Débat Attal/Bardella pour les élections européennes 2024 : retour sur cinq affirmations fausses ou trompeuses

A deux semaines des élections européennes du 9 juin 2024 pour lesquelles le RN fait figure de grand favori, le Premier ministre Gabriel Attal et la tête de liste RN Jordan Bardella ont croisé le fer le 23 mai lors d'un vif débat sur France 2. Viande bovine dans les cantines, criminalité, défaillances d’entreprises, émissions de gaz à effet de serre ou reconduites à la frontière de migrants illégaux : retour sur cinq affirmations erronées ou trompeuses.

 

Gabriel Attal : défaillances d'entreprises, reconduites à la frontière de migrants illégaux

 

"On a moins de défaillances d'entreprises aujourd'hui en France qu'en Allemagne et que chez, d'ailleurs, la plupart de nos voisins" 

Les statistiques officielles contredisent la version du Premier ministre avancée lors du débat sur France 2 (archive)

Selon Eurostat, la France est le pays de l'Union européenne qui a connu le plus de défaillances d'entreprises depuis 2015 (archive). En 2023, 54.431 défaillances ont ainsi été comptabilisées dans l'Hexagone contre 17.628 en Allemagne. Avec la Hongrie, il s'agit des trois pays les plus importants de l'Union européenne en nombre de défaillances.

Les données compilées par l'assureur Allianz Trade dressent un bilan similaire avec 56.735 défaillances observées en France en 2023 (+35% par rapport à 2022) contre 17.814 (+22%) en Allemagne (archive).

"La France présente un taux de faillites bien plus élevé que l’Allemagne, environ deux fois plus élevé, avec un taux de défaillances autour de 0,7% en Allemagne contre plus de 1,5% en France pour 2023, même si l'écart s'est probablement un peu réduit sur les premiers mois de l’année", a précisé à l'AFP le 24 mai 2024 Maxime Lemerle, responsable des recherches défaillances chez Allianz Trade.

En avril 2024, 4.808 défaillances d'entreprises ont été comptabilisées dans l'Hexagone par la Banque de France (archive) contre 1.367 par l'Institut de recherche économique de Halle en Allemagne (archive).

Les défaillances avaient chuté à des niveaux historiquement bas avec les mesures de soutien aux entreprises prises par le gouvernement français durant la crise sanitaire - prêts garantis par l'Etat, chômage partiel, report d'échéances fiscales... - mais leur nombre est reparti à la hausse depuis le début de 2022.

Pour la Banque de France, cette progression tient "à un double effet", celui du "ralentissement actuel de l'économie" française, "même si la croissance reste positive à 0,8% attendu en 2024", ainsi qu'au "rattrapage du 'retard de défaillances' observé pendant la période Covid (près de 50.000 défaillances en moins sur la période 2020-2023)".

<span>Graphique réalisé par Allianz Trade sur l'évolution du nombre de faillites en France et en Allemagne de 2001 à 2023, à partir des propres données du groupe, et de celles de l'OCDE et de l'agence allemande de la statistique Destatis</span>
Graphique réalisé par Allianz Trade sur l'évolution du nombre de faillites en France et en Allemagne de 2001 à 2023, à partir des propres données du groupe, et de celles de l'OCDE et de l'agence allemande de la statistique Destatis

"Eurostat, 2023 : la France a éloigné plus que l'Allemagne des immigrés clandestins, elle a éloigné quatre fois plus que l'Italie, plus que la Suède" 

Le Premier ministre a pris soin de mentionner la source à laquelle il se référait. Mais les données d’Eurostat (tables) consultées par l’AFP montrent autre chose (archives 1, 2).

Sur l'ensemble des quatre trimestres de 2023, en chiffres absolus, le total des reconduites de citoyens non-Européens qui avaient été enjoints par les autorités à quitter les territoires nationaux atteint les 15.440 en Allemagne, contre 12.165 pour la France, selon les calculs de l'AFP.

En 2023, la France a reconduit deux fois plus que l'Italie (6.690), et non "quatre fois plus" comme l'affirme Gabriel Attal.

Il faut toutefois noter qu'Eurostat relève que "l'Allemagne (4.180), la France (3.570) et la Croatie (2.430) ont recensé les chiffres les plus élevés de citoyens de pays tiers renvoyés après un ordre de quitter [le territoire, NDLR] au quatrième trimestre 2023 (environ 35% du total de l’UE)".

<span>Capture d'écran, réalisée le 24 mai 2024, d'un tableau d'Eurostat compilant les chiffres des éloignements d'immigrés illégaux réalisés par les pays de l'UE</span>
Capture d'écran, réalisée le 24 mai 2024, d'un tableau d'Eurostat compilant les chiffres des éloignements d'immigrés illégaux réalisés par les pays de l'UE

Jordan Bardella : criminalité, viande bovine dans les cantines, émissions de gaz à effet de serre

 

"77% des viols, des agressions sexuelles qui sont commis à Paris sont le fait d'étrangers"

Ce chiffre, cité par Jordan Bardella et tiré d'un article d'Europe 1 publié le 18 avril 2024, fait l'objet d'une erreur d'interprétation (archive). Le média explique que, selon des chiffres de la Préfecture de police de Paris, en 2023, sur 97 viols commis dans les rues parisiennes et connus des services de police, 30 ont été élucidés. Ces faits ont donné lieu à 36 interpellations. Or, parmi ces personnes interpellées, 28 étaient de nationalité étrangère, soit 77%.

Cette statistique est donc très parcellaire et ne peut donc pas être généralisée à tous les viols commis à Paris, comme le fait Jordan Bardella. En outre, cette proportion porte sur des personnes interpellées par les forces de l'ordre et qui ne sont donc pas jugées coupables des faits reprochés.

De manière générale, la grande majorité des viols sont commis au sein de la sphère privée. "90% des viols sont commis par des proches, souvent sans violences physiques, et toute cette zone de la contrainte morale, qui est la plus fréquente, ne peut pas être montrée", avait expliqué à l’AFP en février 2024 Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'Université Paris-Nanterre (archive).

Le nombre seul de plaintes enregistrées ne permet pas de quantifier le phénomène des violences sexuelles commises à l'encontre des femmes : il est certainement bien plus élevé que ne le laissent apparaître les chiffres des plaintes.

Enfin, cette statistique ne porte que sur des chiffres connus des services de police. Or, selon l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) 2022, seules 6% des personnes de 18 à 74 ans victimes de violences sexuelles physiques (viol, tentative de viol, agression sexuelle) hors cadre familial portent plainte auprès des forces de sécurité (archive).

 

"Aujourd'hui dans la restauration collective, 75% du boeuf qui est consommé par nos enfants dans les cantines des collèges, des écoles et des lycées, est importé"

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a souligné dès jeudi soir 23 mai dans un message sur X que ce chiffre était "faux" (archive).

Contacté par l’AFP, l'Interprofession du bétail et de la viande (Interbev) a indiqué ne pas disposer du détail par circuit de restauration (archive).

Parmi les rares données disponibles :  l'étude "Où va le boeuf", publiée en 2019 (archive) par Interbev, indiquait alors que "la restauration collective, et notamment scolaire, a renationalisé une partie de ses approvisionnements". "La restauration collective utilisait 52% de viande [bovine, NDLR] française en 2017 selon nos estimations. Cette part a progressé fortement depuis 2014, la part de la viande française étant à l'époque de 33% seulement", y est-il écrit.

Une note d'Interbev de février 2024 sur des données de 2022 a confirmé que "la restauration collective s'est orientée vers un approvisionnement très majoritairement français" en viande bovine, même si elle a "parfois des difficultés pour trouver des volumes" (archive).

Mais ces données ne concernent donc que la viande bovine servie par la restauration collective dans son ensemble, sans que le détail des pratiques dans les cantines soit précisé.

<span>Une cantine scolaire dans une école près d'Angoulême, le 4 septembre 2009</span><div><span>ROMAIN PERROCHEAU</span><span>AFP</span></div>
Une cantine scolaire dans une école près d'Angoulême, le 4 septembre 2009
ROMAIN PERROCHEAUAFP

De manière générale, la loi Egalim en 2018, complétée par la loi Climat et résilience en 2021, a fixé l'objectif d'offrir au moins 50% de produits dits "durables" et "de qualité", dont au moins 20% de produits biologiques, dans les repas servis en restauration collective (archive). Cette mesure s'applique depuis le 1er janvier 2022 à tous les restaurants collectifs de service public (scolaire et universitaire, hôpitaux, médico-social, administrations…) et depuis le 1er janvier 2024 aux établissements privés. Cette année, l'objectif en restauration collective a été en outre rehaussé à 60% pour la viande et le poisson "durables et de qualité".

Mais en 2022, selon le dernier recensement des achats, établi sur la base de déclarations volontaires sur la plateforme "ma cantine", les gestionnaires de restaurants collectifs n'ont consacré que "27,5% de leurs achats à des produits durables et de qualité", dont "13% en bio" (archive).

 

"Le bilan de votre politique énergétique, c'est à la fois la hausse des factures, la hausse des faillites d'entreprises (...)  et évidemment la hausse des émissions parce qu'en fermant les centrales nucléaires vous avez été contraints de rouvrir des centrales à charbon" 

En 2023, les gaz à effet de serre émis par l'activité humaine en France ont, contrairement à ce qu'avance Jordan Bardella, baissé dans quasiment tous les secteurs de l'économie (agriculture, transports, industrie ...), reculant de 5,8% par rapport à 2022, selon le Citepa, organisme chargé de l'inventaire des gaz à effet de serre français, dans une révision de ses premières estimations (archive).

Le gouvernement s'enorgueillit de ce chiffre après un recul de 2,7% entre 2021 et 2022.

<span>Capture d'écran, réalisée le 24 mai 2024, du graphique du Citepa résumant l'évolution des émissions de gaz à effet de serre de la France</span>
Capture d'écran, réalisée le 24 mai 2024, du graphique du Citepa résumant l'évolution des émissions de gaz à effet de serre de la France

En 2023, la France a ainsi rejeté dans l'atmosphère l'équivalent de 373 millions de tonnes de dioxyde de carbone (Mt CO2e), "en dessous du niveau minimum record de 2020" lors du ralentissement majeur de l'économie pendant la pandémie.

Mais ce chiffre est à nuancer, souligne le Citepa, qui constate une "situation inédite où tous les grands secteurs émetteurs participent à une baisse des émissions, dans un contexte particulier (inflation, reprise de production nucléaire…) mais sans crise économique majeure".

C'est une "bonne nouvelle", mais "en grande partie liée à des facteurs conjoncturels comme la baisse de l'activité économique, les prix élevés de l'énergie ou le redémarrage de réacteurs nucléaires" à l'arrêt en 2022, a relativisé auprès de l'AFP Anne Bringault, du Réseau Action Climat, qui appelle à s'attaquer notamment aux émissions du secteur des transports.

La France, qui doit s'aligner sur l'objectif européen de -55% d'émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, avait déjà échoué à respecter son premier budget carbone (2015-2018) et avait revu ses ambitions à la baisse en 2019.

Dans cette campagne des élections européennes, l'AFP a déjà ces dernières semaines des affirmations fausses ou trompeuses relayées par le RN ou le parti Reconquête (ici ou ici), ou bien encore les écologistes (ici).