Crise de l’énergie : à cause de la France, le gaz allemand pourrait changer d’odeur

ÉNERGIE - Cette histoire sent le soufre, mais pour une fois c’est bonne nouvelle. La France a commencé jeudi 13 octobre pour la première fois à acheminer directement du gaz vers l’Allemagne, une étape et un symbole dans la solidarité énergétique européenne pour surmonter cet hiver le tarissement des flux venant de la Russie (voir la vidéo en tête de cet article).

« C’est historique, la première fois que la France va livrer du gaz directement vers l’Allemagne. Jusqu’ici on envoyait du gaz à notre voisin via la Belgique », a déclaré Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, le gestionnaire du réseau de transport de gaz français.

Stocks français remplis

Ces premières livraisons concrétisent un accord d’entraide formalisé le 5 septembre entre les dirigeants français et allemand, Emmanuel Macron et Olaf Scholz, pour faire jouer la solidarité européenne à l’heure où le gaz est très convoité et son prix vertigineux.

Après l’invasion de l’Ukraine, la Russie a considérablement baissé ses livraisons de gaz à l’Europe, dont certains pays étaient très dépendants. C’est le cas de l’Allemagne, qui a besoin de cette énergie pour faire tourner ses usines, le nerf de son économie.

Or la France détient plus de gaz que son voisin car elle bénéficie d’apports massifs venus de Norvège et de gaz naturel liquéfié (GNL) depuis les Etats-Unis, qui lui ont permis en partie de remplir ses stocks hivernaux à 100%.

Les deux dirigeants ont donc convenu que la France livre davantage de gaz à l’Allemagne, qui pourrait en retour fournir, si besoin, de l’électricité à son voisin fragilisé par une production nucléaire au plus bas.

Dans ce contexte de « forte diminution des livraisons de gaz russe vers l’Europe et dans le cadre de la solidarité européenne sur la sécurité énergétique, GRTgaz s’est mobilisé pour adapter son réseau et formaliser une proposition afin de commercialiser une capacité de transport de gaz de la France vers l’Allemagne », a donc annoncé jeudi le gestionnaire français GRTgaz dans un communiqué.

Les premières commercialisations de gaz odorisé vers l’Allemagne ont commencé à 06H00 à hauteur de 31 gigawattheures/jour, en transitant via les communes frontalières de Obergailbach (Moselle) côté français, et Medelsheim en Sarre, au point d’interconnexion du réseau gazier.

Le gaz sent toujours le soufre

Le niveau de cette capacité sera « évalué tous les jours en fonction des conditions de réseau », et pourra atteindre au maximum 100 GWh/jour.

En ordre de grandeur, cela correspond à la puissance de quatre tranches nucléaires ou l’équivalent de 10% de ce que la France reçoit chaque jour en GNL dans ses quatre terminaux méthaniers, selon GRTGaz, qui estime être en mesure de servir l’Allemagne tout l’hiver.

« Nos calculs nous permettent d’être optimistes sur notre capacité à servir la demande française et à soutenir la production électrique tout en contribuant à la solidarité européenne », a précisé à l’AFP Thierry Trouvé. A condition toutefois que la France économise son « lac de gaz » avec des mesures de sobriété pour éviter des pénuries en cas de vague de froid tardive.

Pour cette première journée, la totalité de la capacité de 31 gigawattheures/jour mise aux enchères a trouvé preneur outre-Rhin, moyennant un prix de transport de réserve de 1,53€/MWh/jour. L’éventuel excédent de recettes généré par ces droits de péage sera reversé ultérieurement aux fournisseurs, conformément aux règles de régulation, a précisé GRTgaz.

Alors que l’unique point d’interconnexion à la frontière franco-allemande avait été conçu pour fonctionner dans le sens Allemagne vers France, il a fallu inverser le sens de circulation. Le gaz va emprunter en effet un tuyau par lequel le gaz circulait jusqu’à présent dans le sens est-ouest, partiellement en provenance de Russie via le gazoduc centre-européen Megal, qui traverse le sud de l’Allemagne.

Tétrahydrothiophène et mercaptan

GRTgaz, en collaboration avec les transporteurs allemands (OGE et GRTgaz Deutschland), a donc « réalisé des ajustements techniques » pour « rendre le flux France vers l’Allemagne effectif », « des travaux pas extrêmement importants » au final, a précisé le gestionnaire du réseau détenu par des actionnaires qui comptent l’Etat français à leur capital.

La situation était plus complexe côté allemand : le pays a effet dû prendre des dispositions règlementaires pour accepter le gaz français, dont la particularité est d’être odorisé, avec une teneur en soufre, ce qui n’est pas l’usage pour l’industrie allemande. Le gaz outre-Rhin est odorisé par des stations locales, juste avant d’être distribué aux consommateurs individuels.

De plus l’odorisation du gaz, s’il répond à des critères stricts à travers le monde, peut varier légèrement d’un pays à l’autre. En Allemagne, où 16 compagnies régionales s’occupent d’acheminer et d’odorifier le gaz, les « recettes » varient ainsi légèrement entre elles. Si en France l’on utilise du tétrahydrothiophène, nos partenaires allemands ajoutent parfois d’autres éléments, comme du mercaptan ou de l’acrylate d’éthyle.

La concentration de ces éléments, qui ensemble dégagent un désagréable odeur soufrée, n’est également pas la même que dans l’hexagone. À « moyen terme » les autorités allemandes ont évoqué la possibilité de désodoriser le gaz français, mais à ce jour, pour certains consommateurs allemands, le gaz aura une odeur (légèrement) différente.

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