Au Conseil constitutionnel, la réforme des retraites est entre les mains de ces 9 Sages

Laurent Fabius, Jacqueline Gourault, Alain Juppé… Ces personnalités, connues ou non, diront le 14 avril si la réforme passe ou est censurée, partiellement ou totalement.

POLITIQUE - Les neuf étaient là, le 4 avril, pour écouter le recours des députés de la NUPES. Un fait rarissime, à en croire l’un des plaidants, qui témoigne selon lui de l’importance de l’enjeu. Le 14 avril, le Conseil constitutionnel doit rendre son avis sur la réforme des retraites. Si les Sages donnent leur feu vert, c’est une victoire de taille pour Emmanuel Macron. Dans le cas contraire et si la censure est totale, c’est une véritable claque politique.

Trois des occupants de la rue de Montpensier sont nommés par le président de la République, trois autres par le président du Sénat et trois autres par celui (ou celle) de l’Assemblée nationale. Leur nomination n’est effective que si une majorité des 3/5es des commissions compétentes de l’Assemblée ou du Sénat ne s’y oppose pas. Une fois cette étape passée, les « Sages » sont en poste pour 9 ans, une mission non renouvelable et incompatible avec tout autre mandat politique.

Aujourd’hui, trois femmes et six hommes siègent au Conseil constitutionnel. Âge moyen : entre 65 et 78 ans. À l’exception de Jacqueline Gourault, titulaire d’une licence d’histoire-géographie, tous sont passés par les bancs de la magistrature, de l’ENA ou des instituts d’études politiques. De même, huit d’entre eux ont occupé des fonctions politiques parfois discrètes - directrice de cabinet de ministre - ou de premier plan, comme maire, sénateur, ministre et même Premier ministre.

De quoi interroger sur le rôle d’arbitre impartial du Conseil constitutionnel ? En janvier, l’actuel président de l’instance Laurent Fabius admettait que « c’est un avantage d’avoir connu soi-même ce qu’est la réalité du pouvoir, parce que ça permet de prendre des décisions éclairées ». Néanmoins, « il y a peu de rapport entre le gouvernement et le Conseil constitutionnel. Et c’est très bien comme ça. Dans les vraies Cours suprêmes, comme c’est le cas du Conseil constitutionnel, il y a une indépendance », assurait-il sur France Inter.

Où l’on reparle de Hollande, Bartolone et Larcher

Les trois membres les plus anciens du Conseil constitutionnel siègent depuis le 8 mars 2016. Ce jour-là, Corinne Luquiens, Michel Pinault et Laurent Fabius prêtent tous serment devant le président de la République de l’époque François Hollande. Le chef de l’État a personnellement choisi Laurent Fabius, jusqu’alors ministre des Affaires Étrangères des gouvernements Valls et Ayrault. L’ancien Premier ministre est un socialiste historique.

Corinne Luquiens n’est pas identifiée politiquement. Mais elle connaît parfaitement le milieu : elle a commencé sa carrière comme administratrice à l’Assemblée nationale (sous la présidence d’Edgar Faure, alors à l’UDR) avant de finir secrétaire générale sous la présidence du socialiste Claude Bartolone, lequel a proposé son nom au Conseil constitutionnel. Michel Pinault est lui un homme du privé, cadre de l’Autorité des marchés financiers (AMF) quand le président du Sénat Gérard Larcher lui offre sa place chez les Sages.

Le sénateur des Yvelines, indéboulonnable figure du Palais du Luxembourg, a nommé trois des 9 membres en poste actuellement. Après Michel Pinault, Gérard Larcher a proposé avec succès les noms de François Pillet en 2019 puis de François Seners en 2022.

Le premier est un ancien sénateur LR du Cher et président du Comité de déontologie parlementaire du Sénat entre 2015 et 2019 - époque où Gérard Larcher présidait déjà la chambre haute. Quant à François Seners, après avoir été conseiller du Premier ministre François Fillon en 2009, il a officié comme directeur de cabinet de Gérard Larcher au Sénat.

La patte Macron et Ferrand

En 2019, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, doit remplacer Lionel Jospin. Sollicité, Alain Juppé accepte de quitter la mairie de Bordeaux - le tout au terme de longues discussions entre Richard Ferrand et Emmanuel Macron, et in fine le feu vert de ce dernier. En parallèle, le président de la République arrête son choix sur Jacques Mézard, un de ses soutiens dès 2017 ensuite ministre de l’Agriculture puis de la Cohésion des territoires dans les gouvernements d’Édouard Philippe.

En 2022, Emmanuel Macron pioche à nouveau parmi ses ministres et choisi la MoDem Jacqueline Gourault. Son entrée au Conseil constit’ se fait en même temps que celle de Véronique Malbec, nommée par Richard Ferrand. Magistrate confirmée, elle ne travaille que deux fois dans des ministères : de 2018 à 2020, comme secrétaire générale du ministère de la Justice à l’époque confié à Nicole Belloubet, puis de 2020 à 2022, où elle est directrice de cabinet du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.

Un débat, un vote… et 25 ans pour en savoir plus

Ce sont donc ces neuf personnalités qui travaillent depuis le 20 mars sur les différentes saisies du Conseil constitutionnel. La gauche et le Rassemblement national ont attaqué le fond - sur les potentiels cavaliers législatifs comme l’index senior - mais surtout la forme, à savoir le choix du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) comme véhicule législatif et l’accumulation de procédures visant à accélérer les débats qui nuisent selon eux à la sincérité des échanges.

Le 4 avril, les parlementaires de gauche ont exposé leurs argumentations pendant un peu plus d’une heure, tweetant quelques photos. La publicité de la procédure s’arrête là. Selon le professeur de droit public Benjamin Morel, interrogé par Public Sénat, « le président (du Conseil constitutionnel, ndlr) nomme un rapporteur sur le texte », avant « un débat sur le rapport et la proposition de décision. On l’amende, on la transforme ». Puis vient l’heure du vote et « une fois que le texte de la décision est voté, l’ensemble du Conseil l’assume ». Le tout à huis clos.

« Normalement, les votes ne sont pas rendus publics. Mais on peut avoir des indications plus tard, dans les archives, où sont publiés les verbatims des débats », ajoute le spécialiste. Plus tard, très tard : il faut en effet attendre 25 ans avant que les échanges soient rendus publics.

Cette procédure, ainsi que la composition du Conseil constitutionnel, pousse d’ores et déjà les opposants à la réforme à prendre les devants, en assurant que même en cas de validation par les Sages, la mobilisation contre le texte continuera. « La composition du Conseil constitutionnel est politique. La vraie question, c’est comment Laurent Fabius et les autres membres du conseil souhaitent marquer l’histoire par leur décision », résume mi-figue mi-raisin le député LFI Hadrien Clouet.

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