Attaques du Hamas: comment parler de la situation en Israël aux enfants

Alors que des familles cherchent encore leurs proches après les attaques du Hamas, que l'armée israélienne traque toujours des terroristes infiltrés sur son territoire, qu'Israël continue de frapper la bande de Gaza et que les images sont omniprésentes à la télévision mais aussi sur les réseaux sociaux, comment parler de cette situation aux enfants, notamment s'ils ont été confrontés à des images violentes? Plusieurs psychologues et pédopsychiatre livrent leurs conseils.

• Évaluer l'exposition de l'enfant

S'il n'est pas nécessaire d'aborder le sujet auprès d'un enfant de 3 ou 4 ans qui ne regarderait pas la télévision et n'aurait pas accès aux réseaux sociaux, le pédopsychiatre Patrice Huerre prône cependant la vigilance. "Il est essentiel de rester attentif à ce que l'enfant a pu capter par les écrans mais aussi de ce qu'il a entendu", conseille-t-il à BFMTV.com.

C'est également l'une des recommandations de l'Unicef qui a publié des conseils sur la manière de parler de la guerre et des conflits avec les enfants. "Demandez à l'enfant ce qu'il sait et ce qu'il ressent", écrit le Fonds des Nations unies pour l'enfance, qui ajoute que pour les jeunes enfants, le dessin ou le jeu peuvent permettre d'ouvrir la discussion.

Pour les enfants entre 6 et 11 ans, "même si les parents les préservent, il y a de nombreux espaces où ils ont pu en entendre parler", pointe Marion Haza, psychologue clinicienne et directrice de recherche à l'Université Paris Cité.

Elle recommande ainsi d'interroger d'abord son enfant, non pas frontalement, mais en lui demandant si un événement l'inquiète en ce moment, s'il a entendu parler de quelque chose de grave ou qui lui fait peur.

"Ce n'est pas la même chose s'il a entendu parler de guerre ou de bébé tué."

À partir de ce qu'il répond, cette psychologue prescrit des explications "à hauteur d'enfant". "Ce ne sont pas les mêmes interrogations ni les mêmes réponses si l'enfant a 6 ou 14 ans." Un seul impératif, selon elle, "ne pas zapper" et s'interdire de balayer ses remarques d'un "ce n'est pas de ton âge, ça ne te regarde pas".

"Si l'enfant formule quelque chose, c'est qu'il y a une inquiétude."

• En parler à partir de quel âge?

Difficile d'établir un âge à partir duquel il serait possible d'évoquer la situation en Israël, estime Milan Hung, psychologue clinicienne spécialiste des usages du numérique et du jeu vidéo chez l'enfant. "Il n'y a pas vraiment de seuil, tout dépend de la maturité de l'enfant", souligne-t-elle auprès de BFMTV.com.

Attention à ne pas non plus imposer un sujet difficile à un enfant qui ne serait pas demandeur, met en garde Jean-Luc Aubert, psychologue spécialiste de l'enfant et de l'adolescent. "Le mieux est de se contenter de répondre aux questions que l'enfant pose, quel que soit son âge." Sans en dire trop ni aller trop loin.

"Ce n'est pas la peine de s'étendre", ajoute-t-il. "On répond à la question sans anticiper d'autres questions qu'il n'a pas posées."

Jean-Luc Aubert suggère par ailleurs d'adopter "une forme de neutralité" dans le discours des parents pour ne pas ajouter "ses propres angoisses" ou "ses interprétations".

• Faut-il tout dire?

S'il s'agit d'un enfant scolarisé au primaire, la psychologue Milan Hung conseille de se limiter aux grandes lignes et d'éviter les détails. "Il n'est pas nécessaire de souligner la violence de la situation. C'est trop complexe, trop abstrait, trop terrifiant. On peut tout à fait rester vague."

En revanche, si cette professionnelle préconise "d'arrondir les angles", pas question de cacher la vérité. "Mesurer ses mots ne signifie pas mentir", nuance cette spécialiste des usages du numérique chez l'enfant.

"On ne va pas entrer dans des questions de politique mais on peut simplement expliquer que des gens ont eu très mal et que c'est grave."

Pour un adolescent, la réponse peut être plus étoffée. "On peut tout à fait replacer succintement la situation dans son contexte historique", considère Jean-Luc Aubert, également auteur de la chaîne Youtube Question de psy. Si Milan Hung estime elle aussi qu'il est possible d'être "plus précis" avec un adolescent, tout dépend encore une fois de son niveau de maturité.

• Exprimer ses émotions

L'essentiel: l'expression de ses émotions. Ce qui passe d'abord par celles des adultes, juge le pédopsychiatre Patrice Huerre, ancien chef de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'établissement public de santé Erasme à Antony. Si certains parents pensent bien faire en retenant ce qu'ils ressentent ou en faisant comme s'il ne s'était rien passé, ce serait plutôt l'attitude inverse qu'il faudrait adopter.

"Qu'il s'agisse de la situation en Israël, de tout autre conflit ou même d'une situation familiale difficile, avec un deuil ou une maladie, en partageant ses émotions, l'adulte autorise l'enfant à exprimer les siennes."

"On peut tout à fait dire qu'on est triste, stupéfait. L'enfant va apprendre à formuler avec des mots ce qu'il éprouve."

L'Unicef recommande d'ailleurs de prendre au sérieux les sentiments de l'enfant et de ne pas minimiser ses inquiétudes. Quant aux adolescents avec qui le dialogue est parfois plus compliqué, le psychologue Jean-Luc Aubert suggère une façon "détournée" pour créer les conditions d'un échange.

"Avec le second parent, on peut parler des événements en présence de l'adolescent, dire ce qu'on ressent et tenter de lui demander son avis. S'il a envie d'entrer dans la conversation, il le fera."

• Quelle réaction face aux images?

En amont, la psychologue Marion Haza recommande d'éteindre au maximum les écrans en présence d'un enfant. "Même pour les adultes", pointe-t-elle, "il n'est pas nécessaire de s'imposer certaines images". D'autant que si ces dernières sont "choquantes et sidérentes" pour un adulte, "c'est dix fois pire pour un enfant."

"L'enfant reste scotché à l'image qui est déconnectée des mots, du sens. Il ne retient que ce corps allongé par terre."

En ce qui concerne les réseaux sociaux, elle rappelle qu'un enfant de moins de 13 ans n'a rien à y faire. "C'est une question de protection. Sur les réseaux sociaux, il n'y a aucun filtre."

Mais dans le cas où un enfant serait confronté à des images brutales, "il est important de souligner leur caractère exceptionnel, de ne pas les banaliser", conseille encore la psychologue Milan Hung. L'idéal selon elle: ouvrir le dialogue et maintenir un lien de confiance avec l'enfant "pour ne pas le laisser seul avec ce genre d'informations".

• Comment rassurer?

"Tout passe par la parole", insiste Milan Hung, même si elle reconnaît qu'il "n'y a pas de formule magique". "Rappeler à son enfant qu'on est là, c'est déjà un pas." Autre solution: inscrire la situation dans l'Histoire afin de prendre de la hauteur sur les événements. C'est également le conseil que formule Marion Haza, par ailleurs fondatrice et présidente de l'Association de recherche clinique sur l'adolescence.

"D'abord savoir ce que l'enfant a compris puis lui expliquer que c'est un conflit ancien qui s'inscrit dans un contexte. On peut aussi faire appel à des supports adaptés, montrer sur une carte. L'enfant s'inquiète que la guerre arrive chez lui, il comprendra que le coup de fusil ne va pas le toucher dans la cour de récréation."

L'Unicef suggère également de mettre en avant les histoires positives, comme cette mère qui a retrouvé ses deux enfants rescapés des attaques. Agir de manière positive peut également représenter une source de réconfort, comme dessiner une affiche ou écrire un poème pour la paix, mais aussi participer à une action locale de dons, pas exemple, au profit d'une association.

"Dans tous les cas, la posture rassurante de l'adulte est importante", ajoute Milan Hung. "Un enfant s'appuie beaucoup sur les adultes. S'ils voient ses piliers qui perdent le contrôle, il sera terrifié." Une analyse que partage Jean-Luc Aubert.

"Si le parent répond sereinement et de la manière la plus simple aux questions, cela apaisera les angoisses de l'enfant."

Article original publié sur BFMTV.com