Cannabis : combien la légalisation rapporterait aux caisses de l'État français ?

Alors que le gouvernement est à pied d'œuvre pour tenter de réduire le déficit budgétaire, la légalisation du cannabis pourrait apporter une manne conséquente.

Strictement opposé à la légalisation du cannabis, le gouvernement se prive de juteuses recettes fiscales. (Photo : Loic VENANCE / AFP)

Et si les fumeurs de joints aidaient à résorber la dette publique ? L'idée peut paraître saugrenue, mais elle mérite au moins d'être étudiée : à l'heure où le ministre de l'économie Bruno Le Maire s'est dit "ouvert à tous les débats" pour tenter de réduire le déficit budgétaire, la légalisation du cannabis à usage récréatif, officielle en Allemagne depuis ce lundi 1er avril, pourrait bien constituer une lucrative source de recettes pour l'Etat français.

Au-delà des considérations morales et sanitaires, sur lesquelles le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s'est récemment prononcé, le poids économique de cette drogue douce n'est pas négligeable, d'autant qu'elle concerne environ 1,3 millions de consommateurs réguliers en France, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).

Une politique répressive inefficace et coûteuse

Alors que les dernières tendances sont plutôt rassurantes concernant la consommation de cannabis (mais aussi de tabac et d'alcool) chez les adolescents, l'importante masse de consommateurs français reste une réalité, pour l'heure largement traitée par l'Etat sous l'angle de la répression. Avec des coûts importants : en 2019, près de 570 millions d'euros d'argent public avaient été dépensés dans la lutte contre le cannabis, d'après un rapport du conseil d'analyse économique (CAE) relayé par TV5.

Depuis, ce chiffre a très probablement encore augmenté, l'actuel ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin ayant mis en place une batterie de nouvelles mesures, dont l'efficacité est remise en cause par les forces de l'ordre elles-mêmes. Jusqu'ici, le cannabis coûte ainsi de l'argent à l'Etat français et donc au contribuable. La situation pourrait-elle s'inverser en cas de légalisation ? Pour tenter de répondre à cette question, intéressons-nous aux exemples récents dans les pays occidentaux.

Fortunes diverses aux Etats-Unis

Le mouvement en cours de légalisation progressive a été initié il y a un peu plus d'une dizaine d'années aux Etats-Unis. Au total, une vingtaine d'Etats ont emboîté le pas du Colorado, qui avait été le premier fin 2012. Le marché du cannabis légal a rapidement pris de l'ampleur et assuré de juteuses recettes fiscales à l'état fédéral. Entre 2014 et 2022, les taxes sur le cannabis auraient ainsi généré un revenu total supérieur à 15 milliards de dollars (environ 14 millions d'euros), d'après une étude du Marijuana Policy Project.

Avec une croissance exponentielle sur les premières années, puis une relative stabilité à moyen terme, ces recettes fiscales constituent une manne bienvenue pour les Etats concernés. A condition de bien maîtriser le trafic. En Californie, le marché du cannabis légal a en effet perdu en valeur au fil des années, d'après BFM Business, car l'Etat n'a pas réussi à imposer aux vendeurs un prix suffisamment bas pour concurrencer le marché noir. À New York, c'est la question du "marché gris" qui pose problème, comme le rapporte Forbes : largement majoritaires, les dispensaires sans licence privent en effet les autorités d'importantes recettes fiscales.

Jackpot pour l'Etat canadien

Le cas du voisin canadien est sans doute encore plus intéressant puisqu'en 2018, c'est le pays tout entier qui a entériné le passage au cannabis récréatif légal. Depuis, ce dernier s'est idéalement développé, supplantant progressivement le marché noir, au point que certains considèrent le Canada comme un exemple vertueux en matière de légalisation.

En un peu moins de cinq ans, les ventes de cannabis légal ont littéralement décuplé, passant d'un montant de 42 millions de dollars en octobre 2018 à une manne avoisinant les 446 millions de dollars pour le seul mois de juillet 2023, selon La Tribune. Logiquement, les recettes fiscales ont suivi. En 2022, un rapport du cabinet Deloitte a ainsi établi que la légalisation du cannabis avait permis de générer au total 15,1 milliards de dollars de revenu fiscal sur la période 2018-2021.

La légalisation du cannabis, booster d'activité économique

Le cabinet d'audit insiste ainsi sur l'activité économique générée par l'épanouissement de ce secteur, qui a notamment permis la création de 151 000 nouveaux emplois entre 2018 et 2021. Au total, le cannabis aurait largement bénéficié au produit intérieur brut (PIB) canadien en lui injectant un peu plus de 43 milliards de dollars sur la période. Du strict point de vue économique, on comprend donc que les avantages de la légalisation du cannabis sont nombreux et qu'ils ne se limitent pas au secteur privé.

Pour ce qui est de la France, une étude publiée en 2018 dans la revue Economie et Précision (éditée par la Direction générale du Trésor) avait d'ailleurs déjà tenté de mesurer l’impact que pourrait avoir la légalisation sur les finances publiques "en ajoutant les recettes fiscales prélevées sur la vente de cannabis et les dépenses publiques de soins, de prévention et de répression".

Jusqu'à 2,8 milliards d'euros par an à l'Etat français

"En additionnant les recettes fiscales et les économies réalisées en termes de dépenses publiques, on constate que les régimes de légalisation contribuent positivement au solde des finances publiques pour un montant annuel compris entre 354 millions à plus de 1,1 milliard d’euros", avaient à l'époque conclu les chercheurs Christian Ben Lakhdar et Pierre-Alexandre Kopp, auteurs de l'article.

En juillet 2019, une autre étude, réalisée par des économistes du CAE, avait confirmé cette ordre de grandeur et même réévalué la fourchette à la hausse. Les auteurs de l'article ont ainsi estimé que dans le scénario le plus optimiste, la légalisation du cannabis pourrait rapporter jusqu'à 2,8 milliards d'euros par an à l'Etat. De quoi donner des idées au gouvernement qui a récemment annoncé que le budget 2024 serait amputé de 10 milliards d'euros, notamment en raison d'un défaut de recettes fiscales ?