TOUT COMPRENDRE - Polémique après les propos du DGPN sur la détention provisoire d'un policier à Marseille

La polémique continue d'enfler. Depuis ce dimanche, le soutien apporté par le directeur général de la police à la mobilisation contre l'incarcération d'un agent de la BAC de Marseille dans le cadre d'une enquête sur des violences de policiers a suscité l'indignation des magistrats et de la classe politique, poussant l'exécutif à réagir.

• Que s'est-il passé dans la nuit du 1er au 2 juillet?

Les faits à l'origine de la polémique remontent au début du mois. Alors que la France était en proie aux violentes émeutes qui avaient suivi la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué par un policier à Nanterre lors d'un contrôle routier, plusieurs policiers marseillais ont été accusés d'avoir roué de coups un jeune homme dans la nuit du 1er au 2 juillet.

Sur son lit d'hôpital, quelques jours après les faits, le jeune homme d'une vingtaine d'années, Hedi, avait affirmé avoir reçu un tir de LBD dans la tempe, avant d'être frappé par un groupe de quatre à cinq personnes. "Il a été tiré comme un lapin puis roué de coups", a dénoncé ce vendredi à l'AFP son avocat, Me Jacques-Antoine Preziosi, précisant que le certificat médical initial du jeune homme faisait état de 60 jours d'ITT.

Les quatre fonctionnaires - deux membres de la brigade anticriminalité (Bac) Sud et deux de la BAC centre - ont été mis en examen pour violences en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique avec usage ou menace d'une arme ayant entraîné une ITT (incapacité totale de travail) supérieure à 8 jours, dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 5 juillet. L'un d'eux a été placé en détention provisoire.

• Comment ses collègues lui ont-ils apporté leur soutien?

C'est ce placement en détention provisoire qui a suscité la colère des syndicats de policiers. "La détention provisoire est une mesure d'exception qui s'applique autant aux citoyens qu'aux policiers", ont fustigé Alliance et l'Unsa dans un communiqué commun. "C'est une mesure dont le caractère exceptionnel doit également s'appliquer aux policiers", a renchéri le syndicat des commissaires de police.

"La détention provisoire, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase", a ajouté la semaine dernière auprès de l'AFP Rudy Manna, du syndicat Alliance, évoquant des "collègues désespérés" et "plusieurs dizaines" de policiers marseillais "en arrêt-maladie ou en burn out".

Certains policiers ont répondu à l'appel du syndicat Unité SGP Police et se sont mis en "code 562", un jargon policier qui signifie qu'ils n'assument plus que les missions d'urgence et essentielles.

Une cagnotte a même été lancée en soutien aux policiers mis en examen. Elle a momentanénement été fermée ce dimanche alors que plus de 34.000 euros avaient déjà été récoltés. Cette somme devait "soutenir la famille et subvenir au besoin financier" des quatre agents.

"L'ère des cagnottes, c'est un comble. Que les cagnottes soient constituées pour les victimes, je veux bien: c'est de la solidarité, c'est du soutien. Que les cagnottes soient constituées pour les coquins, j'avoue que ça interpelle", a commenté hier sur RMC Jacques-Antoine Preziosi, l'avocat de la victime.

"Cette cagnotte m'indigne. Il faut remonter aux faits qui sont à l'origine et qui sont extrêmement graves", a souligné Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l'Homme, ce dimanche sur le plateau de BFMTV.

• Qu'a dit Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale?

Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, a déclaré dimanche souhaiter la libération du policier de la BAC.

"Le savoir en prison m'empêche de dormir", dit Frédéric Veaux, dans un entretien mis en ligne sur le site du journal le Parisien.

"De façon générale, je considère qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail", ajoute Frédéric Veaux.

"Mais la justice ne cède jamais à la pression médiatique ou de la rue, elle traite les dossiers. L'émotion et la colère passées, il faut se donner les moyens techniques et judiciaires pour que ce fonctionnaire de police retrouve la liberté", a ajouté le DGPN.

De son côté, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a tweeté: "Je partage les propos du DGPN."

• Pourquoi ses propos ont-ils fait polémique?

"Alors? Darmanin, Macron et 'l'arc républicain' refusent d'appeler la police au calme et au respect de la loi? Donc ils les encouragent à 'faire la guerre' aux 'nuisibles'? Écoeurant. L'État ridiculisé", a tweeté dimanche soir Jean-Luc Mélenchon, leader des insoumis.

"Gravissime, toute la hiérarchie policière se place au-dessus de la justice et des règles de la détention provisoire et le ministre de l'Intérieur est en arrêt maladie! Ce qui se joue là, c'est la démocratie et le respect de l'État de droit. Le parlement doit être réuni en urgence", a demandé Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste.

"L'indépendance de la justice, son autorité républicaine sur tous - y compris les policiers - sont remises en cause par un quarteron de chefs de la Police dans une opération coordonnée qui marque un précédent grave. Le silence du gouvernement marque t-il sa complicité ?", s'est interrogé le député écologiste Benjamin Lucas.

Des propos "scandaleux" et "gravissimes": les syndicats de magistrats n'ont eux pas mâché leurs mots lundi en réaction aux déclarations la veille du DGPN.

"Le DGPN, sous la tutelle du ministre de l'Intérieur, fait pression sur l'autorité judiciaire dans une affaire individuelle. Gravissime. Strike pour l'indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs et l'égalité devant la loi. Le président de la République doit réagir", a tweeté lundi le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).

L'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) a exhorté elle aussi le "plus haut niveau de l'État" à réagir "pour remettre les pendules à l'heure", selon Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM, estimant auprès de l'AFP que les propos du patron de la police nationale sont "scandaleux" et "gravissimes dans un état de droit".

• Comment a réagi le gouvernement?

La réaction du gouvernement s'est d'abord fait attendre. Ce lundi en milieu de matinée, le ministère de l'Intérieur a fait savoir son soutien à Frédéric Veaux.

"Le ministre a une très grande confiance en son directeur général de la police nationale", a fait savoir un proche de Gérald Darmanin à BFMTV.

Puis, le chef de l'État lui-même s'est exprimé sur la polémique grandissante, sans commenter ouvertement l'affaire. Emmanuel Macron a affirmé comprendre "l'émotion" des policiers après les récentes émeutes, mais il a toutefois rappelé que "nul en République était au-dessus de la loi", refusant de commenter les propos polémiques du patron de la DGPN.

La "légitimité" des policiers "tient du fait qu'ils protègent le cadre républicain et qu'ils font respecter les lois démocratiquement votées", a répondu le président de la République sur TF1 et France 2. "Bien évidemment, eux-mêmes s'inscrivent dans le cadre de la loi et de l'état de droit", a-t-il déclaré. Il a ensuite ajouté sur les déclarations de Frédéric Veaux: "C'est une décision qui a été prise par un magistrat et donc je ne me prononcerai pas sur celle-ci", rappelant qu'il est "le garant des institutions et aussi de l'indépendance de l'autorité judiciaire".

Le garde des Sceaux a par la suite repris les mots choisis par Emmanuel Macron pour évoquer les propos du directeur général de la police nationale.

"Nul n’est au-dessus de la loi de la République. La justice doit poursuivre son travail dans la sérénité et en toute indépendance", a écrit sur son compte Twitter Éric Dupond-Moretti.

• Une situation "nouvelle"?

Chez plusieurs magistrats spécialistes de la question, le situation présente un caractère inédit au vu du contexte des dernières semaines et d'un besoin pour l'exécutif de ne pas être désavoué par ses forces de l'ordre.

"La nouveauté dans le mouvement actuel, c'est la montée en puissance de cette parole qui venait jusqu'alors des syndicats les plus à droite de la représentation policière. Il y a une incapacité du système à contrôler cette parole et à la contenir", a expliqué à BFMTV.com Me Vincent Brengarth, avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques.

Il a ajouté: "Ces déclarations interviennent toujours dans une situation politique particulière. Si l'exécutif n'apporte pas de gage, il y a un risque de mutinerie. C'est un choix politique d'avoir une expression de solidarité" envers les policiers.

Une pensée reprise ce lundi sur le plateau de BFMTV par Me Arié Alimi: "Pour la première fois, on a des autorités policières, qui relaient une parole exécutive, dans l’objectif de prendre la place de l’autorité judiciaire et peut-être même d’intimider le pouvoir législatif à changer la loi en créant une loi spéciale et d’exception pour les policiers."

• Quelles suites dans l'affaire?

Concernant l'affaire judiciaire, l'appel formé par le policier marseillais qui conteste son placement en détention provisoire sera examiné le 3 août, a annoncé lundi la cour d'appel d'Aix-en-Provence rappelant le principe de séparation des pouvoirs après les propos polémiques du patron de la police.

"Il appartient à l'autorité judiciaire seule de qualifier les faits et de conduire les investigations utiles à la manifestation de la vérité, et ce en toute impartialité et à l'abri des pressions", a-t-elle estimé, ajoutant que "dans un État de droit, la contestation d'une décision de justice ne se conçoit qu'à travers l'exercice des voies de recours".

Une volonté de séparation des pouvoirs et d'éloignement des pressions aussi défendue par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans un communiqué. La justice est "la seule légitime pour décider du placement ou non en détention provisoire des personnes qui lui sont présentées", a-t-il rappelé.

"Le Conseil rappelle que l'autorité judiciaire doit pouvoir accomplir ses missions, à l'abri de toute pression, en toute indépendance et en toute impartialité", ajoute-t-il dans cette "mise au point".

Au même moment, Mathilde Panot, présidente des députés LFI à l'Assemblée, a indiqué sur son compte Twitter saisir le procureur de la République après les propos de Frédéric Veaux "pour des faits pouvant constituer une infraction sur la base de l'article 40 du Code de procédure pénale".

Selon l'article L.434-25 du Code pénal, "le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d'emprisonnement et de 7.500 euros d'amende".

Article original publié sur BFMTV.com