César 2024 : en plein MeToo du cinéma, tout le monde se demande si la cérémonie sera à la hauteur du moment

Les César seront-ils à la hauteur du moment que traverse l’industrie ?
CHARLY TRIBALLEAU / AFP Les César seront-ils à la hauteur du moment que traverse l’industrie ?

CINÉMA - On l’attendait depuis 2017, mais à chaque nouvelle affaire, elle se dérobait. La vague MeToo du cinéma français semble désormais bel et bien là. Quatre ans après le sacre scandale de Roman Polanski et le départ de la cérémonie d’Adèle Haenel, les César sont donc très attendus ce vendredi 23 février. Avec une question omniprésente : seront-ils à la hauteur du moment que traverse le secteur ?

Le cinéma français, mauvais élève de la révolution MeToo ?

Premier signe des temps qui changent : Judith Godrèche, qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon (deux anciens nommés aux César) pour viol sur mineure, est invitée à faire un discours pendant la cérémonie. Un rassemblement est aussi prévu devant l’Olympia par la CGT du Spectacle pour protester contre « les violences » et « les silences » du milieu.

« La responsabilité des César est double parce qu’ils ont à la fois une responsabilité au sein de notre milieu professionnel et une autre d’ordre sociétal et public », résume auprès du HuffPost l’actrice Alice de Lencquesaing, membre de l’Association d’acteur.ices féministe et anti-raciste (ADA).

Le cinéma longtemps « à l’écart des droits de l’homme »

Une responsabilité longtemps balayée par les César, qui se voulaient une célébration du glamour français, volontairement aveugle aux mécanismes de domination qui régnaient dans le milieu. Alain Terzian, qui a présidé l’Académie de 2003 jusqu’à son exclusion en 2020, estimait ainsi au sujet de l’affaire Weinstein que cela « ne pourrait pas se produire en France parce qu’en France, on est trop attaché au projet artistique pour se permettre ce genre de pratique ». Le producteur avait même tenté de confier la présidence de la cérémonie de 2017 à Roman Polanski, déjà accusé de viol par plusieurs femmes.

« Pendant longtemps, le cinéma et l’audiovisuel se sont sentis un petit peu à l’écart des droits de l’homme et des droits du travail », analyse Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50, qui lutte pour l’égalité, la parité et la diversité dans l’industrie. « Il est temps d’affirmer que ce n’est plus possible et qu’on ne peut pas faire la promotion de crimes ou d’agissements répréhensibles par la loi. »

« Avoir la place de prendre la parole »

Pour que les César prennent leurs responsabilités, il faut que la cérémonie mette de côté les paillettes pour offrir une tribune aux victimes. Mais si du côté des organisateurs on veut bien donner la parole, il faudra tout de même qu’elle soit « polie » et planifiée à l’avance. « D’abord, on fête le cinéma et on remet les récompenses. Ensuite, tout le monde peut tout dire à partir du moment où il est attendu et invité sur scène. Évidemment, il faut respecter une certaine politesse et bienséance », a expliqué Gérald-Brice Viret, le directeur général des antennes et des programmes de Canal +, au Parisien. Avant de prévenir : « toute intervention qui n’est pas prévue dans le cadre des remettants ou de ceux qui vont recevoir les prix sera coupée à l’antenne. »

Une « bienséance » qu’il faudrait peut-être justement dépasser. « Le cinéma, ce n’est pas glamour, c’est peut-être ce grand mensonge-là qu’il faudrait détruire, estime l’actrice Ariane Labed, membre de l’ADA. On a vu à quel point cette cérémonie est un lieu qui peut être d’une grande violence et qui a un pouvoir énorme. Alors avoir la place de prendre la parole, et parler de ce qui se passe dans le cinéma aujourd’hui, c’est essentiel. »

« Non-mise en lumière » des personnes mises en cause

Quid des personnes accusées de violences ? En 2023, l’Académie des César avait annoncé une « non-mise en lumière » des nommés mis en cause par la justice, pour répondre à la mise en examen pour « viol » et « violence sur conjoint » de Sofiane Bennacer, acteur des Amandiers.

Les César 2023 changent la forme… mais pas le fond ?

Une mesure reconduite cette année. Les César ont ainsi annoncé que « si les votants décidaient d’attribuer un César à une personne faisant l’objet d’une mise en cause judiciaire, ce vote ne donnerait lieu à aucune remise de prix sur scène ni à aucun discours par ou pour la personne concernée ». Sont concernées les personnalités mises en examen ou condamnées, mais pas celles qui font uniquement l’objet d’une plainte.

Pour l’enseignante-chercheuse en études cinématographiques Chloé Delaporte, autrice de La Culture de la récompense (éd. Presses Universitaires de Vincennes), ces mesures restent « de la demi-teinte timorée ». « Qu’est-ce que ça veut dire cette non-mise en lumière ?, s’interroge-t-elle. Il y a un moment vous récompensez ou vous ne récompensez pas, mais on sent une hésitation. Ça participe de la minoration de ce que sont les violences sexistes et sexuelles dans le champ du cinéma français. »

Des acteurs beaucoup trop silencieux

Mais un sujet revient dans presque toutes les interviews : le silence des hommes de l’industrie. « Les acteurs où sont-ils ?, s’interroge Chloé Delaporte. Les violences sexistes et sexuelles, elles se passent sur les plateaux, il y a très souvent des témoins. Où sont ces gens-là en ce moment ? On ne les entend pas. Personne ne se mouille. »

Un constat partagé par Michel Scotto Di Carlo et Nathalie Mann de l’Association des actrices et acteurs de France associés (AAFA), qui soulignent qu’on « n’entend pas beaucoup les hommes » : « C’est regrettable, parce que ce changement est bénéfique pour tout le monde, pas que pour les actrices. »

Les membres de l’ADA se disent, elles, « outrées » par ce silence. Pour Ariane Labed, la cérémonie de ce soir est l’occasion d’une prise de parole. « Si on peut attendre une chose évidente, et si elle n’arrive pas, c’est quand même dramatique, c’est que certains hommes acteurs prennent enfin la parole pour nous soutenir », espère-t-elle.

La « frilosité » du cinéma français sur les inégalités

L’actrice souligne aussi d’autres domaines sur lesquels les César et le cinéma français dans son ensemble doivent faire leur examen de conscience. « Le fait que les César cette année soient si blancs est aussi un problème qu’ils doivent prendre en compte », estime-t-elle. En 2015, le hashtag #OscarsSoWhite soulignait le manque de diversité et d’inclusion des prix les plus prestigieux du cinéma américain. Neuf ans plus tard, le sujet reste un impensé des César, et ce, malgré le discours d’Aïssa Maïga en 2020.

« Son discours a fait scandale, se souvient Chloé Delaporte. Et même au sein du milieu, on a jeté un voile pudique sur ce qu’elle a dit et ce n’est pas pour autant que ça a changé quelque chose. Il y a une espèce de frilosité, dans le milieu du cinéma français, à s’emparer des questions des rapports de domination, d’invisibilisation des minorités, qu’elles soient de genre, de race ou encore de classe. »

Un travail qui va se jouer sur le long court. Car, quoi qu’il arrive lors de la cérémonie, la soirée des César n’est qu’une étape dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et les inégalités qui sévissent dans le milieu du cinéma. Et si discours il y a, ils devront être suivis par des actions. Pour Michel Scotto Di Carlo, toutes les avancées « sont bonnes à prendre mais rien n’est encore suffisant. Il faut que derrière ce soit suivi d’effets. C’est le travail des associations comme la nôtre, une fois que les paroles auront été prononcées, de faire acte de vigilance pour qu’elles soient transformées en actions concrètes. »

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