"Tu seras tondue à la Libération" : pourquoi les politiques passent leur temps à s'insulter ?

Les noms d'oiseaux lancés par des élus semblent se multiplier ces derniers mois, comme très récemment Jean-René Cazeneuve à l'encontre de Cyrielle Chatelain. Un phénomène qui ne doit rien au hasard, selon des spécialistes.

Le député Jean-René Cazeneuve aurait lancé à Cyrielle Chatelain :
Le député Jean-René Cazeneuve aurait lancé à Cyrielle Chatelain : "Tu seras tondue à la Libération". Une menace qui s'inscrit dans un contexte politique où les insultes se multiplient. (Photo Ludovic MARIN / AFP)

"Tu seras tondue à la Libération", aurait lancé un député de la majorité, Jean-René Cazeneuve, à la patronne des députés écologistes Cyrielle Chatelain. Une insulte répétée à la demande de la députée, et prononcée devant témoins, a raconté la députée aux journalistes à l'Assemblée nationale.

Une insulte lancée quelques jours à peine après le "Ferme ta gueule" de Gérard Larcher à destination de Jean-Luc Mélenchon sur RTL.

Avant eux, le député LFI Aurélien Saintoul avait notamment accusé le ministre du Travail Olivier Dussopt d'être un "imposteur" et un "assassin" lors des débats sur la réforme des retraites à l'Assemblée. La député Nupes Danièle Obono avait elle invité "ceux qui instrumentalisent la lutte des femmes en Iran" à "manger leurs morts", en octobre 2022. Une récurrence dans l'insulte qui permet d'écarter l'idée d'un épiphénomène.

Si l'insulte saute aux yeux dans la sphère politique ces dernières années, elle était plutôt rare avant, s'illustration essentiellement par le "casse toi pauvre con", lancé par Nicolas Sarkozy à un badaud qui refusait de lui serrer la main en 2008 au Salon de l'agriculture.

"Une 'Twitterisation' de la vie politique"

"Il y a toujours eu des insultes en politique, mais on note un retour ces dernières années. À la fin du XIXe siècle, elles étaient très fréquentes même au Parlement, mais différentes. Les plus outrancières étaient celles visant la dignité personnelle comme "lâche", "menteur", qui finissaient souvent en duel. Des insultes aujourd'hui davantage banalisées", observe Cédric Passard, auteur de "L’âge d’or du pamphlet" (CNRS éditions).

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Une augmentation de la violence verbale en politique vue comme une "'Twitterisation' de la vie politique, qui est gangrénée par le populisme, par la surenchère verbale. On arrive à une polarisation extrême où le dialogue démocratique est impossible. Les populistes comme Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen en portent la responsabilité", observe de son côté Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de communication politique.

"L'insulte était souvent la ressource des outsiders politiques"

Une hausse du nombre d'insultes utilisées publiquement par les élus ces dernières années qui "s'explique notamment par la fin d'une vie politique longtemps organisée autour de partis comme le PS et l'UMP, puis LR, davantage rodés aux codes de la vie politique et de la bienséance politique. Jusqu'à présent, l'insulte était souvent la ressource des outsiders politiques, ceux qui sont à la marge et cherchent à se faire remarquer, à travers des coups d'éclat, notamment le FN de Jean-Marie Le Pen", estime Cédric Passard, également maître de conférence en sciences politiques à Sciences Po Lille.

Un recours plus facile à l'insulte de la part des politiques qui peut être une stratégie, selon Cédric Passard. "Aujourd'hui, l'insulte peut être une manière de gagner en visibilité, surtout avec les réseaux sociaux, ou de s'inscrire dans une logique de provocation, de scandalisation. Ça permet aussi de jouer une forme de représentativité sociale avec ce qu'on imagine être la langue du peuple, pour s'opposer à la langue de bois politique", poursuit le spécialiste.

"La prochaine étape, c'est l'affrontement physique à l'Assemblée"

Le fait que Gérard Larcher, président du Sénat, troisième personnage de l'État qui brille plutôt par sa discrétion que par ses coups d'éclat, prononce une insulte "montre que les forces populistes font basculer le débat politique vers leur terrain à elles. Gérard Larcher tente de contenir le populisme par le populisme, mais ca ne marche pas. Quand on dit 'ferme ta gueule', c'est pas un débat, c'est un ordre. La prochaine étape, c'est l'affrontement physique à l'Assemblée", redoute Philippe Moreau-Chevrolet.

Une insulte dans la bouche de Gérard Larcher, plutôt inattendue, qui peut aussi s'expliquer par "une dévaluation de l'Homme politique respectueux des règles, de l'Homme de parti, de la langue de bois. L'insulte, le clivage, s'imposent désormais aux Hommes politiques qui sont comme Gérard Larcher, pourtant pas connus pour leur langage cru, au contraire", relève de son côté le maître de conférence en sciences politiques à Sciences Po Lille.

Un recours plus facile et plus fréquent à l'insulte en politique qui inquiète. "On est en train de perdre l'essence du débat politique français, du respect républicain. L'ambition de 2017 d'Emmanuel Macron qui demandait de ne pas siffler ses adversaires mais plutôt de les combattre est maintenant bien loin", redoute Philippe Moreau-Chevrolet.

VIDÉO -"Ferme ta gueule" : Gérard Larcher soutient Ruth Elkrief et s’attaque à Jean-Luc Mélenchon