Attentat de Magnanville: sept ans après, un procès et un seul accusé

Attentat de Magnanville: sept ans après, un procès et un seul accusé

"Je pars". Ce 13 juin 2016, à 20h06, Jean-Baptiste Salvaing, commandant de la brigade de sûreté urbaine, envoie un SMS à son épouse, Jessica Schneider. Il quitte le commissariat des Mureaux dans les Yvelines. Dans une vingtaine de minutes, il sera chez eux, à Magnanville. Sa compagne, elle, est rentrée depuis longtemps. Elle est allée chercher leur petit garçon de trois ans, après sa journée de travail au commissariat de Mantes-la-Jolie, où elle est agent administratif. A 20h20, l'homme de 42 ans se gare, allée des Perdrix, à quelques mètres seulement de leur pavillon. Il ne voit pas Larossi Abballa, caché derrière le portail, un couteau à la main.

Ce dernier saute sur le policier et le poignarde à plusieurs reprises. Le fonctionnaire se relève, titube et tente de prendre la fuite. "Sauve-toi et appelle la police", crie-t-il à un adolescent présent dans la rue. Mais son agresseur le rattrape, et lui assène de nouveaux coups de couteaux, mortels cette fois-ci, avant de se retrancher dans la maison et de prendre en otage sa femme et son fils.

À 20h52, il diffuse une vidéo de 13 minutes, en direct sur Facebook, dans laquelle il revendique, au nom de l'Etat islamique, le double assassinat du policier et de sa femme. Après plusieurs heures de négociations, l'assaut est donné à 00h02 précise. Larossi Abballa, 25 ans, est abattu par le Raid. À l'intérieur de la maison, les forces de l'ordre découvrent le corps sans vie de Jessica, "présentant des traces d'égorgement". Le petit garçon, lui, est sain et sauf.

Si le terroriste est mort, c'est l'un de ses amis qui sera jugé pour ce dossier. Mis en examen et placé en détention provisoire, le 11 décembre 2017, pour "complicité d'assassinats sur personnes dépositaires de l'autorité publique en relation avec une entreprise terroriste", Mohamed Lamine Aberouz doit comparaître devant la cour d'assises spéciale de Paris à partir de ce lundi.

La thèse d'un deuxième participant

Si le nom de Mohamed Lamine Aberouz apparaît dans ce dossier, c'est d'abord parce que son ADN a été retrouvé au domicile du couple, sur l’ordinateur de famille Salvaing-Schneider, utilisé par Larossi Abballa pour revendiquer son acte, mais également dans la voiture du terroriste.

Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges mentionnent "la possible présence d’un deuxième individu au domicile des victimes au moment des faits (…) possiblement confortée par des rumeurs − non confirmées − ayant circulé auprès des voisins (…)". Et l'enfant du couple, témoin du drame, évoque lui aussi un deuxième homme. "Il m'a dit 'il y en a un il voulait me tuer' et un autre qui aurait dit 'attend' ou 'non pas encore'", a expliqué aux enquêteurs la sœur de Jessica - devenue la tutrice du petit garçon -, ajoutant que l'enfant parlait "d'un méchant et d'un gentil". Pour autant, aucune autre preuve tangible de la présence de Mohamed Lamine Aberouz sur les lieux de l’attentat n’a pu être établie.

Des accusations que balaye le principal intéressé. Mohamed Lamine Aberouz, qui nie toute implication dans l’assassinat du couple de policiers, assure avoir quitté son logement le 13 juin 2016 pour aller à la mosquée des Mureaux. Pourtant, aucun témoin n'a pu confirmer sa présence ce soir-là et son téléphone, qui n'a pas été utilisé de 18 heures à 20 heures, n'a borné nulle part.

Quant à l'ADN retrouvé dans la voiture de Larossi Abballa et sur l'ordinateur du couple, là aussi Mohamed Lamine Aberouz a une explication. Il affirme qu'il montait régulièrement dans la voiture de son ami et qu'il lui a serré la main quelques jours avant l'attentat, évoquant un "transfert de contamination". Si la thèse est plausible pour les échantillons retrouvés dans le véhicule, pour ceux sur l'ordinateur, en revanche, c'est impossible, selon les spécialistes. Pour les experts, la concentration de l'ADN étant "bien supérieur" et plusieurs jours s'étant écoulés, il ne peut pas s'agir d'un contact indirect.

Un "guide spirituel"

D'autant que, selon les juges d'instruction, Mohamed Lamine Aberouz ne pouvait pas ignorer le projet de Larossi Abballa. A cette époque, les deux amis "se fréquentaient assidûment, partageaient les mêmes convictions et étaient portés par la même idéologie favorable au jihad armé". Pour eux, Mohamed Lamine Aberouz était même une sorte de "guide spirituel" pour Larossi Abballa. Il lui donnait des "conseils en matière d'apprentissage et de pratique de la langue arabe", tout en relayant "le positionnement stratégique et idéologique de l'Etat islamique", écrivent les juges.

Si Mohamed Lamine Aberouz a reconnu, lors de ses interrogatoires, que l'Etat islamique correspondait "le mieux à ses propres convictions", il dit "désavouer" leurs actions et attentats. Pourtant, le trentenaire est déjà connu de la justice pour des faits de terrorisme. En 2021, il avait été condamné à cinq ans de prison pour non-dénonciation de crime terroriste pour l'attentat raté aux bonbonnes de gaz près de Notre-Dame-de-Paris en 2016.

Sur son téléphone, les enquêteurs ont retrouvé de nombreux messages relayant la propagande de Daesh, faisant l'apologie du jihad, appelant à combattre et annonçant de nouveaux attentats. Interrogé, il a admis avoir "suivi sur Telegram les chaînes de propagandes de l'Etat islamique", expliquant qu'il "voulait se renseigner sur cette organisation".

Lors de l'exploitation du téléphone de Larossi Abballa, les enquêteurs ont repéré plusieurs messages audios d’incitation au passage à l’acte, attribués à Mohamed Lamine Aberouz. Mais aucune expertise n'a pu l’identifier formellement sur ces enregistrements. Quant au texte de revendication de l'attentat du terroriste, il comporte des références à un texte similaire, retrouvé chez Mohamed Lamine Aberouz. Mais selon lui, il s'agit d'un texte connu, sur lequel son ami lui avait demandé d'effectuer des recherches à sa place, par "paresse", a-t-il expliqué aux juges.

Des repérages en amont?

Mais alors pourquoi Mohamed Lamine Aberouz a-t-il supprimé son compte Telegram le soir du double assassinat? Pour les enquêteurs, la raison est claire, il a voulu "échapper aux forces de l'ordre et supprimer les conversations secrètes échangées sur l'application cryptée". Selon l'interéssé, il l'a fait après avoir vu la vidéo de revendication de son ami, craignant d'être mis en cause.

Ce sont aussi les déplacements de l'homme qui intriguent la justice. Les semaines qui ont précédé le double assassinat, le téléphone Mohamed Lamine Aberouz a borné, à plusieurs reprises, en même temps que celui de Larossi Abballa à Magnanville, près du domicile des victimes. Plusieurs témoins ont d'ailleurs affirmé avoir vu, les jours précédant le drame, le terroriste, à bord d'une Clio blanche, circuler dans le quartier, accompagné d'un homme non-identifié. Aux juges, Mohamed Lamine Aberouz dira qu'il a accompagné son ami à de déplacements professionnels dans le secteur, mais il également avec son auto-école lors de ses cours de conduites.

Pour les juges d'instruction, il est "peu vraisemblable" que Mohamed Lamine Aberouz n'ait pas été au courant des activités et des projets de Larossi Abballa. Ils estiment que Mohamed Lamine Aberouz a pu accompagner Larossi Abballa dans son entreprise terroriste pour un "encouragement moral et un renfort idéologique", mais également garantir "la commission de leurs assassinats successifs". Autant de points sur lesquels Mohamed Lamine Aberouz va devoir s'expliquer.

Son procès est prévu jusqu'au 10 octobre. L'homme encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Article original publié sur BFMTV.com