Attaques de navires en mer Rouge : faut-il craindre des conséquences en France ?

Plusieurs armateurs ont annoncé suspendre le passage de leurs navires en mer Rouge et donc par le Canal de Suez, passage clé pour accéder à l'Europe depuis l'Asie.

Plusieurs armateurs comme CMA CGM ont annoncé suspendre leur passage par la mer Rouge, et donc le Canal de Suez, suite à des attaques. De quoi rallonger significativement les temps de livraison depuis l'Asie. (Photo d'illustration ROBERT FRANCOIS / AFP)
Plusieurs armateurs comme CMA CGM ont annoncé suspendre leur passage par la mer Rouge, et donc le Canal de Suez, suite à des attaques. De quoi rallonger significativement les temps de livraison depuis l'Asie. (Photo d'illustration ROBERT FRANCOIS / AFP)

Maersk, MSC, Hapag-Lloyd, BP... plusieurs géants du transport maritime mondial ont suspendu tout transit par la mer Rouge après des attaques menées par le mouvement rebelle yéménite Houthi, allié de l'Iran, contre des navires dans la zone.

Or, la mer Rouge revêt une importance stratégique pour le commerce mondial : elle mène au Canal de Suez, porte d'entrée en Europe pour les navires en provenance d'Afrique et d'Asie, et permet de gagner un temps considérable pour les navires reliant l'Europe depuis l'Orient, en évitant de contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. En 2021, on estimait qu'environ 12 % du commerce mondial total transitait par le canal de Suez.

"Si cela dure, ça posera problème car il faut contourner l'Afrique, et ca génère une perte de temps"

De quoi inquiéter certains professionnels du secteur comme le PDG de Système U, Dominique Schelcher. "Cela aura un impact sur les délais de livraison de certaines marchandises", alerte-t-il.

Faut-il réellement s'inquiéter ? "Tout dépend du nombre de navires qui font le détour et du temps que cette situation dure. Si c'est court, ou que peu de navires sont concernés, cela ne posera pas de problème. Si cela dure en revanche, ça posera problème car il faut contourner l'Afrique, et ca génère une perte de temps", relativise Christian Buchet, directeur du Centre d'études de la mer de l'Institut catholique de Paris.

"Les pompes à injection, les cartes mémoires, les processeurs sont les plus concernés"

"Il faut compter une semaine à dix jours de plus pour la livraison de produits importés d'Asie. Un navire qui fait Shanghaï-Le Havre-Rotterdam mettra 35 jours au lieu de 28 jours. Les produits industriels comme les pompes à injection, les cartes mémoires ou encore les processeurs sont les plus concernés car importés en masse d'Asie. Dans une moindre mesure, la grande distribution sur certains produits, comme les chaises de jardin en plastique et les chambres à air de vélo, est aussi concernée si les navires cessent d'emprunter le canal de Suez, donc il y a un risque qu'il manque d'un peu de produits si la situation dure", prolonge Paul Tourret, directeur de l’Institut Supérieur d’Économie Maritime (ISEMAR).

Si certains produits pourraient connaître une difficulté d'approvisionnement, la situation est loin d'être alarmante. "C'est une contrainte, mais ce n'est pas une catastrophe. Déjà parce qu'on est dans le creux de l'hiver, les jouets de Noël sont arrivés, le trafic reprendra fortement en février-mars pour les produits d'été. Ensuite parce que si contourner l'Afrique est plus long, ce n'est pas beaucoup plus cher, le coût du passage par le Canal de Suez étant extrêmement élevé", poursuit le spécialiste.

Vers une hausse des prix des carburants ?

Une situation qui rappelle celle du printemps 2021, lorsque l'un des plus gros porte-conteneurs au monde, l'Ever Given s'était échoué dans le canal de Suez, bloquant totalement le trafic durant une semaine et entrainant ainsi le blocage de plus de 400 navires transportant 26 millions de tonnes de marchandises, et de retards d'expédition d'articles de tous les jours pour les consommateurs du monde entier.

"Ce qui a changé depuis, pour l'Europe, c'est la dépendance au pétrole et au gaz du Moyen-Orient. En 2021, l'Europe en était très peu dépendante. Mais depuis les sanctions contre la Russie, l'Europe s'approvisionne davantage en pétrole du Moyen-Orient et en gaz du Qatar, qui passent tous par le Canal de Suez. La légère hausse des couts du contournement de l'Afrique et le temps supplémentaire peuvent donc faire augmenter les prix, mais pas de manière démesurée, car les compagnies économisent le coût du passage par le canal de Suez", analyse Paul Tourret.

"J'ai du mal à imaginer que la situation dure"

En effet, le passage par le Canal de Suez, qui fait gagner entre une semaine et dix jours, est particulièrement onéreux, autour de 500 000 dollars pour les plus gros navires. Un coût qui compense globalement le carburant supplémentaire nécessaire au contournement de l'Afrique. "C'est l'Égypte qui est le plus gros perdant, avec une manne financière énorme perdue par les navires qui renoncent au passage par le Canal, et qui ne paient donc pas le péage", estime Christian Buchet.

Lors du blocage du Canal de Suez par l'Ever Given, on estimait que chaque jour de blocage du canal coûtait entre 5 et 8 milliards d'euros au commerce maritime. "En raison des coûts que ca engendre, j'ai du mal à imaginer que la situation dure, que les rebelles du Yémen menacent l'économie mondiale, que l'Égypte continue de perdre tant d'argent. Il suffit d'y mettre les moyens militaires, avec des frégates pour sécuriser le passage par exemple. Il serait étonnant qu'il n'y ait pas de coalition de plusieurs pays pour assurer la sécurité du passage", estime Christian Buchet.

La communauté internationale commence à faire pression. Le chef du Pentagone a appelé l'Iran à cesser de "soutenir" les attaques des Houthis, Berlin a estimé que les attaques des Houthis "mettent en danger" Israël et la navigation internationale. Catherine Colonna a de son côté estimé que les attaques en mer Rouge "ne peuvent rester sans réponse.

VIDÉO - Attaques en mer Rouge : les Houthis menacent le trafic maritime