« Bouddhisme, la loi du silence » sur Arte : Ce qu’il faut savoir sur le documentaire

L’inaction du dalaï-lama, filmé ici en 1993 en Inde lors d’une réunion au sujet « des problèmes éthiques » de certains maîtres bouddhistes tibétains, est pointée du doigt dans le documentaire.
L’inaction du dalaï-lama, filmé ici en 1993 en Inde lors d’une réunion au sujet « des problèmes éthiques » de certains maîtres bouddhistes tibétains, est pointée du doigt dans le documentaire.

L’inaction du dalaï-lama, filmé ici en 1993 en Inde lors d’une réunion au sujet « des problèmes éthiques » de certains maîtres bouddhistes tibétains, est pointée du doigt dans le documentaire.

RELIGIONS - Viols, coups, privation de nourriture... Loin de son image bienveillante, le bouddhisme tibétain est visé depuis plusieurs années par des accusations de violences physiques et sexuelles à l’encontre de centaines de disciples à travers le monde, dont des enfants. Un documentaire, diffusé ce mardi 13 septembre et déjà disponible sur le site d’Arte, recueille les témoignages, à visage découvert, de plusieurs victimes. Un livre plus large est également publié ce 14 septembre aux éditions JC Lattès.

Dans le documentaire, trois maîtres tibétains sont nommément mis en cause, même si les deux journalistes, Élodie Emery et Wandrille Lanos, ont reçu des témoignages visant « plus d’une dizaine de maîtres enseignant partout en Occident », explique Élodie Emery au HuffPost.

Premier accusé : Robert Spatz, fondateur de la communauté bouddhiste « Ogyen Kunzang Choling (OKC) » créée dans les années 1970. Celle-ci est présente en Belgique, en France, en Espagne ou encore au Portugal. Fin 2020, l’homme a été condamné en appel à Liège à 5 ans de prison avec sursis et à des réparations financières pour ses victimes. Il s’est pourvu en cassation.

Une autre instruction est également ouverte en France. En plus de Robert Spatz, elle vise d’autres éducateurs du centre OKC de Castellane, au cœur des gorges du Verdon dans les Alpes-de-Haute-Provence. Plusieurs victimes, enfants dans les années 1980-1990, témoignent de viols ou de maltraitances subis au « Château-de-Soleils », où vivaient alors une soixantaine de mineurs.

Robert Spatz est accusé d’avoir imposé des « transferts d’énergie » à des fillettes, les invitant à se dévêtir et à avoir des rapports sexuels, présentés comme un chemin pour progresser sur la voie spirituelle.

Le dalaï-lama et Matthieu Ricard accusés d’inaction

Autre figure du bouddhisme mis en cause : Sogyal Rinpoché, auteur du best-seller Le Livre tibétain de la vie et de la mort publié en 1993 et à l’origine de l’ouverture de 117 centres Rigpa dans le monde, dont celui de Lerab Ling près de Montpellier. Ce proche du dalaï-lama est accusé d’avoir violenté et exploité des dizaines de ses disciples proches, et violé des femmes dont il s’entourait jour et nuit.

« J’ai commencé à enquêter sur ces accusations en 2011 quand je travaillais au journal Marianne. Tout a commencé par le témoignage de ’Mimi’, une Française restée près de 3 ans à son service. Au début, je croyais avoir affaire à un phénomène isolé. Mais après les premières publications et au fil des années j’ai été contactée par d’autres personnes accusant d’autres maîtres », explique Élodie Emery. Le Tibétain n’a cependant jamais été inquiété judiciairement avant sa mort en août 2019, malgré les signalements de Mimi à la gendarmerie.

Le dalaï-lama et Sogyal Rinpoche (à droite de la photo) inaugurent le temple Lerab Ling de Roqueredonde dans l’Hérault le 22 août 2008, en compagnie de Carla Bruni-Sarkozy.
PASCAL GUYOT / AFP Le dalaï-lama et Sogyal Rinpoche (à droite de la photo) inaugurent le temple Lerab Ling de Roqueredonde dans l’Hérault le 22 août 2008, en compagnie de Carla Bruni-Sarkozy.

PASCAL GUYOT / AFP

Le dalaï-lama et Sogyal Rinpoche (à droite de la photo) inaugurent le temple Lerab Ling de Roqueredonde dans l’Hérault le 22 août 2008, en compagnie de Carla Bruni-Sarkozy.

« Il a fallu toutes ces années pour mettre en évidence que ces accusations ne relevaient pas de faits divers isolés mais de quelque chose de systémique, qui se répète. Il est d’ailleurs probable que notre enquête conduise à de nouvelles révélations », estime Élodie Emery, précisant que « ces faits étaient connus par les autorités spirituelles ».

Le manque de réactions et de condamnations du dalaï-lama et d’autres figures du bouddhisme tibétain en Occident est également pointé du doigt. Des images d’archives, exhumées pour la première fois à la télévision, sont également diffusées dans ce documentaire. Elles montrent une réunion entre le chef spirituel et une vingtaine d’enseignants bouddhistes occidentaux, tenue en mars 1993 à Dharamsala - lieu de son exil en Inde - à propos de graves « problèmes éthiques ».

Dans cette séquence, le dalaï-lama garantit que « tous les efforts devront être entrepris » et se dit prêt à en parler pour aider les disciples et les victimes à ne plus se taire et se laisser faire. Il explique cependant ne pas vouloir porter « l’ensemble du fardeau sur ses épaules », s’en amusant même. Ces promesses du Prix Nobel 1989 resteront lettre morte.

« Ce n’est pas la seule fois qu’il a été questionné sur ces abus. Il a toujours répondu que les disciples se devaient de les dénoncer. Mais, en privé, son bureau conseille aux victimes de s’éloigner du maître sans faire de bruit. Dénoncer son maître, c’est inapplicable sans le soutien et l’appui de l’institution, car les personnes sont accusées de mensonges et ostracisées », précise la journaliste, ajoutant que le dalaï-lama n’est pas la seule figure de la religion à rester dans le silence ou l’inaction.

« Ma condamnation des actes de Robert Spatz, de Sogyal Rinpoché et des faux maîtres est totale », a réagi sur son blog Matthieu Ricard, figure médiatique du bouddhisme tibétain en France. Ce dernier assure avoir condamné ces pratiques à plusieurs reprises, avertissant les disciples des risques de tomber sur « un faux maître » ou des « charlatans à éviter à tout prix ». Il assure n’avoir jamais été en possession d’informations non publiques ou n’ayant pas déjà été transmises à la justice.

Il accuse également les deux journalistes de lui avoir caché l’objet réel de leur travail pour obtenir une interview. « Il a fait pression sur la chaîne pour que l’on ne diffuse pas ses réponses », explique Élodie Emery. « Il n’a pas envie d’associer son image à ces scandales. Il nous avait pourtant d’abord expliqué qu’il souhaitait présenter sa compassion pour les victimes. Mais en refusant de répondre, on n’a pas sa réponse ou sa contradiction face à ces témoignages. L’autre problème, c’est que les avocats de Robert Spatz utilisent son nom et sa caution pour défendre leur client, car Matthieu Ricard l’a adoubé en se rendant plusieurs fois dans ses centres. La dernière visite n’est pas si lointaine. Elle remonte à 2019. C’est dommage qu’il n’ait pas profité de ces témoignages et de ce long travail d’enquête pour annoncer la mise en place d’actions fortes », conclut la journaliste.

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