Budget : « Echanges matin, midi et soir »… Pour la CMP, « les négociations ont commencé »

Les parlementaires n’en ont pas fini avec le budget. Après l’adoption du projet de loi de finances (PLF) 2025 par le Sénat jeudi, un texte marqué par de nombreuses coupes budgétaires nouvelles, tous les regards sont maintenant tournés vers la commission mixte paritaire (CMP). C’est dans ce conclave parlementaire, où sept députés et sept sénateurs vont tenter de trouver un texte commun, que beaucoup va se jouer (lire ici pour plus de détails sur la CMP). La CMP sur le budget est d’ordinaire moins sensible. Elle se conclut généralement par un désaccord et les députés ont à la fin le dernier mot. Cette année, entre la majorité relative et le risque de censure, la CMP prend une importance cruciale et jamais vue, en réalité.

Les discussions avec les socialistes vont de nouveau être clefs. Le PS a négocié, avant la déclaration de politique générale, un accord de non-censure avec le gouvernement. Mais après les 6,3 milliards d’euros d’économies supplémentaires votées au Sénat, ce coup de rabot quasi généralisé passe très mal à gauche. Sans compter sur le vote de la droite sénatoriale contre la non-suppression de 4.000 postes de professeurs, que les socialistes vivent comme une provocation. Le sujet était pourtant dans l’accord conclu avec François Bayrou.

« On a envoyé l’artillerie lourde », lance Patrick Kanner

Alors avant la CMP, prévue jeudi 30 janvier, à partir de 9h30, les socialistes font de nouveau monter la pression. Signe de l’importance de ce conclave parlementaire, les deux présidents de groupes de l’Assemblée et du Sénat, Boris Vallaud et Patrick Kanner, seront présents dans la salle comme suppléants. « On a envoyé l’artillerie lourde », sourit le patron des sénateurs PS.

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L’histoire des 4.000 professeurs sera un point sensible. « Ce vote, je le prends très mal. C’est une très mauvaise manière, que le groupes qui participent au gouvernement ne respectent pas les négociations menées par leur gouvernement », s’étonne Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. Pour lui, « il y a des frondeurs. Le groupe LR et centriste ont frondé contre leur gouvernement », lance le sénateur PS du Nord, qui rappelle que « la négociation était finie. J’ai une lettre de François Bayrou qui vaut engagement pour moi. Si elle ne vaut rien, il y a un problème. J’espère que les membres de droite de la CMP respecteront cet engagement ». « On ne lâchera rien sur ça », prévient Patrick Kanner, qui insiste : « Si les négos consistent à dire, on est d’accord et si au premier vote, ça ne tient pas, il y a un petit problème. Donc ça va être chaud ».

« Tout dépend de la négociation qui va avoir lieu dans les prochains jours » pour Alexandre Ouizille (PS)

Mais les socialistes ne sont pas tous parfaitement alignés, ce qui complique la donne, côté PS. 8 députés socialistes, sur les 66 que compte le groupe, ont voté la censure malgré la position arrêtée par le parti. Depuis, un petit groupe informel s’est formé – « l’amicale des censures », raille un socialiste qui n’en est pas – pour peser et défendre une ligne plus dure.

Le sénateur PS de l’Oise, Alexandre Ouizille, en est l’un des instigateurs. « On a toujours considéré que la négociation était une bonne chose. Qu’il fallait la mener à son terme », cadre tout de suite le sénateur de l’Oise, « mais lors de la déclaration de politique générale, on a considéré que le compte n’y était pas. J’ai appelé ça une censure d’étape », explique-t-il.

Mardi dernier, aux côtés de la porte-parole du PS, Chloé Ridel, ils se sont retrouvés pour un dîner discret avec les partisans de cette ligne. Alexandre Ouizille, qui craint au fond « une réhollandisation du PS », car « la ligne de François Hollande avait conduit le PS là où il en était », entend mettre la pression sur les négociateurs pour aller plus loin.

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« Maintenant, tout dépend de la négociation qui va avoir lieu dans les prochains jours », avance le sénateur, qui prévient : « Quand le texte sort du Sénat avec un près d’un milliard en moins pour l’écologie, l’année des inondations de Valence ou celle du Pas-de-Calais, évidemment que ce n’est pas possible ». Il attend plus aussi sur « le pouvoir d’achat, qui est essentiel pour nous », via une mesure sur la « prime d’activité ». La santé aussi, où il attend « un engagement du gouvernement pour que les médecins arrivent en zone rurale ou périurbaine, en régulant leur installation », ou encore « la sanctuarisation de l’aide médicale d’Etat », que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a dans le viseur. Il résume :

La censure, ce n’est pas un dogme. La question, c’est ce que le gouvernement met sur la table.

« Demain, on va voir les ministres »

Pour espérer trouver un nouvel accord, les discussions ont en réalité déjà débuté. Une CMP commence toujours en réalité en amont, par des réunions informelles préparatoires. « Les négociations ont commencé avec les directeurs de cabinet dès mercredi soir », confirme Patrick Kanner, « et demain, on va voir les ministres », confie le socialiste. Le week-end s’annonce déjà studieux. D’ici jeudi prochain, chaque jour compte en réalité. « Il y a des échanges tout le temps, matin, midi et soir », « des rencontres officielles », mais aussi plus officieuses. Dont certaines peuvent surprendre. « J’ai des coups de fil de ministres tous les jours, notamment de ministres qui me demandent de les aider… C’est le monde à l’envers ! » s’étonne le président du groupe PS.

Pour mettre de l’huile et commencer à donner des gages, la niche parlementaire du groupe PS, cette semaine, à l’Assemblée, a été une première occasion. « Le vote de la proposition de loi Jomier (sénateur PS, ndlr), c’est une victoire politique. Et le gouvernement a laissé passer », note Patrick Kanner.

« Se mettre d’accord au sein du socle commun ne sera pas très compliqué »

A droite, les échanges ont aussi commencé. « Je travaille avec le rapporteur de l’Assemblée », explique Jean-François Husson, rapporteur général LR du budget au Sénat. « On regarde les amendements du Sénat retenus, on essaie de préparer une voie d’atterrissage », explique le sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle. « Il y a un certain nombre de réunions qui sont organisées, pour avoir des échanges. On se prépare. Il y a beaucoup de points à regarder. Et si on ne veut pas que ça dure des jours et des nuits, ça se prépare », ajoute Christine Lavarde, cheffe de file des sénateurs LR sur le budget et présente à la CMP. On lui a quand même « dit de réserver jusqu’à deux jours ».

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La majorité gouvernementale (bloc central macroniste et LR) ayant la majorité en CMP, celle-ci devrait en toute logique être conclusive. « Se mettre d’accord au sein du socle commun ne sera pas très compliqué. Après, il faudra voir ce qu’on va nous demander d’accepter en compromis pour obtenir le vote de la gauche », souligne Christine Lavarde. Mais pour l’heure, trop tôt pour le dire, selon la sénatrice LR des Hauts-de-Seine : « Je ne sais pas ce qui sera lâché ou pas au PS. Il va y avoir une semaine de réunion jusqu’à la CMP ».

Mais la droite, bien que membre du gouvernement, ne veut pas trop lâcher au PS. « On saura faire preuve de responsabilité, mais il ne faut pas aller trop loin dans ce qu’on va demander aux uns et aux autres. Sachant que le risque n’est pas tant au Sénat, qu’à l’Assemblée », avance la sénatrice LR.

« Il y a des mesures irresponsables. Maintenir le nombre d’enseignants, c’est l’enjeu financier pour l’avenir », alerte Christine Lavarde (LR)

Alors que la non-suppression de 4.000 enseignants est en haut de la pile pour le PS, Christine Lavarde freine sur le sujet. « Il y a des mesures irresponsables. Maintenir le nombre d’enseignants, c’est l’enjeu financier pour l’avenir. Ce n’est pas tant la charge pour 2025 que le coût poursuivi sur les années suivantes. Et il y a quand même une démographie qui baisse », avance Christine Lavarde, qui admet quand même que « c’est un sujet de discussion ».

« Il n’y a pas de ligne rouge. Mais ce n’est pas non plus porte ouverte », ajoute Jean-François Husson. Reste qu’une question se pose : les LR sont-ils solidaires de l’accord conclu par François Bayrou avec le PS, et donc du gouvernement ? « Ce n’est pas un problème de solidarité. C’est d’abord un problème de changement permanent », répond le rapporteur LR, qui « croi(t) que les ministres ont découvert la prise de position du premier ministre sur les suppressions de postes, quand il est venu le dire devant les sénateurs ».

« On se prépare à une épreuve qui risque d’être aussi physique que la CMP sur l’immigration »

On le voit, il reste du travail avant de voir une fumée blanche. Mais Jean-François Husson assure de sa « volonté d’aboutir », malgré une « ligne de crête étroite ». Une chose est certaine : la CMP devrait durer. Les parlementaires devront s’armer de café. « De café mirabelle ! » sourit l’un des futurs participants. Il faudra bien quelques remontants pour tenir.

« On se prépare à une épreuve qui risque d’être aussi physique que la CMP sur l’immigration », confirme Patrick Kanner, mais il prévient : « On n’acceptera pas n’importe quoi ». C’est exactement ce que disent aussi les LR…