La définition de "famille" discriminatoire? Une association homoparentale interpelle les dictionnaires

La définition de "famille" discriminatoire? Une association homoparentale interpelle les dictionnaires

Qu'est-ce qu'une famille? "Le père, la mère et les enfants", répond le dictionnaire Le Robert sur son site Internet. "La mère, le père (ou l'un des deux) et les enfants", précise lui Le Larousse. Des définitions considérées comme "discriminatoires" par l'Association des familles homoparentales (ADFH), près de dix ans après le mariage pour tous et l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe.

"Cette définition est homophobe au sens de la loi: on exclut des personnes d'une définition en fonction du genre ou de l'orientation sexuelle", estime Alexandre Urwicz, président de l'association, interrogé par BFMTV.com.

Face à ces énoncés, "nos enfants nous demandent 'pourquoi?'", explique-t-il. "Nous on leur explique depuis toujours qu'on est une famille. Ils ont un livret de famille qui dit 'deux papas' ou 'deux mamans' alors ils ne comprennent pas. Il n'est pas question que nos enfants soient considérés comme ne vivant pas dans une famille." "Ils vivent dans quoi alors sinon, une tribu?", interroge Alexandre Urwicz.

Le Robert va mettre à jour sa définition

Du côté du Robert, on plaide une erreur. La lexicographe Géraldine Moinard, directrice de la rédaction du Petit Robert, se dit "très embêtée", d'autant que "dans le Petit Robert version papier, il est écrit qu'une famille ce sont 'les parents et les enfants'", ce que BFMTV.com a pu confirmer. "Il n'y a visiblement pas eu de report sur le web donc la critique est totalement fondée."

"On est très attentifs aux évolutions de la société", poursuit Géraldine Moinard. "Tous les mots de la famille ont commencé à évolué au début des années 2000."

Elle annonce à BFMTV.com qu'une mise à jour a été faite et qu'elle sera visible sur le site internet du dictionnaire "d'ici un mois".

Interrogé, Le Larousse n'a pas annoncé son intention de modifier sa définition actuellement en ligne. Le dictionnaire assure "prendre régulièrement en compte l'évolution de la société, l'adaptation de certains mots et bien sûr les nouveaux mots qui chaque année enrichissent notre langue française", mais n'a pas voulu élaborer sur ses choix.

Des approches différentes

Les deux dictionnaires ont cependant des approches différentes de la manière dont ils doivent appréhender les évolutions de la société. Le Robert a fait de la prise en compte des évolutions linguistiques l'une de ses marques de fabrique.

Il publie ainsi chaque année ses "nouveaux mots" fait de d'argot, de verlan ou d'emprunts récents à des langues étrangères: "gênance", "chiller" ou encore le pronom "iel" ont ainsi intégré Le Petit Robert édition 2023.

"On n'est pas du tout dans le prescriptif, on est des observateurs des usages. Toute évolution de la langue est intéressante pour nous", assure Géraldine Moinard.

Côté Larousse, on défend un certain conservatisme dans le référencement de la langue: "On met plus de temps à faire entrer certains mots car on ne veut pas céder aux effets de mode", avait expliqué un porte-parole du dictionnaire au Parisien.

Un conservatisme partagé par l'Académie française, qui édite un dictionnaire qu'elle présente comme une "référence", même si personne n'a l'obligation d'utiliser ses définitions. En l'occurrence, celle proposée pour la "famille" est la suivante: "Communauté de personnes vivant généralement sous le même toit, composée du père, de la mère et des enfants."

Une définition plus inclusive pour l'Insee

L'ADFH propose de substituer ces énoncés jugés "discriminatoires" par "Un parent, ou deux, avec leurs enfants", définition actuellement utilisée par l'Insee (Institut national des statistiques et études économiques)", note le président de l'association.

"On a travaillé avec eux pendant cinq ans pour intégrer les familles homoparentales afin qu'elles puissent être recensées", précise Alexandre Urwicz.

Sur sa page dédiée à la question, l'Insee précise en effet: "une famille est la partie d'un ménage comprenant au moins deux personnes et constituée: soit d'un couple vivant au sein du ménage, avec le cas échéant son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage; soit d'un adulte avec son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage (famille monoparentale)."

Si l'institut n'a pas la même importance symbolique que les dictionnaires sur la définition des termes de la langue française, Alexandre Urwicz affirme l'importance de ce changement d'énoncé: "L'Insee, elle compte, elle enregistre. Alors pour faire ça, il faut qu'elle sache de quoi elle parle."

L'ADFH prête à des "actions juridiques"

Alexandre Urwicz explique avoir "déjà fait changer la définition du mot mariage pour Le Robert. "Ça avait pris un an parce qu'il fallait attendre la nouvelle édition mais ça avait été modifiée directement en ligne", précise le président de l'ADFH.

Si le Petit Robert, l'édition principale, avait pris les devants au début des années 2000, avant cette interpellation, le Robert Junior Poche (8-11 ans) de 2015 restreignait encore le mariage à une "union légitime entre un homme et une femme". Nous étions alors deux ans après l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Pour l'ADFH, ces questions linguistiques sont surtout les symptômes d'une difficulté de la société à faire passer dans la langue les évolutions relatives à la famille, malgré les changements législatifs - qu'il s'agisse de l'adoption de l'adoption du Mariage pour tous en 2013 ou de la PMA pour toutes en 2021. Car au-delà des dictionnaires, ces définitions peinent parfois à être mises à jour dans les documents administratifs ou les formulaires de renseignement dans les écoles.

"On se retrouve à faire le SAV de ces mesures. Si on ne demande pas des changements, personne le fait. Personne ne s'occupe de savoir si ces définitions doivent bouger comme la société a bougé", déplore Alexandre Urwicz.

"Nous, notre rêve c'est qu'on ait plus à faire ça et que ce soit des instances dédiées qui le fassent à notre place, comme la Dilcrah (Délégation Interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT), qui est malheureusement sous-dotée, ou la Défenseure des droits qui est souvent à nos côtés sur ce type de combats", explique le président de l'ADFH.

L'association demande aujourd'hui des excuses aux éditeurs des dictionnaires et une modification sans délai, sans quoi elle se dit prête à "regarder toutes les actions juridiques possibles". Son président a par ailleurs contacté le cabinet de la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Diversité, Isabelle Rome, dans le but d'obtenir le soutien de cette dernière. Sans réponse à ce stade.

Article original publié sur BFMTV.com