compte de la pornification de la nourriture et de l’objectification des aliments ». Pour elle, il y a « une mise en scène parallèle entre l’objectification des aliments et celle de la femme ».

Parmi les codes qui ont été empruntés au porno, l’universitaire cite : « On évoque le désir avec des plans et des cadrages serrés, on met en scène de la nourriture, au travers du coulant, de l’étirement du fromage, du filandreux… On cadre une pizza comme on cadre un sexe. » Et concernant les différents fétichismes représentés, « il peut y avoir le mouillé, le luisant, la goutte d’eau… », liste-t-elle.

Ce raisonnement n’est pas uniquement valable pour la nourriture, mais pour tout type d’objets représentés dans ces vidéos. « Leur forme va faire penser aux zones érogènes, il y aura des choses juteuses qui vont faire penser à des vulves. Et il y aura aussi des métaphores qui vont rappeler ce qui se passe dans un rapport sexuel », complète Camille Bataillon. Comme cette vidéo du compte Chef club - suivi par 3,8 millions de personnes sur TikTok, 23 millions sur Facebook -, qui présente en gros plan une dinde que l’on fourre avec un énorme bloc de cheddar.

@chefclub

Dinde dingue de Noël 🦃🦃

♬ original sound - Chefclub

Certaines vidéos reprennent aussi les codes sonores de la pornographie. « On peut retrouver des paroles d’encouragement, de l’ASMR, de la musique érotique… », liste la sexologue. Avec, en prime, des gros plans sur la bouche qui ingère, accompagnés d’une exagération du bruit du croquant, de la mastication ou de l’aspiration. La chaîne @foodsbible, suivie par plus de 6 millions de followers sur Instagram, s’est fait une spécialité de ce type de vidéo.

Aucune modération

Si la mise en scène peut susciter de la gêne ou du désir, le mode de partage de ces vidéos est aussi l’une des raisons de leurs succès. « Sur TikTok, on est bloqué car la vidéo tourne une boucle. Sur Instagram, les vidéos s’enchaînent et se ressemblent. On est pris dans la bulle, créée par l’algorithme, de toutes les vidéos liées au foodporn », nous explique Laure Allard.

« 5-Minute Crafts est une société qui fait seulement du ’putaclic’. Mais le foodporn peut être créé par tous les utilisateurs des applis, les restaurateurs, les influenceurs… Ça peut être fait dans une logique d’influence ou de partage, comme le selfie. Mais aussi dans une logique de marketing. Ces vidéos sont faites par des personnes qui cherchent à vendre, comme des marques ou des commerces, et qui utilisent les réseaux sociaux pour faire leur promotion », résume la chercheuse.

D’autant plus que les influenceurs « ont bien compris ce qui marchait pour faire du buzz, selon Camille Bataillon. Ils savent que le sexe fait vendre. » Problème : « Ils reprennent les codes pour obtenir des résultats mais sans forcément penser aux conséquences sur les utilisateurs. »

Car le visionnage répété de ce type de contenu comporte des risques. « Le danger est de regarder ces vidéos sans avoir du recul, sans savoir que ça fait vendre et que c’est calculé derrière. Les internautes absorbent ce contenu presque porno… et risquent d’être insensibilisés quand ils en regarderont pour de vrai », alerte Camille Bataillon avant d’ajouter : « L’audience est quand même composée d’un jeune public. Et il n’y a pas du tout de modération. »

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