Chaos en Haïti : “Les morts bourdonnent dans ma tête”

Cela fait plus d’une heure que j’erre dans cette chambre de 9 m2. Mes paupières sont lourdes de chagrin. Mon visage est trempé de sueur à cause des faisceaux lumineux du soleil qui entrent par la fenêtre et réchauffent la chambre. Je me sens dans un désert d’ennui. Je contrôle mes pas. Un. Deux. Trois. Quatre. Je fais des allers-retours entre ma petite bibliothèque et mon panier à linge. Je peine à vivre. Je respire la tristesse. Une tristesse infinie.

Plusieurs semaines sans le moindre motif de rire, de pleurer, ni d’écouter les mauvaises nouvelles à la radio. De temps en temps, je sors dans le salon pour guetter, parmi tous les bruits, le pas d’un éventuel visiteur. À chaque jappement de chien, à chaque grincement de porte, à chaque murmure de voix, j’espère l’arrivée d’un ami. Un ami porteur de bonnes nouvelles. Un ami qui me dira que le temps est à la fête. Que la ville a retrouvé son vrai visage. Que les enfants iront à l’école demain.

“Mon cœur comme une blessure à vif”

Ce matin, au téléphone, ma nièce m’a demandé si elle ira à l’école lundi. Plongé dans un silence troublant, les yeux hagards, j’ai regardé l’horizon avec dégoût comme si ma réponse était dans le bleu du ciel. “Dis-moi, tonton.” Silence. “Je te dirai ce soir, Loudemia. Je t’appellerai. Bonne journée. Je t’aime beaucoup. Je t’embrasse.”

Quand j’ai raccroché, j’étais anéanti. Mon cœur était comme une blessure à vif. J’avais honte de ce que la famille aujourd’hui ne peut même pas offrir cela à ma nièce. Cela fait plusieurs semaines que la rentrée scolaire a été renvoyée sine die par le gouvernement.

Je n’ai plus le courage de porter toutes ces incertitudes. Je passe mes journées sur ce lit triste avec parfois un vieux livre à la main. Madame Bovary ou La Promesse de l’aube, que je lis en ce moment. Mais comment lire dans une ville remplie de larmes ? Comment lire dans une ville où l’injustice, la faim, la misère n’inquiètent personne ? Dans une ville où le viol est autorisé par l’État [qui laisse faire les gangs armés] ? Une ville oubliée, abandonnée du reste du monde. Ici, l’aube n’apporte aucune promesse, sinon le désespoir, cher Romain Gary.

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