"Les Aventures de Philibert, capitaine puceau", le pastiche méconnu des créateurs de "OSS 117"

Rarement un film aura connu une histoire aussi chaotique que Les Aventures de Philibert, capitaine puceau. Imaginé par une partie de l'équipe d'OSS 117, les producteurs Éric et Nicolas Altmayer et le scénariste Jean-François Halin, ce pastiche de films de cape et d'épée, a été un four retentissant avant de tomber dans l'oubli.

"Je crois que c'est notre bide qui a le plus de panache", résume avec humour Nicolas Altmayer. "Dans notre filmographie qui compte maintenant 75 films, je ne me suis jamais autant trompé sur la réception que pourrait avoir le public. Ça a été une immense déception, parce que c'est un film qu'on continue de beaucoup aimer."

"C'est un souvenir douloureux. Et comme toutes les douleurs, elle ne cicatrise pas vraiment", renchérit Jean-François Halin. "C'est terrible, parce qu'on s'est vraiment battu pour ce film." "C'est un drôle de souvenir", glisse François Clerc, alors directeur de la distribution chez Gaumont: "parce que tout commence bien avec ce film."

"Un ticket forcément gagnant"

Philibert naît une après-midi à la FNAC, à la fin des années 2000. "Je me baladais dans les rayons des DVD", se souvient Nicolas Altmayer. "Je vois ces vieux films de cape et d'épée avec Errol Flynn, Jean Marais, Burt Lancaster... Tout d'un coup, j'ai cette idée qu'on pouvait faire une comédie de détournement, comme on l'avait fait avec OSS 117."

Il appelle dans la foulée Jean-François Halin, qui accepte. Mais comme il est accaparé par la suite d'OSS 117, le projet est mis de côté. Une fois Rio ne répond plus terminé, il s'y consacre pleinement avec Karine Angeli, la co-scénariste de Brice de Nice. "On les a présentés", précise Nicolas Altmayer. "Pour nous, c'était un ticket forcément gagnant."

Le duo s'entend à merveille (Halin fait même baisser son cachet pour que celui de sa consœur soit à la hauteur du sien). Ensemble, ils imaginent le naïf Philibert, roturier aveuglé par son optimisme. À la mort de son père, il découvre qu'il est en réalité le descendant d'un comte assassiné par le terrifiant Clotindre, dont il va se venger.

"C'est une histoire assez classique", note Jean-François Halin. "L'intrigue a peu d'importance dans ce genre de film. L'idée, c'est d'enchaîner les situations et les dialogues de comédie."

"Le viol du puceau me faisait rire"

Philibert n'est pas une parodie, mais un pastiche. Le duo s'approprie des clichés qu'il détourne ensuite avec respect, sans recourir à une avalanche d'effets comiques ou à des anachronismes verbaux ou visuels. Leur ambition est de se moquer de la naïveté de ces films, de leurs personnages plus héroïques ou méchants que nature.

Comme dans OSS 117, ils multiplient les références aux classiques du genre, du Robin des bois à Ivanhoé en passant par Scaramouche. Ils s'inspirent aussi de Fanfan la Tulipe et Cartouche, les seuls films de cape et d'épée français qui trouvent grâce à leurs yeux, pour donner chair à leur héros, qui tient farouchement à sa virginité.

"Ça me faisait beaucoup rire qu'il garde sa virginité pour après", s'exclame Jean-François Halin. "La scène du viol du puceau me faisait beaucoup rire." "C'était très jouissif à écrire", renchérit Karine Angeli. "On s'est vraiment bien marrés, mais c'était quand même un truc assez audacieux pour ne pas dire un peu casse-gueule."

Le duo imagine d'autres idées farfelues, comme le garde qui ne peut pas porter son masque sans avoir des boutons sur la peau. Des faux raccords sont ajoutés: dans une scène, un personnage mort cligne des yeux. Ils se moquent aussi de la dimension crypto-gay de ces récits où les comédiens portent des collants souvent très moulants.

Si le duo se perd dans un premier temps dans sa documentation historique, le résultat plaît à Nicolas Altmayer: "Jusqu'au bout de l'écriture, j'ai été extrêmement enthousiaste du scénario qu'on avait. Je le trouvais extrêmement drôle." "Pour moi, à l'époque, c'était le meilleur scénario que j'avais écrit", se rappelle Jean-François Halin.

Comme "OSS 117"

Malgré l'hésitation de "certains partenaires financiers", Philibert se monte sans peine: "Gaumont avec qui on avait fait OSS y est allé la fleur au fusil. M6 pareil", explique Nicolas Altmayer. "Nos partenaires habituels nous ont fait confiance: on avait créé tout un univers comique qui sortait du cadre de la comédie française habituelle."

Comme pour OSS, la mise en scène est proposée à un réalisateur qui a fait ses armes sur Canal +. "Précis, opiniâtre, bosseur de fou", Sylvain Fusée a débuté dans Les Guignols de l'info avant de travailler pendant plus de quinze ans pour Groland (on lui doit notamment le sketch du Complot Vieux).

C'est Halin, déjà à l'origine du choix de Michel Hazanavicius pour OSS, qui a l'idée de faire appel à Sylvain Fusée. "Les conditions étaient exactement les mêmes que pour OSS. On a accordé la même confiance à Sylvain qu'à Michel", témoigne François Clerc. L'intéressé adhère aussitôt: "J'adore pouvoir jouer avec les codes et les détourner."

Jean Dujardin en méchant?

Pour le rôle de Philibert, les Altmayer pensent à Jocelyn Quivrin, avec qui ils développent plusieurs films, dont un projet autour d'Éric Rohmer. Le comédien, qui a alors le vent en poupe, et vient de cartonner dans Incognito et 99 francs, accepte la proposition avec beaucoup d'enthousiasme.

"Il piaffait d’impatience à l'idée de jouer ce rôle d’idiot total, complètement pur, avec les cascades, les combats", se souvient Karine Angeli. "Il avait une gamme tellement large à jouer qu’il était ravi."

Pour jouer Clotindre, ils envisagent son partenaire de 99 francs, Jean Dujardin. Séduit un temps par l'idée, il renonce finalement. "Ultra-instinctif", celui qui vient d'apparaître en Robin des bois dans OSS 117 2 "ne le sent pas" et refuse alors "toutes les comédies qui lui semblent aller sur les terres de Brice ou d'OSS", décrypte François Clerc.

"Il avait envie de garder ce phrasé brillant et unique de Jean-François Halin pour le personnage d'OSS", ajoute Nicolas Altmayer. Envisagé pour le rôle de Martin, Alexandre Astier demande à faire Clotindre. Le reste du casting réunit différentes familles d'humour, de Manu Payet à Christophe Salengro (président de Groland) en passant par Gaspard Proust.

La mort de Jocelyn Quivrin

Le dimanche 15 novembre 2009, à quelques semaines du lancement de la préparation, la veille d'une lecture du scénario devant réunir l’équipe, Jocelyn Quivrin meurt dans un accident de la route. Il avait 30 ans. L'équipe, sous le choc, décide néanmoins de poursuivre Philibert, avec la bénédiction d'Alice Taglioni, la veuve de l'acteur.

Pour le remplacer, les Altmayer pensent à Jérémie Rénier, avec qui ils viennent de tourner Potiche de François Ozon. "C'est le seul acteur à qui on l'a proposé." Habitué aux rôles sombres, il joue parfaitement la naïveté. "Il avait la fraîcheur du personnage et puis physiquement, c'était le Jean Marais de la grande époque", salue Sylvain Fusée.

Jérémie Rénier s'entraîne pendant deux mois avant le tournage pour réaliser lui-même ses cascades. Il regarde aussi les films d'Errol Flynn et Jean Marais sans le son pour travailler ses postures et avoir un jeu très théâtral. "Il se posait des questions", se souvient Sylvain Fusée. "Il ne sentait pas légitime dans un rôle comme ça. Et il avait tort."

"Que ça ait l'air faux"

Repoussé de plusieurs mois, le tournage débute finalement le 19 juillet 2010 en République tchèque, à Prague, dans les studios Barrandov, où ont été conçus Amadeus et Mission Impossible. Une décision prise pour réduire les coûts. Estimée dans un premier temps à 12 millions d'euros, cette enveloppe est réduite à 8-9 millions.

Ce budget conséquent permet de recréer l'effet carton-pâte du cinéma hollywoodien des années 1950. Pour l'image, le chef opérateur Régis Blondeau s'applique à réaliser un rendu à la façon de l'esthétique des années 1940 - et s'inspire du travail sur la couleur et les ombres de Michael Curtiz, réalisateur de plusieurs films d'Errol Flynn.

Cette esthétique oblige tous les postes à travailler de concert. "Dans les décors, j'ai dû tenir compte de ses gammes colorées", note le chef décorateur Jean-Jacques Gernolle. Cette lumière très travaillée impose également au casting une manière de jouer un peu théâtrale, pour s'approcher du tempo des films de l'époque.

"À l'époque, tout était faux. Ils se foutaient du réalisme", note Jean-Jacques Gernolle. "Quand ils faisaient des châteaux, les sols étaient en formica brillant, et pas en pierre. On a essayé de reproduire ça. Il fallait que ça ait l'air aussi faux qu'à l'époque." Pour les séquences en extérieur, des fleurs en plastique sont ainsi utilisées.

Petit problème de rythme

Malgré ce soin, la mayonnaise ne prend pas. De passage au début du tournage, Jean-François Halin déchante aussitôt. "C'était beau, bien joué, mais il y avait un problème de rythme." "On était ensemble et en effet, on a fait ce constat-là", reconnaît Karine Angeli. "J'avais cependant encore espoir que ça puisse fonctionner avec le montage."

Mais au montage, ces problèmes éclatent. "On s'est dit qu'il fallait resserrer sur la fin, qui était ultra-longue", se souvient François Clerc. "Cette volonté de jouer sur un faux rythme tombait à plat. Les gens ne comprenaient pas du tout. Il y a beaucoup de choses qui auraient pu être très drôles, et on voyait bien que ça ne marchait pas.

"Il n'y avait pas eu de tentatives d'improvisations ou de recherches de gags sur le plateau par les comédiens", rappelle le monteur Reynald Bertrand. "Ce qui était filmé était donc ultra-fidèle au scénario à la virgule près. Bilan: on n'a pas eu de souplesse et de possibilité." Analyse partagée par Sylvain Fusée:

"Le principal regret que je peux avoir, c'est de ne pas avoir eu assez [de plans] pour mieux rythmer le film. Je savais que vu le temps de tournage qu'on avait, je n'aurais pas le temps de découper assez certaines choses, et notamment tout ce qui était action et cascade, même s'il y avait dans les duels cette volonté de ne pas surdécouper [comme] dans Scaramouche."

"On pensait pouvoir corriger le tir"

À l'approche de la sortie, l'inquiétude grandit. Les avant-premières ne se remplissent pas. Les retours de la presse sont catastrophiques. "Les gens étaient complètement passés à côté", se souvient Nicolas Altmayer. " J'ai compris que ça n'allait pas marcher. Tout d'un coup, j'ai eu la clairvoyance que je n'avais pas eue avant."

Gaumont, pourtant, croit au film et le défend. OSS 117, lui aussi, avait eu des premiers retours désastreux avant de triompher au box-office. "On pensait pouvoir corriger le tir", confirme François Clerc. La campagne promotionnelle, très inventive, témoigne de ce soutien:

"On était en total freestyle. On avait fait des collants Philibert. On avait mis sur l'affiche 'Le plus grand film de cape et d'épée depuis l'invention de l'épée'. On avait inventé un système de messagerie avec un page. On s'est tous auto-persuadés que le film allait marcher. Il y avait ce ton qu'on trouvait moderne et qu'on adorait, et puis on s'est pris une grosse tarte."

"Une journée de cauchemar"

Le jour de sortie, le 6 avril 2011, la presse sort effectivement la sulfateuse. Si Libération y voit "un hommage sincère et généreux", et 20 minutes "un pastiche réussi", Le Monde lui reproche "une carence incurable en drôlerie" et La Croix "un gros problème de rythme". L'Obs, de son côté, suggère de jeter le film "aux oubliettes".

Le public sera du même avis: seulement 137 spectateurs se déplacent à la séance de 14h à Paris. "C'était épouvantable, une journée de cauchemar", raconte Jean-François Halin. François Clerc annule la soirée chiffres prévue le soir même. "Je l'ai remercié", précise Nicolas Altmayer. "J'étais complètement déprimé. Je me suis terré chez moi."

Le reste de l'équipe se retrouve dans un restaurant. Sous le choc, Karine Angeli fond en larmes. "C'était lugubre", acquiesce l’intéressée. "On aurait dit les déjeuners après un enterrement." Sylvain Fusée s'éclipse avec Manu Payet pour fumer. "Dans le silence, avec la lourdeur de la chose, on s'est regardés et on a explosé de rire."

Philibert termine son exploitation quelques semaines plus tard, avec seulement 58.484 entrées. Six mois, Gaumont explosera le box-office avec Intouchables: "Ça efface un peu l'ardoise", sourit François Clerc. "On a ensuite démarré un cycle fou, avec d'énormes succès. Si on croit au karma, on peut dire que Philibert est un karma."

"Un rejet total"

Douze ans plus tard, les raisons de cet échec leur apparaissent plus clairement. Le titre était trop long. Le cape et d'épée était tombé en désuétude. Et le film manquait peut-être de "crétinerie", suggère Sylvain Fusée: "Il y a eu un rejet total. Soit on ne leur a pas donné envie d'y aller, soit ça ne les intéressait pas."

"On s'est un peu bercé dans l'illusion que ce qui nous faisait rire ferait rire le public de la même façon", concède Nicolas Altmayer. "D'après la presse, c'est une comédie qui ne fait pas rire, donc qui rate son but, mais au moins elle ne fait pas rire d'une manière sale, elle ne joue pas sur des clivages sociaux", se rassure Jean-François Halin.

Pour François Clerc, l'échec de Philibert "renforce l'idée que le premier OSS a été un miracle": "une complémentarité absolue avec un scénariste qui trouve l'acteur parfait pour son phrasé et un réalisateur qui a le rythme et un sens de l'image."

"C'est là que tu mesures que les mêmes ingrédients ne font pas la même recette", complète-t-il. "On est parti dans le même axe et à chaque étape, on dérivait d'un degré. Quand on est arrivé à la date de sortie du film, on ne s'est pas rendu compte qu'on avait complètement changé de cap et qu'on allait dans le mur."

Beaux joueurs

Pour tous, l'échec est difficile à digérer. Chacun gère à sa manière. Jean-François Halin n'écrira pas de films pendant une décennie, jusqu'à Mystère à Saint-Tropez (2020) et OSS 117: Alerte rouge en Afrique noire (2021). Karine Angeli enchaîne aussitôt sur un autre projet. Et pendant deux ans, le duo ne s'adresse plus la parole.

Sylvain Fusée se consacre aux séries (WorkinGirls, avec Blanche Gardin). Il refuse des films, souhaitant "être sûr à 100% de ce [qu'il fallait] faire". Du côté des Altmayer, leurs partenaires financiers "ont été extrêmement élégants et beaux joueurs": "On s'est trompés ensemble. Et le film n'était pas différent de ce qu'on leur avait promis."

Pour redonner sa chance aux Aventures de Philibert, capitaine puceau, film culte en devenir, François Clerc a une idée: "Il faudrait peut-être faire comme un bon film porno: changer le titre et le ressortir - peut-être que les gens n'y verraient que du feu."

Article original publié sur BFMTV.com