"On est dans le brouillard" : le difficile suivi de l'épidémie de Covid-19

Le dispositif de suivi et de surveillance du Covid-19 a été considérablement allégé. Au point de ne plus pouvoir évaluer l'évolution de la pandémie ?

Alors qu'un premier cas de variant BA.2.86 a été détecté en France, que l'analyse des eaux usées montre une recrudescence de l'épidémie et que les derniers chiffres indiquent une hausse des passages aux urgences pour suspicion de Covid-19, comment, trois ans après le début de la pandémie, continue-t-on de suivre l'évolution du SARS-CoV-2?

"Nous n'avons qu'une idée fractionnée de la situation", regrette pour BFMTV.com l'épidémiologiste Dominique Costagliola, membre de l'Académie des sciences et directrice de recherche émérite à l'Inserm.

Car depuis le mois de juillet dernier, le portail Sidep -pour système d'information de dépistage populationnel- lancé au printemps 2020 afin de suivre la pandémie a été fermé. Une fermeture prévue par la loi mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie de covid.

Ce système permettait un suivi exhaustif de l'ensemble des tests -PCR et antigéniques- effectués dans les hôpitaux, laboratoires, pharmacies mais aussi les cabinets infirmiers ou de médecins. Il donnait le nombre de nouveaux cas quotidiens, le taux de positivité, de dépistage, d'incidence ou encore de reproduction du virus.

Si un nouveau logiciel, Néo-Sidep, permet de collecter les résultats des tests en laboratoire, cela ne concerne pas ceux réalisés en pharmacies ni les auto-tests. Et les données ne sont pas publiques. En ce qui concerne la situation à l'hôpital, les nombres d'hospitalisations de personnes positives, d'entrées en soins intensifs ou de nouvelles admissions en réanimation ne sont plus communiquées.

"Au doigt mouillé"

Alors, sommes-nous devenus aveugles sur le suivi de l'épidémie ? "En partie", observe Dominique Costagliola, également directrice adjointe de l'Institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique, vice-doyenne de la faculté de médecine Sorbonne Université. "On fait tellement peu de tests, y compris à l'hôpital, que ce n'est pas représentatif."

"Sur le nombre de cas, sur le type de variant, on n'a pas d'information fiable. C'est au doigt mouillé."

Seules données disponibles: les motifs de passage aux urgences qui font l'objet d'un bulletin hebdomadaire de Santé publique France ainsi que les visites à domicile de SOS médecins. Pour les premiers, après une dernière semaine de hausse chez les 2-14 ans et une précédente dans toutes les classes d'âge, les passages aux urgences pour suspicion de Covid-19 sont stables chez les adultes, indique le dernier bulletin Oscour.

Quant aux actes médicaux de SOS médecins pour suspicion de Covid-19, l'augmentation se poursuit également: +19% du 18 au 24 septembre, note le dernier bulletin national d'information, après une précédente hausse qui était déjà de 19%.

Pour quelle incidence? D'après le réseau de veille sanitaire Sentinelles, le taux d'incidence des cas de Covid-19 -présentant des signes respiratoires vus en consultation de médecine générale- est estimé à 95 cas pour 100.000 habitants.

"Ce taux est en augmentation par rapport à la semaine précédente (qui était alors de 81 cas pour 100.000 habitants, NDLR), soit 49.248 nouveaux cas", écrit le dernier bulletin. Des données obtenues à partir des observations de 558 médecins généralistes et pédiatres qui participent à ce réseau.

"On est dans le brouillard"

Alors que le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a indiqué dans une interview à La Montagne un taux d'incidence "autour de 41 nouvelles contaminations par jour pour 100.000 habitants", l'épidémiologiste Dominique Costagliola pointe le fait que ces chiffres ne correspondent pas à ceux de Santé publique France.

"On ne nous communique pas le nombre total de tests réalisés, donc je ne vois pas comment on peut parvenir à estimer l'incidence. Ce qui me fait dire qu'on ne peut pas caractériser l'ampleur de la situation actuelle."

"On est plutôt dans le brouillard", nuance pour BFMTV.com Mircea Sofonea, chercheur et maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l'université de Montpellier. "Un brouillard qui s'est installé progressivement." Car selon lui, avant même la disparition de Sidep et Sivic (pour les données hospitalières), "la visibilité sur l'épidémie était déjà moindre du fait de la baisse du dépistage".

Si cet épidémiologiste confirme que la reprise est attestée -"avec une incidence plus forte que certaines vagues précédentes"- il estime que les données actuelles comportent des biais, qu'elles sont trop parcellaires et ne se recoupent pas.

"Si la situation se dégrade, on ne saura pas quel indicateur croire."

"Un risque de symptômes persistants"

Pour contrer ce brouillard, il aurait fallu, selon Mircea Sofonea, mettre en place un système de substitution réactif de suivi; comme cela a pu être fait dans d'autres pays avec notamment le dépistage aléatoire de la population. Mais il déplore le manque d'intérêt et d'investissements des autorités françaises dans le suivi et la surveillance du Covid. Lui-même voit ses demandes de financement refusées afin de poursuivre ses recherches.

"Le problème du Covid, ce n'est plus la saturation des services de réanimation, bien que l'hiver dernier la situation ait été très compliquée dans les services pédiatriques."

"C'est le fait qu'on ait un virus qui circule, qui peut nous infecter plusieurs fois dans la même année, avec un risque non négligeable de symptômes persistants et invalidants."

Les infections répétées au Covid peuvent en effet présenter un risque accru de développer des problèmes cardiaques et pulmonaires, des affections cérébrales, des maladies rénales ou du diabète.

Eaux usées et séquençage

Autre piste: la surveillance des eaux usées. C'est justement la mission du réseau Obépine - l'Observatoire épidémiologique dans les eaux usées - créé lors de la crise sanitaire du Covid-19 qui a récemment observé une recrudescence de l'épidémie. Mais seule une trentaine de stations d'épuration sur les quelque 21.000 stations de traitement des eaux usées que compte la France sont suivies. Le réseau national Sum'eau, dédié à la surveillance microbiologique du virus, devait prendre le relais mais aucune donnée n'a encore été publiée.

"La surveillance des eaux usées est un bon indicateur précoce de rebond ou de déclin de l'épidémie", reconnaît Mircea Sofonea. "Mais cela ne nous donnera que la concentration de SARS-CoV-2, pas le nombre de cas ni la taille de l'épidémie", met-il en garde.

Reste une interrogation: la surveillance des variants. Pour Dominique Costagliola, elle est à l'heure actuelle insuffisante. "On nous dit que les variants sont surveillés. Mais dans le dernier point de Santé publique France sur les variants, c'est moins de 200 séquences (le séquençage du virus permet de savoir s'il a muté, NDLR) qui ont été réalisés." L'épidémiologiste Mircea Sofonea abonde: "À moins de 500 séquences, il ne faut pas s'attendre à détecter un nouveau variant, vous passez à côté."

Mais plutôt que de s'interroger sur la dangerosité de tel ou tel nouveau variant, Dominique Costagliola estime qu'il serait préférable d'adopter des mesures durables. De la qualité de l'air intérieur dans les écoles, hôpitaux et Ehpad à un système de surveillance efficace afin que la population soit bien informée et prenne ses dispositions.

"C'est un problème de santé publique qui justifie d'investir mais la France fait comme s'il n'existait plus."

Initialement prévue pour débuter le 17 octobre, "au vu des circonstances épidémiologiques", le ministère de la Santé a décidé d'avancer la nouvelle campagne de vaccination à ce lundi.

Article original publié sur BFMTV.com

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