Attention aux fausses vidéos de la CIA et de la DGSI pour alerter sur des risques terroristes avant les JO

A moins d'un mois de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, des vidéos émanant prétendument des services de renseignement français et américain et faisant état de menaces terroristes dans la capitale française circulent sur les réseaux sociaux, visant à attiser les inquiétudes liées au bon déroulement de l'événement. Mais ces vidéos - qui apparaissent sporadiquement sans être, à ce stade, massivement relayées - usurpent l'identité de la CIA et de la DGSI, et s'inscrivent dans des campagnes plus larges de désinformation dont l'objectif est de décrédibiliser la France et l'organisation des JO, pilotées par des acteurs étrangers dont fait partie la Russie, selon des analystes. Moscou a néanmoins vigoureusement démenti toute ingérence.

"Rappel : La CIA avertit les Américains de ne pas utiliser le métro pendant les Jeux olympiques de Paris en raison de la forte menace terroriste", prétend un post X relayé plus de 500 fois depuis le 25 juin, vidéo à l'appui.

Dans cette dernière est apposé un logo de la CIA (Central Intelligence Agency), agence du renseignement des Etats-Unis qui surveille les menaces potentielles pouvant survenir ailleurs que sur le sol américain.

Plusieurs messages s'y succèdent, intercalés d'images d'illustration de la capitale française. On peut notamment y lire que "la menace terroriste dans le métro parisien a atteint son niveau maximum" et la vidéo encourage les visiteurs à éviter les transports en commun pendant les Jeux.

Elle a circulé sur plusieurs réseaux sociaux dont X, Telegram, par des internautes francophones se disant basés en Afrique, et en plusieurs langues comme le russe, l'espagnol ou l'anglais.

<span>Capture d'écran prise sur X le 1er juillet 2024</span>
Capture d'écran prise sur X le 1er juillet 2024

Les Jeux olympiques puis paralympiques (28 août-8 septembre) se dérouleront en effet dans un contexte de menace terroriste élevée en France, où le plan Vigipirate a déjà été porté à son niveau maximum depuis le 24 mars et l'attentat au Crocus City Hall à Moscou, revendiqué par le groupe jihadiste Etat islamique, comme rappelé dans cette dépêche de l'AFP (archivée ici).

Un dispositif d'ampleur (lien archivé ici) concernant les forces de l'ordre doit être déployé pour les Jeux : "la mobilisation prévue est évaluée en moyenne à plus de 30.000 policiers et gendarmes par jour sur un mois complet", indique le site du ministère de l'Intérieur.

Pour sécuriser la cérémonie d'ouverture, 45.000 policiers et gendarmes sont mobilisés. Et pour la première fois, les unités d'élite de la police et de la gendarmerie (200 du Raid, 350 du GIGN et 100 de la BRI) œuvreront ensemble.

Quelque 18.000 à 22.000 agents de sécurité privée seront aussi engagés sur les Jeux, et 18.000 militaires seront également mobilisables si besoin, selon le comité d'organisation.

Une "vidéo de la CIA" introuvable sur les canaux officiels

En effectuant des recherches sur le site de l'agence américaine et ses réseaux sociaux (X, Facebook, YouTube - archivés ici, ici, ici), nous n'avons retrouvé aucune trace d'une telle vidéo.

Par ailleurs, plusieurs éléments peuvent mettre en doute quant à son authenticité : son format (visuels, messages, musique) ne ressemble pas aux dernières vidéos diffusées sur les réseaux sociaux de l'agence ; et il revient habituellement plutôt au département d'Etat américain - et non à la CIA - de diffuser des recommandations de sécurité concernant les déplacements à l'étranger des citoyens américains.

Une page dédiée aux Jeux de Paris existe d'ailleurs sur le site du département d'Etat dédié aux voyageurs, mais la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux n'y figure pas.

<span>Capture d'écran du site du département d'Etat, prise le 1er juillet 2024</span>
Capture d'écran du site du département d'Etat, prise le 1er juillet 2024

L'AFP n'a pas non plus retrouvé la prétendue vidéo de la CIA sur la page dédiée aux JO du site de l'ambassade et des consulats américains en France. On peut y voir des conseils pour les spectateurs, comme par exemple "faire attention aux pickpockets" ou "ne pas laisser ses affaires sans surveillance", mais pas de mention spécifique à des menaces terroristes à un "niveau maximum" dans les transports en commun.

En octobre 2023, une "alerte globale de sécurité" (lien archivé ici) liée à "l'augmentation de tensions dans des lieux variés dans le monde entier" et à des "possibilités d'attaques terroristes" avait été émis par le département d'Etat américain, mais elle ne visait pas spécifiquement le réseau parisien de transports.

Cette vidéo avait en réalité déjà été identifiée par des analystes, notamment du le Centre d'analyse des menaces de Microsoft (MTAC) dans un rapport (archivé ici) diffusé début juin, comme faisant partie d'une série de faux contenus créés et diffusés par des "acteurs affiliés à la Russie" dans le but de décrédibiliser la France en amont des Jeux.

L'un des versants de cette opération de désinformation vise notamment à surfer sur un sentiment d'insécurité en mettant en avant des prétendues alertes, notait le centre de recherches.

<span>Capture d'écran du rapport du Centre d'analyse des menaces de Microsoft (MTAC), prise le 1er juillet 2024</span>
Capture d'écran du rapport du Centre d'analyse des menaces de Microsoft (MTAC), prise le 1er juillet 2024

L'agence française de lutte contre les ingérences Viginum (lien archivé ici) avait également mentionné cette vidéo dans un rapport publié en juin 2024 comme faisant partie de la campagne "Matriochka", visant à interpeller massivement des médias sur des sujets de désinformation pour tenter de détourner leur attention - et dont une partie cible l'organisation des JO de Paris.

"La Russie tente, et va presque sûrement continuer, de saper les JO de Paris à travers plusieurs opérations d'influence maligne en cours, y compris des campagnes lancées depuis au moins 2023", avaient aussi estimé les experts en cybersécurité de Recorded Future dans un rapport publié début juin (lien archivé ici).

La CIA avait par ailleurs démenti avoir produit cette vidéo auprès de mes médias américains comme CBS (lien archivé ici) et le New York Times (lien archivé ici), la qualifiant de "manipulation".

Une fausse vidéo de la DGSI

Cette vidéo n'est pas la seule émanant prétendument d'une agence de renseignement et mettant en avant des prétendues menaces visant à dissuader des spectateurs à l'approche des JO.

Mi-juin, une vidéo, collectant près de 400 partages et sur laquelle figurait un logo de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) française a également été diffusée, prétendant relater des "descentes" pour "prévenir des attaques terroristes planifiées chez McDonald's pendant les Jeux olympiques".

<span>Capture d'écran prise sur X le 1er juillet 2024</span>
Capture d'écran prise sur X le 1er juillet 2024

Mais là encore, si un logo de la DGSI figure bien sur la vidéo, cette dernière est introuvable sur les canaux officiels (le site, compte Instagram, Facebook, X ou encore YouTube - liens archivés ici, ici, ici, et ) du ministère de l'Intérieur -dont dépend la DGSI.

Le ministère de l'Intérieur a par ailleurs réfuté l'authenticité de cette vidéo auprès de l'AFP le 27 juin : "une vidéo circulant sur les réseaux sociaux affirme que la DGSI aurait mené des contrôles et une opération antiterroriste au sein d'une chaîne de restauration rapide suspectée d'être infiltrée par des islamistes préparant un attentat pendant les Jeux Olympiques. Le ministère de l'Intérieur dément formellement cette allégation, qui a pour seul objectif de nuire à l'image de la France durant les Jeux Olympiques en créant un climat de suspicion et d'anxiété à l'occasion de cet événement".

Une autre vidéo, ayant trouvé au 1er juillet très peu d'audience mais s'appuyant sur des ressorts semblables (même charte graphique, même logo de la DGSI et présentations semblable) a aussi prétendu mettre en garde contre des "QR Codes" à scanner, notamment "sur des sites olympiques", qui pourraient conduire à "l'usurpation d'identité" et des vols.

Cette vidéo a aussi été identifiée (lien archivé ici) par le collectif "Antibot4Navalny" (@antibot4navalny sur X, lien archivé ici) qui traque les opérations d'influence en lien avec la Russie sur ce réseau social, comme ayant été relayée par l'un des dizaines de profils faisant partie de la campagne "Matriochka".

L'AFP était déjà à plusieurs reprises revenue sur des versants de cette campagne visant des médias de vérification, comme ici, ou . Son mode de fonctionnement rappelle aussi celui de l'opération "Doppelgänger", consistant à usurper l'identité visuelle de médias occidentaux pour mettre en avant un narratif pro-russe autour de l'Ukraine - comme l'avait détaillé l'AFP dans un article de juin 2023.

Ces différentes campagnes se succèdent, se croisent et se combinent, multipliant leur impact et renforçant la confusion informationnelle.

Des tentatives de déstabilisation en amont des Jeux

Comme l'avait détaillé l'AFP dans ce précédent article, les Jeux olympiques sont une cible de choix pour des attaques informationnelles, prenant la forme de campagnes d'infox destinées à décrédibiliser la France.

L'objectif de long terme des manipulations étrangères est la fracturation des sociétés pour affaiblir les pays occidentaux et saper la confiance des populations dans leurs institutions. Elles appuient sur les failles, les sujets de tension pour attiser les tensions.

"Il suffit que la machine à désinformation détecte lequel de ces problèmes trouve le plus d'écho dans le débat public, pour qu'elle jette ensuite plus d'huile sur le feu pour nous diviser", résumait fin mai Véra Jourova, la Commissaire européenne en charge des valeurs et de la transparence dans un entretien à Libération (archivé ici).

Selon un sondage Ifop (lien archivé ici) réalisé en février, 45% des Français n'avaient pas confiance dans la capacité de la France à la France pour organiser les JO, un taux qui devient même majoritaire aux extrêmes de l'échiquier politique.

Il y a donc là un levier sur lequel jouer, d'autant que, comme le rappelle le rapport du MTAC, la Russie est coutumière des attaques contre les JO et les instances sportives : "la Russie moderne, aussi bien que sa prédécesseure soviétique a une longue tradition de tentative de saper les Jeux olympiques. S'ils ne peuvent pas participer ou gagner [comme c'est le cas pour les JO 2024 où les sportifs russes doivent concourir sous bannière neutre car la Russie a été exclue à cause de l'invasion de l'Ukraine, NDLR], ils cherchent à miner, diffamer et dégrader la compétition internationale dans l'esprit des participants, des spectateurs, et du public dans le monde".

<span>Les anneaux olympiques sur l'esplanade du Trocadéro, après la nomination de la France comme hôte des Jeux olympiques de Paris 2024, le 14 septembre 2017</span><div><span>LUDOVIC MARIN</span><span>AFP</span></div>
Les anneaux olympiques sur l'esplanade du Trocadéro, après la nomination de la France comme hôte des Jeux olympiques de Paris 2024, le 14 septembre 2017
LUDOVIC MARINAFP

Début avril, le président français Emmanuel Macron avait dit n'avoir "aucun doute" que la Russie cible l'organisation des Jeux olympiques, "y compris en termes informationnels", alimentant "tous les jours le fait que nous ne pourrions pas faire ceci ou cela, donc ce serait un risque" (lien archivé ici).

La Russie avait néanmoins assuré le 4 juin, dans la foulée de la publication du rapport MTAC, ne "pas interférer" en France, et démenti toute campagne de désinformation visant les Jeux de Paris.

"La Russie n'a pas interféré et n'interfère pas dans les affaires intérieures de la France -- notre pays a des priorités plus importantes", avait affirmé l'ambassade de Russie à Paris dans un communiqué, ajoutant que "l'ambassade de Russie en France exprime sa vive protestation contre une nouvelle campagne russophobe déclenchée dans les médias français".

Elle avait évoqué une "hystérie" dangereuse pour les citoyens russes en France, notamment pour le personnel de l'ambassade, et exprimé sa solidarité avec "les citoyens français qui ont fait l'objet d'une chasse aux sorcières simplement parce qu'ils sont favorables à la préservation des liens d'amitié de longue date entre nos pays".

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait également démenti toute campagne de désinformation visant les Jeux olympiques prévus cet été à Paris, qualifiant de "pure calomnie" ce rapport d'un observatoire de Microsoft accusant la Russie d'avoir intensifié ces efforts.

"Dès qu'ils peuvent nous placer une attaque, ils le font. C'est un bruit de fond constant", avait confirmé une source sécuritaire française, qui ajoute toutefois que la Russie n'était pas la plus offensive sur les JO, mais qu'il s'agissait de l'Azerbaïdjan.

L'agence française de lutte contre les ingérences Viginum avait en effet mis à jour une campagne orchestrée par ce pays baptisée "Olympiya", officiellement dénoncée par le gouvernement français. L'opération avait été détectée par les autorités le 26 juillet 2023, soit très exactement un an avant l'ouverture des Jeux (lien archivé ici).