Après la mort de Nahel, Macron peut-il faire l’impasse sur un examen critique de la police ?

Alors que le chef de l’État s’en est pris aux jeux vidéo, aux réseaux sociaux et à la responsabilité des parents, la question policière est esquivée par l’exécutif.

POLITIQUE - C’est, pour l’instant, un angle mort des réponses apportées par Emmanuel Macron à la crise que vient de traverser le pays à la suite de la mort de Nahel. Si ce n’est pour lui apporter le soutien qu’elle mérite dans le cadre des émeutes, le chef de l’État ne dit rien au sujet de la police, à l’inverse des jeux vidéo, des réseaux sociaux ou de la responsabilité des parents qu’il a mis en cause.

Pourtant, c’est peu dire que la question liée à la gestion des forces de l’ordre s’est imposée dans le débat public. Soit via l’opposition de gauche, qui invite bruyamment l’exécutif à procéder à une « refonte » de la police, soit via les organisations internationales qui déplorent cet impensé du pouvoir français. Vendredi 30 juin, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a jugé qu’il était temps pour la France « de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre ».

Et aussi de « s’assurer que l’usage de la force par la police pour s’en prendre aux éléments violents lors des manifestations respecte les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité ». Soit peu ou prou ce que l’ONU avait déjà dit au mois de mai, au sujet, déjà, des violences policières et des discriminations raciales.

Matière à réflexion

Une injonction à laquelle la France a adressé une fin de non-recevoir. « Toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l’ordre en France est totalement infondée », a réagi le quai d’Orsay, pendant que la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun Pivet assurait qu’il n’y avait « aucun problème » dans la police, qui exerce « sa mission de façon merveilleuse ». Un déni que ne partagent pas les Français qui, selon un sondage YouGov pour Le HuffPost, estiment à près de 70 % qu’il y a du racisme dans la police.

Il faut dire qu’il existe — de façon objective — matière à réflexion. Outre les nombreux précédents médiatiques, de l’affaire Zecler aux différents dossiers portant sur des groupes de discussions racistes, un rapport de l’ex-défenseur des droits Jacques Toubon soulevait en 2017 que « les hommes, jeunes, perçus comme noir ou arabe » avaient une « probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés ». Pourtant, six ans plus tard, rien n’a changé.

Au contraire, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin peine à condamner les propos tenus par les syndicats de police en marge des émeutes, qui se disent « en guerre » contre « des hordes de sauvages », jusqu’à utiliser le terme - très connoté — de « nuisibles ». Au sein du gouvernement, où le souvenir de la grogne policière envers Christophe Castaner qui demandait une « tolérance zéro » face au racisme dans la police est tenace, le malaise est palpable.

« Ordre républicain »

« Le sujet, ce n’est pas la police. Cela affaiblirait l’ordre républicain que de le dire », esquivait en début de semaine un ministre, témoignant de la frilosité du pouvoir à froisser les policiers, alors que le Beauvau de la sécurité convoqué à la suite de l’affaire Zecler n’a finalement pas permis d’aborder en profondeur les sujets qui fâchent. « Les problèmes sont systémiques, mais ce mot paraît imprononçable à nos ministres ou présidents successifs », regrette dans une tribune au Monde Sebastian Roché, politologue spécialiste des questions de police, qui pointe « le laxisme des responsables politiques en matière de discrimination et de violence policière ».

Dans la majorité, certains appellent cependant à ne pas faire l’impasse sur l’emploi des forces de l’ordre, à l’instar du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié, favorable à une évaluation de la loi de « sécurité publique » votée en 2017, encadrant l’usage des armes à feu dans les refus d’obtempérer, et mise en cause dans la mort de Nahel. Sans toutefois tendre vers une abrogation, comme le réclame la gauche. « Réformer la loi parce qu’il y a des évènements dans lesquels un policier ne l’aurait pas appliquée ça me paraît un peu baroque », a-t-il fait valoir, alors que les tirs mortels lors de refus d’obtempérer ont augmenté de 35 % depuis la promulgation de ce texte.

Outre les problèmes de racisme et des violences policières qui s’invitent régulièrement en une de l’actualité, la gestion des ressources humaines pose également question. Dans sa déposition révélée par Le Parisien, Florian M., qui a tué le jeune Nahel, a affirmé qu’il en était à « son neuvième jour de travail consécutif » quand il a tiré sur l’adolescent. Un sujet qui devrait, a minima, questionner la possibilité d’envoyer sur la voie publique des forces de l’ordre dans de telles conditions de fatigue, lesquelles paraissent aux antipodes de la lucidité nécessaire à l’accomplissement de leur mission. Mais qui est, pour l’heure, totalement absent du débat public, comme des premières pistes de travail évoquées par Emmanuel Macron.

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