Au Royaume-Uni, des militants écolos condamnés pour avoir évoqué… le climat

Un juge londonien a condamné plusieurs militants de l’ONG « Insulate Britain » après leur avoir interdit d’évoquer le changement climatique pour justifier leurs actions.

Ils ont fini en prison parce qu’ils voulaient plaider leur cause face à la justice. Voici en résumé l’histoire surréaliste qui agite le Royaume-Uni ces jours-ci. Alors qu’ils comparaissaient devant un juge londonien, plusieurs dizaines de militants écologistes se sont effectivement vu imposer une interdiction inattendue : celle de ne pas invoquer la crise climatique pour leur défense. Pour être passés outre, trois d’entre eux ont été emprisonnés à la fin du mois de mars.

À l’automne 2021, le groupe Insulate Britain, qui milite pour une meilleure isolation des logements, a multiplié les blocages routiers. Leurs actions font enrager nombre d’automobilistes et le gouvernement conservateur, qui veut restreindre le droit à manifester. Et elles ont donné lieu à des dizaines voire des centaines d’arrestations, et des poursuites contre 56 membres du groupe, pour répondre d’au moins 201 chefs d’accusation dont « trouble à l’ordre public ».

Une situation « ridicule »

Parmi ces membres, David Nixon, un ancien travailleur social de 36 ans, a participé à un blocage en plein cœur de la City de Londres le 25 octobre 2021. Lui et trois autres militants qui étaient jugés à ses côtés se sont donc vu interdire d’évoquer leurs motivations. Passer outre était dès considéré comme un outrage à la justice.

À l’audience, le juge Silas Reid a ainsi affirmé que le changement climatique ou la pauvreté énergétique étaient sans rapport avec la culpabilité des prévenus. Or, « sans ça, nous n’avions pas de défense », a raconté David Nixon à l’AFP. « On devrait être autorisé à mentionner la crise climatique ou qu’on aille, en particulier face à un jury », ajoute-t-il. Les perturbations infligées au public nécessitent de « donner un récit honnête de ce qu’on a fait et pourquoi on l’a fait ».

Pour avoir refusé de témoigner sans faire référence au climat, David Nixon a finalement été condamné à huit semaines de prison, dont il a purgé la moitié derrière les barreaux. Il n’a pas cherché à faire appel. « Je savais ce que je faisais », a-t-il encore expliqué. Car pour lui, cette condamnation « montre à quel point il est ridicule qu’en 2023, des gens soient emprisonnés pour avoir mentionné le changement climatique. Et ne serait-ce que pour montrer à quel point c’est ridicule, ça me va très bien ».

Quant au délit initial lié au blocage, les quatre prévenus ont été déclarés coupables, et connaîtront bientôt leur peine.

Pas des infractions « commises sans raison »

Giovanna Lewis, élue locale du sud de l’Angleterre âgée de 65 ans, a passé trois semaines et demie en prison, après avoir été condamnée à une peine de sept semaines par le même juge, Silas Reid. Elle revient sur son cas : il appelle ça « outrage à la justice, j’appelle ça dire la vérité », cingle-t-elle, expliquant refuser d’être « réduite au silence ». Et d’ajouter : « c’est tellement injuste », « on a été privés de justice ». Elle poursuit, auprès de l’Agence France presse, expliquant qu’« il fallait que je dise la vérité et en assumer les conséquences ».

D’autres militants ont, dit-elle, pu détailler leurs motivations et ont réussi à être acquittés. Car un autre juge autorise de telles prises de paroles, mais dans un temps limité.

Selon Jodie Blackstock, une avocate spécialisée dans les droits humains, les prévenus concernés par cette affaire lunaire ont été privés « du droit à un procès équitable et à une défense efficace ». En effet, « ce ne sont pas des gens qui ont l’intention de commettre une infraction sans raison », souligne auprès de l’AFP cette juriste impliquée dans Lawyers are responsible (ou « les avocats sont responsables » en français), un pacte où des avocats s’engagent à ne pas soutenir de projets liés aux énergies fossiles ou poursuivre des militants écologistes qui manifestent pacifiquement.

Jeudi, des avocats ont annoncé qu’ils entendaient faire appel des condamnations pour outrage à la justice au nom de deux des trois militants qui ont été emprisonnés. Good Law Project, collectif qui a lancé une cagnotte pour financer cet appel, a dénoncé des « décisions inquiétantes qui réduisent au silence des manifestants pour le climat et sapent le rôle crucial que jouent à la fois le fait de manifester et les procès devant un jury dans notre démocratie ».

En revanche, le 31 mars, soit une semaine après la triple condamnation, une autre militante d’Insulate Britain, déclarée coupable de « trouble à l’ordre public » a outrepassé l’interdiction, sans être pour autant poursuivie pour outrage. Insulate Britain a applaudi une « immense victoire pour la liberté d’expression ». « Nous ne saurons peut-être jamais pourquoi le juge Reid est revenu sur son ordonnance bâillon », a relevé l’organisation. Contacté par l’AFP, le ministère britannique de la Justice a répondu ne jamais commenter les décisions rendues par un juge indépendant.

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