Attaque de drone au Kremlin : la Russie a-t-elle mené l’opération elle-même ?

Si l’Ukraine a directement été accusée d’être à l’origine de l’attaque au drone sur la coupole du palais du Sénat, la Russie est également mise en cause par des observateurs.

GUERRE EN UKRAINE - « Épisode étrange », « assez peu compréhensible », « mystérieux »… C’est par ces mots -choisis avec précaution- que Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères a qualifié ce jeudi 4 mai la tentative d’attaque de drone sur le Kremlin survenu dans la nuit de mardi à mercredi.

Depuis le premier rapport sur les événements, la Russie accuse sans relâche l’Ukraine d’avoir orchestré « une attaque terroriste planifiée » contre Vladimir Poutine sur demande des États-Unis. Mais Kiev dément formellement être à l’origine de cette attaque, tout comme Washington qui accuse Moscou de « mentir ».

Et ces dernières heures, plusieurs voix s’élèvent pour souligner le caractère singulier des événements de la nuit du 2 au 3 mai. À l’instar des déclarations prudentes, mais intrigantes de Washington puis de la ministre française des Affaires étrangères au micro de France Inter, le doute semble tenace quant à l’origine même de cette attaque, que certains attribuent à la Russie elle-même, comme vous pouvez le constater dans la vidéo en tête d’article.

Un timing intriguant

Même le sérieux Institute for the Study of War (ISW) ne croit pas à la version russe. Pour ce think-tank américain « plusieurs indicateurs » peuvent suggérer « que l’attaque a été menée en interne et délibérément mise en scène » au regard de « la réponse immédiate, cohérente et coordonnée du Kremlin ».

L’ISW évoque dans son rapport quotidien du 3 mai que la Russie n’aurait pas été capable de fournir un récit aussi cohérent sans être au courant des événements. « Si l’attaque du drone n’avait pas été mise en scène en interne, cela aurait été un événement surprise. Il est très probable que la réponse officielle russe aurait initialement été beaucoup plus désorganisée », insiste l’institut.

Surtout qu’au regard de précédents événements survenus depuis le 22 février 2022, « le Kremlin a échoué à générer une réponse informationnelle opportune et cohérente à d’autres humiliations militaires qui ne sont pas de son fait ». L’ISW note d’ailleurs des drones « abattus juste au-dessus du cœur du Kremlin en une manière qui a fourni des images spectaculaires bien prises en photo », ce que souligne également la chaîne américaine MSNBC en évoquant des « images contrôlées, au minimum ». Des images exclusivement fournies par la vidéosurveillance de la place Rouge qui font dire au général Jérôme Pellistrandi sur BFMTV que « la Russie veut que nous voyions » cet événement.

Le timing de communication du Kremlin interroge aussi. Pour une attaque survenue entre deux et trois heures du matin, il aura fallu attendre près de 10 heures avant une première communication du service de presse du président Poutine. La première mention de l’attaque par l’agence de presse russe TASS a eu lieu à 13 h 34.

La forteresse de Poutine

Bien qu’absent au moment de l’attaque, Vladimir Poutine était la cible, selon le Kremlin. Pourtant, il est établi que cette forteresse, située au cœur de Moscou, fait partie des lieux les mieux protégés de Russie. Voire du monde.

L’ISW note d’ailleurs que « les autorités russes ont récemment pris des mesures pour accroître les capacités de défense aérienne intérieure russe, y compris à Moscou même ». Et d’ajouter que « des images géolocalisées de janvier 2023 montrent que les autorités russes ont placé des systèmes de défense aérienne Pantsir près de Moscou ».

Que « deux drones aient pu pénétrer plusieurs couches de défense aérienne et exploser » est donc jugé « extrêmement improbable » par le think-tank américain. Une attaque étrangère sur le palais du Sénat serait d’ailleurs « un embarras important pour la Russie », ajoute-t-il.

« Je suis dans la thèse du coup monté des Russes. C’est trop beau pour être vrai… C’est un mimi missile, un doudou drone ! », commente également sur LCI le général Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major du Shape, organisme de l’Otan.

Un autre élément intrigue : celui de cibler Poutine au Kremlin alors qu’il est établi que le président russe boude régulièrement le Kremlin, lui préférant sa résidence officielle et ultra-sécurisée de Novo-Ogariovo, à 25 kilomètres à l’ouest de la capitale russe.

Un prétexte idéal pour la Russie ?

Dans l’hypothèse d’une auto-attaque russe sur l’un de ses bâtiments les plus importants, reste la question du mobile. L’incident survenu tôt le 3 mai intervient moins d’une semaine avant la date hautement symbolique du 9 mai. Essentielle dans l’agenda du Kremlin, cette date est l’occasion d’un grand défilé militaire sur la place Rouge à Moscou, marquant la victoire sur l’Allemagne nazie en 1945.

Et si Vladimir Poutine n’a jamais eu besoin d’un prétexte pour frapper l’Ukraine, l’attaque de ce lieu en plein préparatif du 9 mai pourrait avoir un effet de levier sur la population, prise d’un sentiment d’insécurité. L’idée étant, selon James Nixey, directeur du programme Russie et Eurasie du groupe de réflexion Chatham House interrogé par AP, qu’une « opération sous fausse bannière de Moscou » permettrait de « justifier des attaques plus intenses en Ukraine ou plus de conscription ».

D’autant plus que l’Ukraine finalise une contre-offensive d’ampleur et annoncée depuis de nombreux mois.

Pour autant, une source russe clairement identifiée, Ilya Ponomarev, assure que cette attaque est russe. Mais elle ne serait pas l’œuvre du Kremlin mais plutôt celle d’un groupe de militants opposé à Vladimir Poutine. C’est ce qu’a avancé cet ancien député russe aujourd’hui exilé auprès de CNN.

En 2014, cet homme avait été le seul membre élu de la Douma a voté contre l’annexion de la Crimée. « C’est l’un des groupes d’opposants russes » composé de « jeunes, d’étudiants, d’habitants de grandes villes », avance-t-il. Et Ilya Ponomarev croit savoir que les attaques de drone sont une « nouvelle ligne d’opération » de ces groupes militants. « Ce que Poutine vend à la nation et en particulier aux élites, c’est le sentiment d’invulnérabilité et de sécurité. Et ces opposants ruinent les deux. Ils estiment que la guerre est là et que vous, vous personnellement, n’êtes pas en sécurité ».

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