« Un beau matin », un film tout sauf polarisé à l’heure du débat sur la fin de vie

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Les Films du Losange

CINÉMA - À qui revient notre décision de mourir ? Dans quelles conditions pourrait-on la prendre ? Alors que l’État français a récemment lancé une Convention citoyenne sur la fin de vie, un nouveau film tout en nuances signé Mia Hansen-Løve sort sur les écrans, ce mercredi 5 octobre, avec de quoi nous faire réfléchir « librement » sur le débat.

Ce n’est pas le sujet premier du film, le huitième de la réalisatrice française (Bergman Island, L’Avenir, Un amour de jeunesse). L’histoire d’Un beau matin, c’est celle de Sandra (Léa Seydoux), une jeune maman qui élève seule sa fille depuis la disparition de son partenaire il y a cinq ans. Le père de Sandra (Pascal Gregory) est malade. Il est atteint d’une maladie dégénérative grave. Il perd la mémoire et progressivement la vue.

Alors qu’elle s’engage pour lui trouver un lieu sûr en Ehpad, Sandra croise, par hasard, le chemin d’un ami perdu de vue, Clément (Melvil Poupaud). Lui est en couple, mais va vivre avec Sandra une relation passionnée. Derrière le récit de cette renaissance se dissimulent le manque, l’absence, les adieux et tous les enjeux qu’entraînent le deuil ou la maladie. Les discussions autour du choix de continuer à vivre ou de mettre un terme à ses jours en font partie.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce du film :

Un jour, alors que Sandra rend visite à son père à l’hôpital, celui-ci la prend entre quatre yeux. Il est confus. Il dit avoir du mal à dormir. Il aimerait pouvoir s’endormir pour de bon. Sandra croit comprendre qu’il lui demande d’être euthanasié. « Ce qui à mes yeux est très douloureux dans cette scène, et c’est pour ça que je l’ai écrite, c’est que nous ne sommes pas sûrs de ce qu’il demande vraiment, nous explique la cinéaste. Il y a vraiment un doute. »

« Si on a envie de le faire, on devrait avoir le droit de le faire »

L’ancien prof de philo brillant qu’il était n’a, aujourd’hui, plus toute sa tête. « Ce que je trouve cruel, c’est qu’il ne puisse même pas formuler sa demande », continue Mia Hansen-Løve. Le scénario d’Un beau matin est né de son histoire personnelle, lorsqu’elle a été confrontée à la maladie de son père alors qu’il était encore en vie.

« Le plus insurmontable pour moi, c’est la souffrance qu’a été la sienne au moment où il s’est vu sombrer tandis qu’il était encore capable de réfléchir. Si à un moment donné, il avait pu décider de ne pas vivre ces souffrances-là, je n’aurais pas pu lui en vouloir, nous confie-t-elle. Je n’aurais pu que comprendre. »

Pascal Gregory aux côtés de Léa Seydoux, dans « Un beau matin ».
Les Films du Losange Pascal Gregory aux côtés de Léa Seydoux, dans « Un beau matin ».

Ce n’est pas aussi évident pour tout le monde. Au mois de septembre dernier, la nouvelle de Jean-Luc Godard ayant eu recours au suicide assisté pour mettre fin à ses jours a, par exemple, « beaucoup heurté » Léa Seydoux. « Je comprends qu’on ait envie de faire le choix de sa propre mort, d’être le maître à bord de son existence, observe l’actrice que Le HuffPost a rencontrée. Je considère que si on a envie de le faire, on devrait avoir le droit de le faire. »

Seulement, Léa Seydoux trouve cette décision très radicale et dure, notamment à l’égard de l’entourage. « Choisir cette fin de vie-là me ramène peut-être à une dureté qu’il y a autour de moi. Ça peut être un geste violent pour les autres, estime-t-elle. Je peux comprendre aussi que les autres ont envie d’espérer jusqu’au bout. »

Légale dans certains pays voisins, comme la Suisse ou la Belgique, « l’aide active à mourir », comme la récemment défendue Line Renaud dans une tribune, ne l’est pas en France. Un comité de 150 citoyennes et citoyens français tirés au sort a été missionné pour orienter le gouvernement sur un éventuel nouveau changement de loi.

Un débat polarisé

Le débat peut être clivant. Quand elle a parlé de son avis sur le sujet autour d’elle, Mia Hansen-Løve nous dit qu’une personne, anciennement proche de son père, a réagi « très violemment contre l’euthanasie ». On lui a dit alors qu’il n’aurait jamais mis fin à ses jours car il a toujours été très affecté par le suicide de son propre père. « Ce que je comprends très bien, mais ce n’est pas pareil, nous dit la réalisatrice. La maladie, c’est aussi beaucoup de souffrance pour les autres. Certains peuvent vouloir mourir parce que leur souffrance fait tellement du mal aux autres que ce serait mieux pour eux. »

Sandra (Léa Seydoux) accompagne Georg (Pascal Gregory), son père, se balader sur la terrasse de l’Ehpad.
Les Films du Losange Sandra (Léa Seydoux) accompagne Georg (Pascal Gregory), son père, se balader sur la terrasse de l’Ehpad.

La cinéaste pense que « c’est un débat dont il faut accepter la complexité ». « Il n’y a aucune évidence », commente celle qui, depuis ses débuts dit faire un cinéma « qui croit dans la nuance, dans le paradoxe ». Un beau matin peut être poignant et émouvant, mais son traitement du sujet de la fin de vie est délicat, bienveillant. Il n’est pas dans la confrontation des points de vue, pas même quand Sandra, en pleurs, demande à Clément de lui promettre de l’aider à mourir si, un jour, elle aussi tombe gravement malade.

« On vit dans un monde de plus en plus polarisé et le cinéma se fait l’écho de ça, avec des films de plus en plus politiques ou qui revendiquent des messages politiques de façon très explicite, continue Mia Hansen-Løve. J’essaye de faire des films qui rendent compte d’une expérience du monde. Après ça, les gens en font ce qu’ils veulent. Si ça les enrichit, si ça les aide à vivre, tant mieux, mais je ne vais pas expliquer aux gens comment penser. »

Et de nuancer : « J’ai mes convictions, mes personnages aussi. Mais le film n’est pas une machine pour servir un discours. Ce n’est pas la vocation du cinéma pour moi. Je préfère garder mes opinions pour moi et donner des outils qui permettent aux gens de penser librement. »

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