Détournement de fonds, trafic d'influence... Ce que l'on sait de la mise en examen d'une juge en lien avec le banditisme corse

Fait rarissime. Une magistrate a été mise en examen dans la nuit de ce samedi 6 avril puis écrouée dans une enquête ouverte sur ses liens suspects avec un membre du banditisme corse, a indiqué le procureur de la République de Nice.

Le juge des libertés et de la détention a ensuite "ordonné" son placement en détention provisoire, alors qu'elle est visée par onze chefs d'accusation.

Ce n'est pas la première magistrate ayant travaillé en Corse inquiétée par la justice: en octobre 2022, une juge bastiaise, Danielle Sbragia, avait été mise en examen pour "prise illégale d'intérêt".

• Proche d'un homme défavorablement connu des services de police

Dans un communiqué, le procureur a indiqué qu'"à la lumière d'interceptions téléphoniques", il est apparu qu'Hélène Gerhards "paraissait dans une relation de proximité avec un individu très défavorablement connu des services de police, au sujet notamment de travaux dans une villa dont elle était occupante, située sur la rive sud d'Ajaccio".

Cette "villa d'architecte" de 320m², avec "vue mer exceptionnelle, (...) à deux pas de la plage", avec "piscine et jacuzzi", pouvait être louée jusqu'à 2.260€ par nuit pendant l'été, rapportait l'annonce de location.

Selon des sources proches du dossier, l'individu en question est Johann Carta, mis en examen et écroué dans plusieurs enquêtes, notamment en décembre 2023 dans un dossier d'"escroquerie, extorsion de fonds et blanchiment d'argent en bande organisée" géré par la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille.

• Des "services rendus" en utilisant sa "qualité de juge d'instruction"

Selon les informations données par le procureur, la magistrate était également en lien avec d'autres personnes proches du banditisme corse. "En contacts réguliers également avec d'autres personnes connues des services de police (...), la magistrate semblait entretenir une grande proximité faite notamment de services réciproques", explique le communiqué.

"Parmi les services rendus", l'enquête a "mis en évidence que la magistrate aurait pu, outre des conseils juridiques, rechercher et communiquer des informations concernant des procédures en cours ou des données issues de fichiers".

Elle est ainsi accusée d'avoir utilisé sa "qualité de juge d'instruction" pour "établir de fausses ordonnances de commission d'expert et de fausses ordonnances de taxe" pour "la réalisation d'expertises fictives" en "matière informatique et en traduction" qui auraient notamment bénéficié à son "ex-conjoint", détaillait le procureur.

De même, pour ces détournements de fonds publics reposant sur ces faux, "l'identité et les comptes bancaires de jeunes filles au pair présentes au domicile auraient pu être utilisés".

• Une enquête ouverte pour onze chefs d'accusation

Les faits auraient été commis entre 2008 et 2022. Ainsi, une enquête a été ouverte. Les deux juges d'instruction co-saisis ont retenu onze infractions parmi les 20 présentes dans l'information judiciaire.

Il s'agit de faux en écriture publique par un dépositaire de l'autorité publique, usage de faux, détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée, trafic d'influence passif et actif, association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement et en vue de préparer des délits punis de cinq ans d'emprisonnement, blanchiment, construction sans permis, détournement de la finalité de fichiers de données personnelles et enfin complicité de violation du secret professionnel.

Le total des fonds détournés "pourraient être évalués à plus de 120.000 euros".

• Ses avocats dénoncent une "enquête menée exclusivement à charge"

Hélène Gerhards présidait jusqu'en janvier 2023 la cour d'assises du Lot-et-Garonne à Agen. Les faits qui lui sont reprochés ont notamment eu lieu lors de son passage en Corse, de 2010 à 2016, en tant que juge d'instruction.

Lors de ses auditions en garde à vue, la magistrate a "contesté d'abord toute infraction et tout manquement à ses obligations professionnelles", avant de finalement reconnaître "une consultation illicite de données au profit d'un individu défavorablement connu", a précisé le procureur de Nice ce vendredi.

Dénonçant une "enquête menée exclusivement à charge" contre une magistrate "appréciée dans chacun de ses postes pour son travail et sa pugnacité", ses avocats Me Caty Richard et Me Yann Le Bras ont indiqué qu'après avoir eu "enfin accès à l'œuvre d'un acharnement de trois années", ils ont "d'ores et déjà trouvé des éléments qui remettent en cause la thèse de l'accusation".

"D'autres solutions procédurales étaient possibles, mais il a été choisi la voie de la violence institutionnelle", dénoncent-ils, estimant que "c'est l'échec absolu d'une innocente incarcérée".

Dès jeudi, ils s'étaient interrogés "sur un éventuel règlement de comptes au sein de la magistrature".

Article original publié sur BFMTV.com