Attention, cette vidéo ancienne n'a pas été filmée à Paris

Depuis le 24 juin dernier, le procès de sept membres d’un gang nigérian se tient devant la cour d'appel de Paris. A la veille de son ouverture, une publication diffusée sur X par un compte d'extrême droite évoquait une "mafia nigériane mystique et ultraviolente" opérant "dans le nord" de la capitale française, vidéo à l'appui. Mais attention, les images utilisées ont été tournées il y a plusieurs années, loin de la France.

Le 23 juin 2024, le compte d'extrême droite "F. de souche" (pour "Français de souche") a diffusé sur son compte X une vidéo de quinze secondes, où l'on aperçoit une centaine d’hommes noirs -jeunes pour la plupart- qui marchent calmement, en plein jour, au milieu de la chaussée.

Ils arborent des chemises d’un blanc immaculé, des brassards verts et des pantalons noirs. Certains portent aussi une veste ou un noeud papillon. Un homme en tenue militaire, un peu en retrait, marche près d’eux.

"Avortements forcés, prostitution et rites vaudous : dans le nord de Paris, l’ombre d’une mafia nigériane mystique et ultraviolente", est-il écrit en légende de ces images.

Depuis sa mise en ligne, le post a été relayé plus de 1.000 fois (lien archivé ici).

<span>Capture d'écran prise sur X le 2 juillet 2024 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP</span>
Capture d'écran prise sur X le 2 juillet 2024 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Le compte renvoie également vers un billet, publié sur le site "fdesouche", le 23 juin. "Neuf hommes nigérians comparaissent à partir du 24 juin pour avoir tenu les rênes d’un vaste réseau de prostituées compatriotes. Derrière eux, se cache une confrérie sanguinaire bien implantée en France, spécialisée dans la traite d’êtres humains et le trafic de stupéfiants", peut-on y lire.

Il fait en réalité référence au procès, en cours, de sept membres d'une organisation nigériane notamment soupçonnés de proxénétisme en bande organisée en Europe sur leurs petites amies (lien archivé ici).

Celui-ci se tient à la cour d'appel de Paris et devrait s'achever le 5 juillet prochain (lien archivé ici).

Plusieurs commentaires à caractère xénophobe figurent sous la vidéo que nous vérifions, dans un contexte de montée des partis d'extrême droite dans toute l’Europe, qui labourent les thématiques identitaires et surfent sur les peurs sociales et économiques traversant le continent (dépêche AFP archivée ici).

Cette publication a également été diffusée une semaine avant le premier tour des élections législatives anticipées en France, à l'issu duquel le Rassemblement national est arrivé en tête.

D'autres internautes manifestent cependant des doutes autour de la publication que nous examinons : "Cette vidéo n'est pas tourné [sic] dans le nord de Paris, les panneaux sont écrits en anglais", fait par exemple remarquer un commentaire.

En effet, cette vidéo est sortie de son contexte : en réalité, elle a été tournée il y a plusieurs années, à des centaines de kilomètres de la France.

Une vidéo ancienne...

Pour retrouver l'origine de ces images, nous avons réalisé une recherche d'image inversée à l'aide du moteur de recherche Google, afin d'identifier de plus anciennes occurrences.

La vidéo apparaît notamment dans un post X datant du 12 mai 2022, publié par "Green Circuit Association" (lien archivé ici).

"Operation successful", écrit à l'époque l’auteur de la publication, suggérant une "opération réussie" menée par l'association.

Sur un compte X dénommé "Green Circuit Association International", l'organisation se décrit comme un "groupe de diplômés idéalistes qui célèbrent la justice, la coexistence pacifique et la fraternité" (lien archivé ici).

Sur Google Maps, la "Green Circuit Association" est localisée à Benin City, dans le sud du Nigeria.

Par ailleurs, les tenues des hommes sur la vidéo virale correspondent exactement à celles des membres de la "Green circuit association", visibles sur des photos publiées sur leurs réseaux sociaux.

Captures d'écran prises sur X (à gauche) et Instagram (à droite) le 2 juillet 2024

On retrouve une nouvelle fois la même vidéo sur leur compte Instagram, publiée en mars 2023.

Ces images sont donc anciennes et n'illustrent aucunement des événements marquant l'actualité française.

...loin de Paris

Dans les premières secondes de la vidéo, une plaque blanchâtre signale en anglais -langue officielle du Nigeria- une école primaire et maternelle au nom de "Universal Schools".

Plus loin, l’uniforme d'un homme en tenue militaire correspond visuellement à celui des forces de police nigérianes.

Captures d'écran prises sur X (à gauche) et Instagram (à droite) le 2 juillet 2024

L'AFP a contacté la "Green Circuit Association" pour tenter de localiser, avec précision, le lieu de leur marche. Mais personne n'a répondu à nos appels passés à l’un des rares numéros de téléphone communiqués, via Facebook, sur l'une des affiches de l'association.

Notre rédaction n'a pas pu géolocaliser précisément ces images, mais les indices visuels mentionnés ci-dessus suggèrent fortement qu'elles ont été filmées au Nigeria.

Qui sont les membres de la "Green Circuit Association" ?

La "Green Circuit Association (CGA)" n'est pas une organisation comme les autres.

Elle est identifiée comme faisant partie des mafias nigérianes "issues des confraternités étudiantes, solidement infiltrées dans les structures étatiques" et qui "étendent leurs ramifications dans le monde entier. Avec une spécialité : la prostitution des jeunes femmes", pointe dans un article la journaliste de l'AFP Célia Lebur, co-auteure avec Joan Tilouine du livre "Mafia Africa" (Edition Flammation, 2023) (lien archivé ici).

Cette enquête lève le voile sur l’expansion à l’international  des groupes criminels -baptisés "cults"-  nigérians.

La CGA est établie à Benin City, dans le Sud du Nigeria, où, selon Célia Lebur et Joan Tilouine, l’on recense des organisations mafieuses et criminelles également installées en France, notamment à Marseille.

"Selon plusieurs enquêtes de police européennes, la GCA a été utilisée comme la vitrine légale du cult Maphite (officiellement interdit au Nigeria) afin de lui permettre de mener des activités criminelles au Nigeria et à l’étranger", détaille Célia Lebur, le 2 juillet, interrogée pour cet article.

Dans le procès parisien actuellement en cours, les sept accusés nigérians appartiennent justement aux "Maphite", un groupe dont le "commandement suprême" est assuré depuis Benin City, a expliqué la juge d'instruction.

"Il y a depuis de nombreuses années des cellules de Maphite présentes en région parisienne tout comme dans d'autres grandes villes européennes. Ces 'familles', comme ils se nomment, cohabitent ou rivalisent avec d’autres groupes criminels nigérians tels que Black Axe ou Eiye. Traditionnellement, ils opéraient surtout dans la traite d’être humain et la prostitution mais de plus en plus ils s’impliquent dans l’importation -notamment depuis l’Amérique du Sud à travers le recours massif à des 'mules'- et la vente de drogues dures", ajoute la journaliste.

"Une évolution de leurs activités qui s’est particulièrement vérifiée avec le démantèlement de plusieurs réseaux en Île-de-France dès juin 2021. Il s’agit la plupart du temps de cellules composées de quelques dizaines de membres agissant en synergie avec les autres 'familles' de Maphite implantées en Europe et le quartier général de l’organisation basé dans le sud du Nigeria", complète-t-elle, spécifiant que "l’inquiétude des enquêteurs européens réside notamment dans le fait que ces cults nigérians ultra-violents ont démontré une grande capacité à s’adapter et à collaborer avec les organisations criminelles des territoires où ils s’implantent progressivement."

En septembre 2023, la cour d'assises du Val-de-Marne (région parisienne) avait condamné quatre Nigérians à des peines allant de 8 à 18 ans de prison ferme pour "proxénétisme aggravé en bande organisée" et "traite d'êtres humains", après avoir forcé de jeunes compatriotes à se prostituer.