Covid-19 : “C’est débile et honteux”, les médecins rejettent largement la dernière proposition de certains membres du Conseil scientifique
Dans une lettre publiée dans The Lancet, cinq des membres du Conseil Scientifique dont Jean-François Delfraissy proposent d’isoler les plus vulnérables, pour éviter un confinement général.
Un “contrat social” qui dérange de nombreux médecins. Dans une lettre publiée dans la revue The Lancet, cinq des membres du Conseil scientifique, dont son président Jean-François Delfraissy, font une proposition détonante. Constatant qu’il “n'est plus possible d'utiliser le confinement général stop-start comme principale réponse à la pandémie de COVID-19”, ils proposent ainsi qu’une nouvelle stratégie soit basée sur un “contrat social”.
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“Les jeunes générations pourraient accepter la contrainte des mesures de prévention comme le port des masques et la distanciation physique à condition que les groupes plus âgés et les plus vulnérables adoptent non seulement ces mesures, mais aussi des mesures plus spécifiques comme l’auto-isolement volontaire selon des critères de vulnérabilité pour réduire leur risque d’infection”, écrivent les cinq scientifiques. Ils appuient notamment leur réflexion sur le fait que de mars à juin 2020, 96% des décès supplémentaires liés au Covid-19 en Europe sont survenus chez des patients âgés de plus de 70 ans.
“Totalement contraire à la médecine”
Une décision qui suscite la colère et l’incompréhension de nombreux médecins. “C’est débile et honteux d’un point de vue scientifique, totalement contraire à la médecine de discriminer les gens selon leur état de santé”, dénonce Jérôme Marty, médecin généraliste et président du syndicat UFML.
Une stratégie, déjà évoquée lors du déconfinement par Jean-François Delfraissy, mais balayée par Emmanuel Macron. Et une idée qui semble difficile à mettre en place. “D’un point de vue sanitaire et éthique, c’est ridicule comme idée. Déjà, comment on vérifie si les personnes vulnérables respectent cet isolement ? On contrôlerait le carnet de santé des personnes dans la rue, pour voir si elles peuvent ou non sortir ? Et comment on fixerait l’âge ‘vulnérable’”, s’indigne Hélène Rossinot, médecin de santé publique.
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“Les vulnérables sont déjà auto-confinés depuis 1 an !”
Une barrière constitutionnelle semble également rendre impossible le confinement obligatoire d’une partie de la population. “Le critère géographique est à peu près le seul que l'on peut utiliser pour discriminer. Faire une discrimination en fonction de l'âge me paraît assez difficile. Il y a un principe constitutionnel qui est bien ancré dans notre droit, qui est le principe d'égalité”, expliquait à France Culture le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.
Une stratégie qui serait aussi éloignée de la réalité, dénonce Jérôme Marty. “Mais vous pensez que les plus vulnérables font quoi depuis un an ? La plupart sont auto-confinés, ils passent leurs journées terrorisés à l’idée d’avoir le Covid, ne voient plus leurs proches et ne sortent plus”, explique le médecin généraliste.
“Les EHPAD montrent que cela ne fonctionne pas”
D’autant qu’isoler les personnes âgées et vulnérables, soit plusieurs millions de personnes, serait une mesure peu efficace qui ne les protégerait pas suffisamment contre le virus. “Ces personnes ont besoin de soins et de se nourrir. Or, en laissant circuler le virus, elles seraient exposées à la contamination lors des visites à domicile, pour leurs courses ou par les soignants venus s’occuper d’eux”, ajoute Hélène Rossinot.
Pour illustrer la faiblesse de cette stratégie, la spécialiste de santé publique prend l’exemple des EHPAD : “On les a confinés, avec interdiction des visites, mais ça n’a pas évité une hécatombe car le virus entrait via le personnel soignant”, rappelle Hélène Rossinot.
22 millions de personnes vulnérables
Selon les derniers chiffres officiels, plus de 24 000 décès ont été enregistrés en EHPAD et en établissement médico-sociaux, soit plus de 25% des décès enregistrés.
Dans un avis du 26 octobre, le conseil scientifique estimait que 22 millions de personnes peuvent être considérées comme vulnérables, entre les plus de 65 ans, les sujets jeunes “avec facteurs de comorbidité” et les personnes en situation de “grande précarité”.
“Ils oublient le risque de Covid long”
Enfin, les médecins qui dénoncent cette stratégie de certains membres du conseil scientifique pointent du doigt des réalités mises de côté. “On estime que 10% des symptomatiques ont encore des symptômes après 12 semaines. Avec leur stratégie, on laisserait se multiplier des Covid long, alors qu’on ne sait pas si cela n’entraine pas des séquelles à vie, et avec le poids que cela fait peser sur le système de santé, au moins à moyen terme. Sans oublier le message subliminal envoyé aux jeunes : cela leur donnerait l’impression qu’ils sont invulnérables, alors qu’ils sont exposés au Covid long, c’est intenable comme position”, dénonce Hélène Rossinot.
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Une stratégie difficilement applicable, contraire à l’éthique selon plusieurs médecins et qui interroge également d’un point de vue moral. C’était justement l’un des arguments évoqués par Olivier Véran pour repousser cette hypothèse, en novembre dernier. Le ministre de la Santé mettait en avant des problèmes de “faisabilité” et de “solidarité entre les générations”.
“On ne peut pas diviser la population”
“Quelle société va restreindre les libertés selon l’état de santé ? Qui va décider qu’untel, obèse de 60 ans, doit rester enfermé ? C’est honteux qu’un scientifique recommande de combattre une maladie en discriminant selon l’état de santé ou l’âge”, dénonce Jérôme Marty. “Notre société est basée sur l’égalité et la fraternité. On ne peut pas diviser la population, ce virus doit être vaincu par un effort collectif”, rappelle de son côté Hélène Rossinot.
La Turquie a confiné les plus vulnérables
L’idée de confiner les plus vulnérables a séduit dans certains pays. Elle a été évoquée par certains responsables politiques en Italie et au Royaume-Uni.
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Elle a été appliquée en Turquie, où, entre mars et mai, les plus de 65 ans et les plus vulnérables étaient confinés, sans possibilité de sorties, puis avec des horaires aménagés. Entre mai et juin, les seniors ont été autorisés à sortir une fois par semaine, le dimanche, entre 11 h et 15 h, puis entre 10h et 20 h depuis le 9 juin.
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