Rentrée totale le 22 juin, un scénario matériellement impossible ?

Le retour en classe est obligatoire dans les zones vertes à partir du 22 juin pour les élèves de la maternelle au collège. Mais certaines règles restent en vigueur.
Le retour en classe est obligatoire dans les zones vertes à partir du 22 juin pour les élèves de la maternelle au collège. Mais certaines règles restent en vigueur.

Les directeurs d’établissements scolaires ont quelques jours pour mettre en œuvre l’une des annonces d’Emmanuel Macron : permettre à tous les élèves de revenir en classe le 22 juin, tout en conservant certaines distances. Un défi impossible ?

Injonction paradoxale”, “injonction contradictoire”. Le vocabulaire diffère, mais l’impression est la même pour Laurent Hoefman, directeur d’école dans la région lilloise et président du SNE, et Didier Georges, principal de collège à Paris et membre de l’exécutif national du SNPDEN.

Dans son discours du 14 juin, Emmanuel Macron a annoncé la reprise totale et obligatoire de l’école, pour les élèves de maternelle, primaire et collège, à partir du 22 juin. Si la règle des 4m² autour de chaque élève n’est plus d’actualité, il faut quand même respecter une distance d’un mètre latéral entre chacun en classe, précise le décret publié au journal officiel.

Impossibilité matérielle

Une information confirmée par Jean-Michel Blanquer, qui a expliqué sur Europe 1, lundi 15 juin, que cette nouvelle règle permettait “d’accueillir tous les élèves”. Un avis pas vraiment partagé par tous. Pour Didier Georges, d’un point de vue purement matériel, cette décision n’est pas applicable. “Dans la très, très grande majorité des établissements, les classes sont équipées de tables doubles, qui font 1m20 voire 1m30 de long. On ne pourra donc jamais mettre 2 élèves par table”, décrit-il. “Donc dans une salle banale où on a 15 tables, on pourra accueillir 15 élèves”, calcule-t-il. Quand bien même le rang du milieu pourrait permettre d’installer deux élèves, en les mettant aux extrémités plutôt que face au bureau, “on passera peut-être de 15 à 19, mais on n’arrive toujours pas aux 24 élèves par classe en REP+, 25 en REP et 30 dans les établissements classiques qui sont largement majoritaires”, décrit le principal parisien.

C’est également la crainte de Laurent Hoefman. “On va avoir des difficultés au niveau de l’espace et du mobilier”, décrit-il, même si “ça ne posera peut-être pas des problèmes partout, car certains locaux sont mieux adaptés que d’autres et dans certaines écoles l’intégralité du personnel reprendra”. “Mais ça ne se passera pas bien partout, c’est impossible”, tranche-t-il.

En attente du nouveau protocole

Une autre difficulté vient s’ajouter : le nouveau protocole sanitaire n’a pas été dévoilé dès dimanche. Il est normalement attendu pour ce mardi 16 juin, mais pourrait être repoussé au 17 juin. Jean-Michel Blanquer a affirmé qu’il serait allégé, sans apporter plus de précisions que la distance entre les élèves en classe.

Résultat, “pour l’instant, la préparation est un peu en stand by”, regrette Audrey Chanonat, chef d’établissement à La Rochelle et membre de l’exécutif national du SNPDEN, “je ne sais pas sur quelles bases avancer”. Plusieurs inconnues demeurent, sur les gestes barrières qu’il faudra maintenir mais aussi sur le retour du personnel. “Est-ce qu’il y aura des exemptions pour les enseignants de plus de 65 ans ?”, s’interroge Didier Georges, dont trois des professeurs sont dans ce cas.

Une attente qui donne un peu l’impression d’une “annonce hors sol du président de la République, qui n’avait visiblement prévenu personne”, analyse le principal de collège.

Un choix cornélien

Derrière ces nouvelles annonces, les chefs d’établissements voient un dilemme se dessiner. Respecter les nouvelles règles sanitaires mais être dans l’incapacité matérielle d’accueillir tous les élèves ou s’affranchir des contraintes pour pouvoir ouvrir à tous. Dans le premier cas, “c’est nous qui aurons affaire aux parents pour leur expliquer pourquoi on ne peut pas appliquer ce qu’a décrété le président de la République”. Dans le second, “on se retrouve en situation d’être attaquable pénalement en cas d’infection d’un élève”, décrit Didier Georges.

Ce n’est pas à nous de prendre cette décision, c’est plutôt au ministère de nous guider”, réagit Audrey Chanonat. Pour le SNPDEN comme pour le SNE, l’idéal serait d’alléger la distanciation sociale.

Le retour nécessaire

Il aurait fallu assouplir les règles comme ça a été fait en maternelle, installer les élèves un peu comme avant, ne plus maintenir de distance mais continuer à appliquer une partie du protocole comme se laver les mains, etc…”, détaille Laurent Hoefman. En bref, proposer une retour “dans des conditions possibles”.

Je ne suis pas scientifique, si on dit qu’il faut un mètre de distance sans masque, je l’entends. Mais je regrette qu’on n’ait pas eu une option consistant à supprimer les distances mais à instaurer le port du masque”, avance de son côté Didier Georges.

Car, de l’avis de tous, le retour à l’école est important. Même pour deux semaines. D’abord, pour “préparer un peu la rentrée de septembre”, décrit le directeur d’une école de la région lilloise. Mais aussi pour éviter une coupure de six mois sans se rendre dans son établissement scolaire. “On est tous favorables au retour complet et massif de tous les élèves, mais il faut que les conditions techniques et sanitaires le permettent”, résume Didier Georges, principal à Paris.

Le personnel épuisé

Ce troisième grand changement en cinq semaines commence à peser lourd sur le moral des troupes. À chaque fois, il faut refaire les emplois du temps, créer de a à z une nouvelle organisation du matériel mais aussi du personnel. “Le stress est important, on a des collègues qui sont à la limite du burn out, qui commencent à ne plus aller bien, qui doivent se mettre en arrêt parce qu’ils n’y arrivent plus”, décrit Laurent Hoefman. D’autant que cette fois, contrairement au premier protocole sanitaire, très strict mais qui avait “une forme de logique”, celui-ci semble multiplier les contradictions. “Le premier était difficile à mettre en place, mais on a réussi, est-ce que ce sera seulement possible cette fois-ci ?”, se demande Audrey Chanonat.

La cheffe d’établissement à La Rochelle précise : “tout mettre en place pour accueillir au mieux les élèves, c’est notre mission fondamentale, on ne se dédit pas. Mais toutes ces modifications sont très difficiles à gérer sur le long terme, on finit par s’épuiser, c’est la réalité du terrain”.

La période de l’année ne facilite pas la tâche. Plusieurs membres du personnel font passer des examens ou des concours, il faut gérer les nouvelles inscriptions et préparer la rentrée prochaine. “C’est presque physiquement instable”, conclut Didier Georges. Il ne reste que quelques jours aux chefs d’établissements pour organiser cette nouvelle étape du 22 juin.

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