Dangereux, prescrits sans consentement? Attention à ces allégations sur les traitements de transition de genre des enfants et adolescents

Même si le phénomène reste très marginal en valeur absolue, les enfants et adolescents exprimant le souhait d'une transition de genre sont de plus en plus nombreux. Une hausse spectaculaire dans certains pays qui soulève des polémiques en France, mais aussi au Royaume-Uni notamment. Certains affirment que les parents d'enfants souffrant de dysphorie de genre sont forcés par des médecins d'accepter des thérapies de transition et que ces traitements sont très dangereux pour la santé. Mais attention à ces affirmations, souvent exagérées voire fausses. D'abord, en France, l'accord des parents est obligatoire pour tout traitement de ce type. De plus, concernant la prescription de bloqueurs de puberté à des mineurs en transition de genre, que le Sénat souhaite restreindre,  il n'y a pas assez d'études de qualité pour valider leur sécurité, mais pas non plus de signaux d'alarme malgré des prescriptions depuis plus de 30 ans dans cette indication.

Un débat impossible, des positions irréconciliables? La transition de genre, particulièrement chez les mineurs, est au coeur de plusieurs polémiques, dont la dernière a été provoquée par la sortie du livre du livre "Transmania", de Marguerite Stern et Dora Moutot (archive).

A Paris, la mairie a fait enlever les affiches de promotion du livre, qui se présente comme une "enquête sur les dérives de l'identité transgenre". Les deux autrices ont déjà été visées par plusieurs plaintes pour leurs critiques répétées des transitions de genre.

Sur les réseaux sociaux, notamment X, des interviews des deux blogueuses sont reprises massivement depuis la mi-avril, notamment une présentation du livre chez Sud Radio, le 15 avril par Marguerite Stern elle-même, mais aussi par d'autres internautes, comme ce compte "parents mobilisés" qui relaie un extrait de l'interview le 16 avril.

Aux Etats-Unis, la polarisation des prises de positions sur le sujet de la transidentité a également atteint un niveau extrême: tandis que dans 22 Etats (archive), les médecins prescrivant des traitements hormonaux à des mineurs en transition de genre peuvent être poursuivis et emprisonnés, des cliniques d'autres Etats les prescrivent après 15 minutes d'entretien, dès la première visite, selon cette grande enquête de Reuters sur le sujet (archive).

Au Royaume-Uni aussi, le sujet est récemment devenu extrêmement polémique, au point que l'auteure d'un rapport officiel sur le sujet - dont nous reparlerons en détail plus loin - la pédiatre Hilary Cass (archive), a décrit le débat autour du sujet comme "exceptionnellement toxique". Elle a regretté que "beaucoup de professionnels de santé aient peur de donner publiquement leur opinion, estimant que ce harcèlement 'doit cesser'".

<span>Lors d'une manifestation pour les droits des personnes trans à Londres le 21 janvier 2023</span><div><span>JUSTIN TALLIS</span><span>AFP</span></div>
Lors d'une manifestation pour les droits des personnes trans à Londres le 21 janvier 2023
JUSTIN TALLISAFP

En France, un des seuls rapports officiels publiés sur la question, par l'Igas (inspection générale des affaires sociales) en 2022 écrit d'ailleurs que "l’accès des mineurs à un parcours de transition constitue l’une des questions les plus sensibles et les plus polémiques, au-delà d’ailleurs des seules frontières nationales" (archive). Ce rapport a été commandé par le ministère de la santé, à un médecin généraliste et de santé publique, le Dr Hervé Picard et au militant trans (codirecteur de l'association ACCEPTESS-T) Simon Jutant.

La Haute autorité de santé (HAS), qui devait publier des recommandations sur les parcours de soins des personnes transgenres en 2023, a dû reporter cette échéance à la fin 2024, du fait d'un litige l'opposant à une association conservatrice, Juristes pour l'enfance, qui lui demande de publier les noms des experts ayant travaillé pour ce rapport. Contactée par l'AFP, la HAS a expliqué ne pas avoir "entamé de travaux sur le parcours de transition des mineurs transgenres" et donc ne pas pouvoir répondre à nos questions.

C'est donc peu dire que le sujet est "inflammable", comme l'ont soulevé auprès de l'AFP de nombreux médecins, refusant de ce fait de s'exprimer dans cet article. L'AP-HP (Hôpitaux de Paris), qui dispose de consultations spécialisées pour les mineurs transgenres, a également refusé de répondre à l'AFP, "en l'attente des conclusions de la HAS".

D'autres autorités sanitaires ont aussi botté en touche, notamment la Société pédiatrique canadienne qui a indiqué le 19 avril ne pas "faire de commentaire ou organiser d'interview sur ce sujet".

Malgré ces difficultés à contacter des spécialistes et à rassembler des informations objectives sur ce sujet, l'AFP Factuel a pu revenir sur plusieurs affirmations trompeuses des auteures de Transmania, reprises massivement sur les réseaux sociaux.

En France, l'accord des parents indispensable

Tout d'abord, Marguerite Stern exagère quand elle met en garde, dans une publication sur X le 15 avril: "Voilà ce que des 'médecins' font subir à des ENFANTS dans les hôpitaux français", suivie de son interview sur Sud Radio, où elle évoque à la fois les thérapies hormonales et les chirurgies dites "d'affirmation de genre".

En France, il est formellement interdit aux médecins de prescrire ces traitements à des mineurs sans l'accord des parents. Dans sa dernière note de cadrage sur le sujet (archive), datée de 2022, la Haute autorité de santé (HAS) écrit: "Le consentement de l’adolescent et de ses deux parents est requis tant que l'adolescent est mineur".

Dans une interview à Mediapart du 3 mai (archive), l'endocrinologue Laetitia Martinerie, rassure: "le jour où on prescrit un traitement hormonal, on s’assure que tout est bien compris, on recueille le consentement des jeunes, par un écrit rédigé et signé, que les représentant·es de l’autorité parentale rédigent et signent également".

Quant aux opérations, c'est encore plus strict: la HAS rappelle que "la chirurgie pelvienne de réassignation n’est pas pratiquée avant 18 ans, compte tenu de son caractère irréversible et de son impact sur la fertilité".

Avant la majorité, seules des interventions mammaires peuvent être pratiquées, mais seulement avec l'accord des deux parents, contrairement à ce qu'affirme Marguerite Stern sur Sur Radio, citant le témoignage d'une mère qui "doit se battre pour que les médecins ne coupent pas les seins de sa fille".

La mastectomie à laquelle il est fait référence consiste "retirer la glande mammaire et l'excès cutané ainsi qu'à réduire et repositionner l'aréole et le mamelon", selon l'Institut du sein à Paris, qui pratique ce type de chirurgie de réassignation sexuelle (archive).

Si la proposition de loi des sénateurs est finalement adoptée à la fin de son parcours parlementaire, toute chirurgie de réassignation sera interdite avant la majorité.

Un parcours du combattant et une prise en charge très minoritaire

En France, loin d'être aussi systématique et facile que le laissent entendre certaines publications trompeuses, la transition de genre s'apparente encore à un parcours du combattant, notamment dans son volet médical.

Dans son rapport de 2022, l'Igas notait: "face à un nombre croissant depuis 10 ans de mineurs en interrogation de genre et en demande de transition, les réponses apparaissent insuffisantes et géographiquement mal réparties".

Selon la même source, pour beaucoup de mineurs et leurs parents, trouver un psychologue, un psychiatre ou un endocrinologue "accessible, bienveillant et formé relève de l’impossible dans certaines régions, d’où de l’errance, de l’urgence et des suivis qui se font parfois dans des services distants de plusieurs centaines de kilomètres du lieu de vie des jeunes".

<span>Une jeune trans patiente avant une consultation psychologique dans une unité spécialisée</span><div><span>ALFREDO ESTRELLA</span><span>AFP</span></div>
Une jeune trans patiente avant une consultation psychologique dans une unité spécialisée
ALFREDO ESTRELLAAFP

En  l'absence de prise en charge, effectivement, selon les auteurs du rapport Igas, les enfants ou adolescents en proie à la dysphorie de genre - une souffrance liée à une inadéquation entre l’identité de genre de la personne et le sexe assigné à la naissance - sont exposés à de grandes souffrances. "Une partie des jeunes trans souffre de facteurs de vulnérabilités importants (déscolarisation, harcèlement, troubles anxieux, troubles du spectre autistique, tentatives de suicide…)", souligne l'Igas.

Marguerite Stern affirme qu'"aujourd'hui les parents n'entendent qu'un seul discours, celui des médecins transaffirmatifs qui sont capables dans certains hôpitaux de dire aux parents 'en fait c'est la seule solution sinon votre enfant va se suicider'".  Pour les personnes opposées aux démarches de transition, le risque de suicide des enfants trans en absence de traitement est exagéré.

Une grande étude de 2015 portant sur près de 28.000 personnes adultes transgenres et publiée par une association militante américaine, le Centre national pour l'égalité transgenre, a conclu que 40% des sondés disaient avoir tenté de se suicider à un moment de leur vie, un taux dix fois plus important que celui de la population générale (archive). Dans un autre sondage anonyme de 2021, le Trevor Project, 52% des répondants transgenre ou non-binaires de 13 à 24 ans disaient avoir sérieusement envisagé de se tuer.

Mais ces sondages en ligne souffrent de plusieurs biais, et notamment parce que les personnes qui choisissent de répondre ne sont pas rigoureusement choisies dans un panel représentatif comme dans des études scientifiques. Même les auteurs du sondage de 2015 mettent en garde de ne pas "généraliser" ces résultats à l'ensemble des personnes transgenres. Interrogé par Reuters en octobre 2022 (archive), un auteur du Trevor Project a assuré qu'il ne souhaitait pas que les données de son organisation mettent une pression sur les décisions de traitement: "nous ne dirons jamais que les traitements d'affirmation de genre sont le seul moyen de prévenir le risque de suicide", martèle-t-il.

Mais au-delà de la question du suicide, les professionnels de santé mettent en avant la vulnérabilité psychique globale des jeunes désirant entamer une transition de genre. L'Igas insiste ainsi sur la nécessité de "d'abord d'accueillir sans à priori les questionnements d’identité de genre de ces mineurs, tout en les resituant dans une approche globale de leurs problématiques adolescentes et de permettre à ces jeunes de s’orienter, ou non, vers un parcours de transition".

Une part importante des jeunes en parcours de transition souffrent de problèmes psychiques: à titre d'exemple, dans le service spécialisé de la Pitié Salpêtrière, à Paris, environ la moitié des mineurs suivis relèvent de situations complexes (hospitalisations passées, tentatives de suicide, schizophrénie …).

Toujours dans le même article de Reuters, la Dre Annelou De Vries (archive), à la tête du département Psychiatrie pédiatrique du centre d'expertise sur la dysphorie de genre chez l'enfant de l'Université de médecine d'Amsterdam, explique qu'il n'y a pas de preuve "que les traitements mènent immédiatement à un déclin des automutilations ou aident à prévenir le suicide".

<span>Une manifestation en faveur des traitements pour les enfants transgenre à Boston le 18 septembre 2022</span><div><span>JOSEPH PREZIOSO</span><span>AFP</span></div>
Une manifestation en faveur des traitements pour les enfants transgenre à Boston le 18 septembre 2022
JOSEPH PREZIOSOAFP

Interrogée par l'AFP Factuel, cette spécialiste co-auteure du guide de référence internationale sur la question, appelé le "protocole néerlandais", estime tout de même que "pour les personnes éligibles aux bloqueurs de puberté [nous reviendrons plus loin sur les critères, NDLR], ils leur permettent d'explorer leur identité de genre sans les changements physiques de la puberté qu'ils pourraient mal vivre". La chercheuse assure que ces traitements "peuvent empêcher une détérioration du fonctionnement psychologique et donner du temps et de la sérénité avant la prise de toute décision sur une intervention médicale avec des effets plus irréversibles".

Dans une interview au site canadien La Presse, le Dr Daniel Metzger, endocrinologue pédiatrique à l’Hôpital pour enfants de Colombie-Britannique, estimait que les bloqueurs pouvaient être particulièrement utiles aux adolescents ayant déjà fait une "une transition sociale", c'est-à-dire en s'habillant, en se prénommant, et en se présentant dans un genre différent de celui assigné à la naissance: "mais tout d’un coup, elle commence à avoir des seins ou un pénis qui commence à grossir. C’est là que la frustration arrive et que nous évaluons la possibilité d’utiliser des inhibiteurs" (archive).

Les spécialistes mettent aussi en avant que les bloqueurs permettent une transition plus "douce", et une moindre intervention chirurgicale une fois adulte.

Quant au risque de "regret" brandi par les auteures de Transmania, et d'autres internautes qui citent des témoignages de jeunes ayant détransitionné, il reste très infime, assurent les spécialistes. Selon différentes études sur le sujet (archive), seuls de 1 à 6 % des personnes ayant reçu un traitement hormonal pour une transition avant leur majorité ont "détransitionné", avec une proportion plus importante d’individus sous bloqueurs seuls (donc avec un traitement réversible), qu’après introduction des hormones d’affirmation du genre (moins de 1 %).

Un traitement hors AMM et très peu prescrit

Les "bloqueurs de puberté" au centre de la polémique sont en fait des agonistes du récepteur de la GnRH (Gonadotrophin Releasing Hormone), comme la triptoréline : ce sont des hormones de synthèse qui, en imitant les hormones de la puberté, empêchent la stimulation des gonades (ovaires, testicules) et la sécrétion des stéroïdes sexuels (estradiol , testostérone).

Certaines de ces molécules sont indiquées contre des cancers de la prostate, contre l'endométriose, mais aussi chez les enfants atteints de puberté précoce.

Elles n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour traiter les enfants en dysphorie de genre.

<span>Une élève prend une serviette hygiénique dans un distributeur installé dans un collège à Paris en janvier 2021 </span><div><span>Sarah BRETHES</span><span>AFP</span></div>
Une élève prend une serviette hygiénique dans un distributeur installé dans un collège à Paris en janvier 2021
Sarah BRETHESAFP

Pourtant, contrairement à ce que peuvent laisser penser les propos de Marguerite Stern, la prescription hors AMM n'est pas rare ni illégale, et elle représente même 20% des prescriptions selon cet article de l'Ordre des médecins (archive). En pédiatrie à l'hôpital, cette proportion atteint 80% des prescriptions.

Du fait de l'absence d'AMM, l'Assurance maladie n'a pas été en mesure de fournir à l'AFP de chiffres sur la prescription des bloqueurs de puberté aux enfants souffrant de dysphorie de genre. Mais selon le rapport Igas, "le recours aux bloqueurs de puberté au tout démarrage de cette dernière semble concerner un petit nombre de mineurs".

Une autre source, la Défenseure des droits,  a indiqué dans un avis sur la proposition de loi sénatoriale (archive) que seuls 11% des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté, après un délai moyen de 10 mois entre la première consultation et la mise en place du traitement.

Contacté par l'AFP le 30 mai, le pédopsychiatre Jean Chambry, chef de pôle du Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent (Ciapa) à l'Hôpital Sainte-Anne à Paris (archive), relève ainsi que pour l'Ile-de-France, seules 40 jeunes se sont vus prescrire des bloqueurs de puberté pour dysphorie de genre ces dernières années.

Quant aux hormones d'affirmation de genre, il décompte "500 dossiers examinés en dix ans" pour toute la région. Au niveau européen, une étude de l’Agence Européenne des Droits Fondamentaux permet d’estimer à 1,9 % le taux de jeunes trans ou non-binaires de 15-17 ans ayant déjà reçu des soins affirmateurs de genre.

Un traitement réversible dès qu'on l'arrête, mais qui ne fait pas consensus chez les médecins

Les bloqueurs de puberté sont prescrits au stade Tanner 2 de puberté, qui survient en général entre 8 ans (pour les filles les plus précoces) et 12 ans. Chez les garçons le volume des testicules et du scrotum augmente et chez les filles il correspond à l'apparition du bourgeon mammaire (petite boule sous le mamelon), et à un soulèvement léger du sein et du mamelon.

Comment fonctionnent les bloqueurs de puberté? Ces traitements visent à suspendre le développement des caractères sexuels secondaires (poitrine, voie, pilosité) relevant du genre auquel l'enfant ne s’identifie pas. Quand l'adolescent arrête le traitement, l'évolution pubertaire reprend son évolution naturelle.

Cependant, leur profil de sécurité est loin de faire consensus dans la communauté scientifique.

Contactée par l'AFP le 19 avril, la société canadienne de pédiatrie estime que "selon les données probantes actuelles, les inhibiteurs d’hormones (qu’on appelle aussi inhibiteurs de puberté ou bloqueurs hormonaux) sont sécuritaires lorsqu’ils sont utilisés correctement".

C'est aussi l'avis de la Dre Annelou de Vries, qui assure à l'AFP que "les études sur les effets sur la densité osseuse, le risque de fracture, le niveau éducatif, l'arrêt des traitements et les regrets, ne montrent jusqu'à présent aucun motif d'inquiétude, même si des recherches supplémentaires restent nécessaires".

Mais de plus en plus, des appels à la prudence s'élèvent: ces traitements ne sont pas anodins. Dans un communiqué de 2022, l'Académie de médecine mettait en garde sur  ces prescriptions, estimant que "la plus grande prudence s'impose".

Signe préoccupant pour les médecins français: certains pays précurseurs en matière de médecine transgenre font marche arrière ces dernières années, comme la Suède, premier pays au monde à reconnaître la dysphorie de genre en 1972 (archive). Le pays a finalement interdit les bloqueurs d'hormones aux mineurs en transition de genre en 2023, sauf dans le cadre d'essais cliniques.

Contacté par l'AFP le 28 mai, le ministère de la Santé suédois a confirmé que les recommandations en vigueur dans le pays était "que les bloqueurs de puberté doivent être administrés aux personnes souffrant de dysphorie de genre dans un contexte de recherche"ou "dans des cas exceptionnels".

Plus récemment, en Grande-Bretagne, la NHS, le système de santé, a commandé un rapport indépendant sur les soins liés au genre pour les mineurs trans, un travail de plusieurs années mené par la pédiatre Hilary Cass. Ce rapport, the Cass Review (archive), relève lui aussi que "malgré un nombre considérable de recherches publiées dans ce domaine, les revues systématiques démontrent la faible qualité des études, ce qui signifie qu'il n'existe pas de preuve suffisante sur laquelle prendre des décisions cliniques".

Des effets indésirables mal connus, sur les os, mais aussi la fertilité et le développement cérébral

Les auteures de Transmania assurent que les bloqueurs de puberté ont des effets délétères sur les enfants. Certes ces traitements s'accompagnent de possibles effets indésirables, mais ils sont fortement exagérés par Dora Moutot et Marguerite Stern, comme ici sur X le 21 mars, dans une publication partagée plus de 300 fois: "Les bloqueurs de puberté rendent stériles, bloquent le développement du cerveau et détruisent l’ossature des enfants". 

<span>Capture d'écran de X le 31 mai</span>
Capture d'écran de X le 31 mai

Une plus faible densification osseuse à surveiller mais réversible

Marguerite Stern soutient donc que que ces traitements "détruisent l'ossature" des enfants, ou encore dans que ces derniers se retrouvent "avec de l'ostéoporose à 15 ans".

Elle s'appuie notamment sur le cas d'un adolescent suédois médiatisé par un documentaire sur le sujet (archive). Mais cet adolescent a été sous bloqueurs de puberté de 11 à 14 ans, sans jamais bénéficier d'examens pour vérifier le bon état de ses os, pointe le site de vérification Science based medicine, qui met aussi en cause la partialité de la société de production du documentaire (archive), connue pour ses positions anti-transgenre.

Selon le ministère de la Santé suédois, "pour les adolescents qui reçoivent des bloqueurs de puberté puis une thérapie hormonale avec des œstrogènes ou de la testostérone, ils récupèrent leur densité minérale osseuse (...), mais il n'est actuellement pas possible de déterminer si la densité minérale osseuse atteint finalement pleinement le niveau des adolescents de la population générale".

Les recommandations de la Société d'endocrinologie amércaine, comme le Wpath, recommandent depuis 2017 un examen osseux avant toute initiation aux bloqueurs de puberté, et des examens de suivi, ainsi qu'une supplémentation en calcium et vitamine D, rappelle la Wpath dans ce communiqué de novembre 2022 (archive).

En France, explique le Dr Chambry, "bien sûr qu'il y a cette vigilance très importante sur la minéralisation osseuse...On l'a toujours surveillée depuis le début mais on le fait de façon plus intensive depuis les recommandations d'Amsterdam".

Car en temps normal, chez les adolescents, les hormones de la puberté, oestrogènes chez les filles et testostérone chez les garçons, se développent de concert avec les hormones de la croissance. "Elles déclenchent ainsi le pic de croissance et accroissent la vitesse de maturation des cartilages de croissance, puis leur ossification", explique l'Inserm (archive).

<span>Le rôle des hormones de puberté dans la croissance chez l'adolescent</span>
Le rôle des hormones de puberté dans la croissance chez l'adolescent

Interrogée par l'AFP le 3 mai, la Pr Catherine Gordon, endocrino-pédiatre américaine (archive), rappelle que beaucoup d'enfants en transition ont déjà "une faible densité osseuse avant le traitement", notamment du fait de troubles alimentaires et d'un manque d'exercice physique, comme le montre cette étude (archive).

"Il semblerait que la densification osseuse associée à la puberté est réduite chez les adolescents atteints de dysphorie de genre et traités par bloqueurs, mais aussi qu'une augmentation encourageante est observée une fois" qu'ils arrêtent ces traitements et les remplacent ces bloqueurs par "des hormones affirmatives de genre", explique la spécialiste, à la tête du programme national de recherche sur la santé de l'enfant américain.

Un impact incertain sur la fertilité, pris en compte avant la prescription

L'affirmation erronée comme quoi les bloqueurs rendent "stériles", est aussi reprise sur les réseaux par d'autres, comme Nicole Délépine, médecin à la retraite dont les affirmations trompeuses en matière de santé sont régulièrement relevées par AFP factuel  sur X, qui affirmait le 10 mai que les bloqueurs de puberté "entraineront (des) effets irréversibles (os cerveau fertilité etc)".

Mais si, effet, les hormones d'affirmation de genre engendrent des effets parfois irréversibles et peuvent induire une baisse de fertilité, rien ne prouve que c'est le cas des bloqueurs de puberté.

Déjà, chez les jeunes trans assignées filles à la naissance, "l’impact des traitements par analogues de la GnRH sur la fertilité a été largement étudié dans des populations de femmes dont la puberté avait été bloquée dans le cadre de puberté précoce, avec des données extrêmement rassurantes", expose cette étude française. Dans cette population, ajoutent les chercheurs, les taux de naissance sont comparables à ceux des femmes n’ayant pas reçu de traitement par analogues de la GnRH.

Chez les jeunes assignés garçons à la naissance, en revanche, les effets sont plus incertains, car le traitement peut affecter la production de gamètes (archive). L'impact sur la fertilité dépend surtout des suites du traitement: quasiment nul chez les adolescents qui arrêtent les traitements hormonaux après les bloqueurs, il est plus incertain chez ceux qui poursuivent avec une thérapie dite d'hormones croisées (du sexe opposé à celui assigné à la naissance).

Pour prévenir d'éventuels problèmes d'infertilité, en 2018, l’Endocrine Society, une société savante américaine, a déclaré que tous les individus en transition devraient être informés sur les possibilités de préservation de la fertilité, avant la suppression de la puberté chez les adolescents pré-pubères.

Les effets sur le cerveau: des données lacunaires mais rassurantes

Enfin, quand les auteures de Transmania assurent que les bloqueurs de puberté "bloquent le développement du cerveau", elles exagèrent là encore fortement un effet indésirable qui n'est à ce jour pas prouvé.

La puberté est une phase limitée dans le temps pendant laquelle les connexions en développement du système nerveux sont construites par des facteurs hormonaux et liés aux expériences, avec de potentielles conséquences à vie sur la santé cognitive et émotionnelle.

Le rapport de la pédiatre britannique Hilary Cass (Cass Review) a identifié une étude transversale qui mesurait le fonctions exécutives du cerveau, des processus qui permettent de planifier, de raisonner de manière flexible, de se concentrer et d'inhiber les émotions.

"Cette étude a révélé qu'il n'y avait pas de différence entre les adolescents traités avec des bloqueurs de puberté pendant moins d'un an et ceux non traités. Cependant, elle a trouvé un fonctionnement exécutif moins bon chez ceux traités pendant plus d'un an comparé à ceux non traités", détaille la Cass Review.

Mais d'autres études, notamment néerlandaises, met en avant le Dr Chambry, montrent qu'"il n'y a pas de baisse du quotient intellectuel" chez les enfants transgenres, avant et après le traitement (archive).

En résumé, conclut la Cass Review sur ce point, "une revue [un examen, NDLR] récente de la littérature [scientifique, NDLR] sur ce sujet a révélé qu'il y avait très peu de recherches sur l'impact à court, moyen ou long terme des bloqueurs de puberté sur le développement neurocognitif".

Il n'est donc pas possible d'exclure une nocivité sur le cerveau, mais pas non plus de l'affirmer.

Des recommandations très strictes sur le cadre de prescription

Dans leur texte final adopté mardi 28 mai, les sénateurs n'ont finalement pas opté pour l'interdiction des bloqueurs mais pour une prescription très limitée, au sein de "centres de référence pluridisciplinaires" et seulement après un suivi médical d'une durée d'au moins deux ans.

Les centres spécialisés sont déjà, de fait, et même si aucune loi ne l'exigeait, au coeur de la prise en charge des mineurs transgenres en France, comme le montre l'infographie ci-dessous, publiée dans une étude sur la prise en charge des jeunes trans (archive).

<span>Capture d'écran de l'étude "Accompagnement des transidentités chez l'enfant et adolescent(e) transgenre"</span>
Capture d'écran de l'étude "Accompagnement des transidentités chez l'enfant et adolescent(e) transgenre"

"Un cadre strict, c'est déjà le cas", renchérit le Dr Chambry, "bien sûr ce n'est pas légiféré donc on peut toujours trouver une prescription marginale mais dans les faits un médecin ne se lance pas comme dans ça dans un blocage de puberté".  Il assure qu'"il n'y a pas de proposition de bloqueurs de puberté sans un passage en réunion de consultation pluriprofessionnelle".

Il est revanche très opposé au délai de deux ans que veulent imposer les sénateurs entre la première consultation et l'administration de bloqueurs, prenant en compte qu'un "certain nombre de jeunes mettent du temps à pouvoir mettre des mots sur leur malaise, malaise qui va être précipité par l'apparition de la puberté". Il rappelle aussi que le délai  moyen d'attente pour un rendez-vous dans une consultation spécialisée est d'un an, et que les bloqueurs ne sont généralement pas prescrits avant "six à huit mois d'évaluation".

Comme le recommandent l'Endocrine society en lien avec l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH) et résumées dans le "protocole néerlandais" mis en place aux Pays-Bas dès la fin des années 1990.

<span>Capture d'écran de l'étude "Accompagnement des transidentités chez l'enfant et adolescent(e) transgenre"</span>
Capture d'écran de l'étude "Accompagnement des transidentités chez l'enfant et adolescent(e) transgenre"

"Le protocole néerlandais va bien au-delà d'un simple traitement hormonal, en effet seulement environ un tiers de nos patients reçoivent un traitement hormonal", rappelle la Dr de Vries. Ce protocole "commence par une phase diagnostique complète avec pour objectif d'obtenir une image claire des besoins individuels du jeune", puis "nous proposons des traitements soigneusement adaptés en fonction du diagnostic et des souhaits du jeune".

Les options de traitement peuvent inclure la psychothérapie, la thérapie hormonale, des procédures chirurgicales ou une combinaison de ces approches. "L'accent est également mis sur le conseil à long terme et les soins de suivi pour les personnes atteintes de dysphorie de genre", insiste aussi Annelou de Vries.

C'est justement ce cadre pluridisciplinaire, avec un suivi intensif et un parcours coordonné, assorti d'un dialogue permanent avec l'enfant et ses parents, qui manquait au Royaume-Uni, qui a récemment fait marche arrière sur les transitions chez les mineurs.

Parmi les promoteurs du livre "Transmania", beaucoup, notamment sur X, le comparent à la Cass Review (archive) britannique.

Mais ce travail scientifique de plusieurs années mené par la pédiatre Hilary Cass n'est pas comparable avec le livre militant de Dora Moutot et Marguerite Stern.

Contrairement à ces dernières, Hilary Cass ne remet pas en cause le protocole néerlandais mais le défend: "Dans l'approche néerlandaise, les jeunes présentant des problèmes de santé mentale complexes reçoivent systématiquement un soutien thérapeutique avant, ou lorsqu'il est jugé approprié, au lieu d'une intervention hormonale précoce, alors que les critères pour avoir accès à un soutien thérapeutique avant de commencer le traitement par bloqueurs hormonaux ne semblent pas faire partie intégrante du processus actuel du NHS".

Cette carence de suivi psychologique, note la Dr Cass, "n'est pas cohérente avec certaines approches internationales pour ce groupe d'enfants et de jeunes, ni avec d'autres modèles de soins multidisciplinaires en pédiatrie et en médecine pour adultes où des décisions difficiles concernant des interventions déterminantes pour la vie intime sont prises".

Dans une interview à la prestigieuse revue scientifique British Medical Journal, Hilary Cass a conclu que le "message principal" de ses travaux était que  "les jeunes en questionnement de genre qui cherchent de l'aide auprès du NHS doivent pouvoir accéder à une évaluation globale et holistique [comme un tout, NDLR], réalisée par une équipe pluridisciplinaire" (archive). Le NHS a mis fin le 12 mars aux prescriptions de bloqueurs de puberté pour les mineurs, en-dehors des fins de recherche.

Besoin d'une "recherche de qualité" sur ces traitements

Tous les acteurs du secteur, militants de la transition de genre ou au contraire très prudents voire réservés sur les prescriptions, regrettent une carence criante de données scientifiques sur les bloqueurs de puberté comme sur les hormones croisées.

La revue systématique , c'est-à-dire l'examen exhaustif des études scientifiques existantes,  réalisée par l'Université de York pour la Cass Review (archive) décrit des études manquant de données à long terme, ou "sans conception de cohorte ou de bras de comparaison", c'est à dire de groupe contrôle nécessaire à des essais,  pour valider leurs résultats.

Ce travail de synthèse, relève le professeur émérite en endocrinologie Ashley Grossman, interrogé par la revue médicale British Medical Journal "montre qu'il n'y a pas de  preuve justifiant un usage de routine des bloqueurs de puberté, même si ça n'empêche pas que chez certaines enfants et jeunes adultes ils soient bénéfiques".

A l'instar du Pr Grossman, le Dr Ben Albert, pédiatre et endocrinologue, plaide pour "une recherche de qualité pour mieux comprendre (...) si les traitements donnés aux jeunes souffrant de dysphorie de genre sont utiles".

Dans ses dernières recommandations, même si elle conclut qu'une intervention médicale précoce peut être "efficace et utile pour beaucoup d'adolescents recherchant ces interventions", la WPATH regrette "le manque de recherches prouvant l'efficacité à long-terme des traitements médicaux pour les adolescents souffrant de dysphorie de genre", et en déduit donc qu'"une revue systématique des résultats de ces traitements n'est pas réalisable".