Attaque à Paris: pourquoi la rétention de sûreté, réclamée par une partie de l'opposition, ne pouvait être appliquée au terroriste

Une mesure radicale pour lutter contre les radicalisés. Au lendemain de l'attaque terroriste du pont de Bir Hakeim, à Paris, des responsables politiques réclament le recours systématique du placement en rétention de sûreté administrative, un dispositif de suivi socio-médico-judiciaire mis en place une fois que la peine prononcée par l'autorité judiciaire a été purgée. Pour les personnes condamnées pour des actes terroristes ou en lien avec un projet d'action violente, elle existe depuis la loi du 31 juillet 2021.

"La rétention de sûreté est possible en matière terroriste mais ces dispositions étant entrées en vigueur après la condamnation et la libération de l'individu concerné par l'attentat de ce week-end, elles ne lui étaient pas applicables", note Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public.

Interpellé en 2016, Armand R. l'islamiste radical qui a attaqué au couteau et au marteau trois personnes, en tuant une, est sorti de prison en 2020 après avoir été condamné à cinq ans d'emprisonnement pour un projet d'attaque au quartier d'affaires de La Défense. A sa sortie, il était sous Micas, à savoir des mesures de police administrative, proches d'un contrôle judiciaire, qui peuvent contraindre la personne à pointer dans un commissariat, à faire connaître son lieu de résidence, ou à lui interdire de paraître dans certains endroits.

Fiché S, son suivi post-prison était renforcé notamment car la justice s'est rendu compte qu'en mars 2020, Armand R. avait des échanges numériques avec un autre individu radicalisé, en l'espèce Abdoullakh Anzorov, qui assassinera en octobre de la même année Samuel Paty. Entendu par des enquêteurs, il se présente à ce moment-là comme anti-islamiste. Toutefois la justice avait obtenu des injonctions de soins resserrées après une nouvelle expertise psychiatrique. En avril dernier, les experts notaient qu'il ne présentait "aucune dangerosité".

Rétention systématique en fin de peine

Si le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin déplore un "ratage psychiatrique", l'opposition estime que le gouvernement doit rendre des comptes alors que 340 personnes condamnées pour radicalisation ou radicalisées en prison sont sorties de détention depuis 2018. "La rétention de sûreté pour les affaires liées au terrorisme islamique doit être systématique", martèle Jordan Bardella, président du Rassemblement national au lendemain de l'attaque du pont de Bir Hakeim.

"Cette rétention de sûreté nous la demandons depuis longtemps (...) oui il faut maintenir en détention des individus à la fin de leur peine qui ont été condamnés pour terrorisme ou apologie du terrorisme et dont la non dangerosité n'est pas parfaitement établie", estime également sur BFMTV Othman Nasrou, vice-président de la région Ile-de-France, premier secrétaire général délégué Les Républicains.

Concrètement, la rétention de sûreté est un placement, pendant un an renouvelable, une personne en fin de peine dans un centre médico-socio-judiciaire, si on juge qu'il existe toujours un risque de récidive. Créée en 2008, cette mesure a été instaurée pour les criminels condamnés à une peine d'au moins 15 ans de prison. On parle alors d'assassinat, de meurtre, de torture ou encore d'acte de barbarie. Pour être décidée, il faut que la cour d'assises qui a condamné la personne ait prévu cette possibilité lors de son verdict.

Loi non rétroactive

En matière de terrorisme, la mise en place de cette mesure a été envisagée dès 2020 avec la loi "instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine", pour éviter les sorties sèches. Votée par le Sénat et l'Assemblée nationale, la mesure de sûreté pour les ex-détenus terroristes avait été censurée par le Conseil constitutionnel, les Sages considérant que la loi, telle rédigée, portait atteinte aux droits et aux libertés des personnes.

En 2021, dans le cadre de la loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement défendue par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, la mesure est reprise. Adoptée en juillet, elle prévoit que lorsqu'une personne est condamnée à au moins cinq ans de prison (trois ans en cas de récidive), pour terrorisme ou apologie du terrorisme, et "que cette personne présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie (...)", une mesure judiciaire de rétention de sûreté peut être prononcée par le tribunal d'application des peines. Là encore le suivi peut être réalisé dans un établissement d'accueil adapté.

Il n'y a pour autant rien d'automatique, cette mesure est décidée après débat contradictoire devant une commission disciplinaire. Ce suivi peut être réalisé sur une période de cinq ans jusqu'à la sortie de la personne concernée. Mais comme toute loi adoptée en France, celle-ci n'est pas rétroactive et ne concerne donc pas les individus condamnés avant le 31 juillet 2021.

Article original publié sur BFMTV.com