Après l’affaire Depardieu, Lucie Lucas revient sur sa prise de parole : « Les choses vont se compliquer pour moi »

L’actrice de « Clem » Lucie Lucas revient pour le HuffPost sur ses propos à l’encontre de Victoria Abril, signataire de la pétition de soutien à Gérard Depardieu. Et sur les violences qu’elle dit avoir subies en tournage.

AFFAIRE DEPARDIEU - C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter. Après des années passées à se taire, Lucie Lucas a décidé de briser le silence. Suite à la diffusion de l’émission Complément d’enquête consacrée au comédien Gérard Depardieu sur France 2, et à la prise de parole d’Emmanuel Macron insinuant qu’il s’agissait d’une chasse à l’homme, une cinquantaine de personnalités ont suivi le mouvement. Elles ont cosigné une pétition de soutien publiée dans Le Figaro le 25 décembre au soir. Parmi ces personnalités : Carole Bouquet, Gérard Darmon, Carla Bruni, Pierre Richard, Charles Berling, mais aussi Victoria Abril.

La tribune de soutien à Gérard Depardieu « rappelle furieusement l’Ancien Régime »

Sur le compte Instagram de Charlotte Arnould, l’une des femmes à avoir porté plainte contre Gérard Depardieu pour viol, en commentaire d’un post listant les personnalités signataires de la pétition de soutien, Lucie Lucas a interpellé celle qui a joué sa mère dans la série Clem pendant des années, Victoria Abril. La comédienne de Cannes, Police Criminelle a accusé l’actrice espagnole d’avoir eu elle aussi des comportements inappropriés. Ce faisant, Lucie Lucas a déclenché une tempête au cœur de laquelle elle se trouve depuis.

Elle a accepté de revenir pour le HuffPost sur sa prise de parole, et plus largement, sa vision de l’omerta qui règne aujourd’hui encore dans le milieu du cinéma et de la télévision.

« Je ne serai plus complice de l’omerta généralisée »

Le HuffPost : Pourquoi avoir choisi de parler maintenant en nommant votre partenaire de Clem, Victoria Abril ?

Lucie Lucas : Il n’y a jamais de bon moment pour balancer une bombe comme ça. Voir tous ces noms sur cette liste, ça m’a fait exploser. Victoria Abril, c’est ma maman de cinéma, je me suis sentie trahie. J’ai été menaçante, sans avoir l’intention de développer en ce qui concerne des actes non consentis, puisque je n’étais pas directement concernée et que je ne raconte pas les histoires des autres sans leur accord. Par contre, j’ai voulu lui, leur faire prendre conscience de l’hypocrisie de signer une tribune pareille, et rappeler que personne n’est intouchable.

Ça ne m’intéresse pas de remuer le passé, mais dorénavant, je ne laisserai plus rien passer sur un plateau, je ne serai plus complice de l’omerta généralisée.

Pourtant vous dites avoir contribué à ce système en taisant les violences que vous avez subies ?

Pendant longtemps, je n’ai rien osé dire ou faire, donc oui, j’ai ma part de responsabilité. Mais il y a des comportements qui ne sont plus admissibles.

Un jour, après des semaines de harcèlement, un acteur m’a dit, complètement premier degré et devant témoin : « Tu me rends fou, je vais te violer, ça se voit que tu es le genre de femme qui aime ça ». Un réalisateur a tambouriné à ma porte à quatre heures du matin pour me dire qu’il fallait que je me donne à lui en me disant : « Je te vois dans mon petit écran toute la journée, je n’en peux plus. » Quelqu’un de plus connu que moi sur le plateau a secoué ma chaise alors que j’étais enceinte de sept mois en me disant : « Dégage la grosse, c’est ma place », j’ai dû me lever et rester debout à côté car il n’y en avait pas d’autre. Un réalisateur, dès la première minute de tournage, s’est mis à m’humilier violemment parce que c’était « sa méthode » au point de rendre malade un technicien et qu’un autre ne revienne pas travailler le lendemain.

Il ne faut plus non plus qu’une personnalité connue se sente le droit d’imposer à une équipe des horaires impossibles et que la résultante en soit trois accidents de voiture parce qu’épuisés, des gens de l’équipe se sont endormis au volant. Ce sont quelques exemples parmi beaucoup d’autres. Mais pour se sentir légitime de réagir, il faut qu’il y ait un environnement sécurisant, un minimum. Savoir qu’on ne va pas tout risquer.

Vous avez peur des répercussions de cette « bombe » sur votre carrière ?

Les choses vont se compliquer pour moi, c’est certain. Je ne sais pas du tout si je vais avoir des nouveaux contrats. Je vais être ciblée comme quelqu’un qui parle. Mais je ne peux plus travailler à n’importe quel prix.

Il faut qu’on soit mieux protégé de la part des productions et des chaînes, d’ailleurs la production de Clem est aujourd’hui bienveillante et à l’écoute et ça devrait être la norme, partout. Il faut que les personnes qui ont l’impression d’agir en toute impunité n’aient plus ce sentiment-là. Et que les personnes qui sont fragilisées, moins connues ou dans l’ombre, se sentent légitimes de mettre leurs limites. Et en sécurité quand elles dénoncent que ces limites ont été outrepassées.

« En France on aime les héros, les leaders, les idoles. Mais on n’aime pas les gens qui dénoncent, qui sont, ou se disent victimes »

Vous regrettez cette prise de parole un peu brutale sur les réseaux sociaux, et la tornade qu’elle a déclenchée ?

J’ai reçu énormément de messages de soutien, des gens du milieu aussi et certains de l’équipe de Clem. Cela m’a donné de la force et permis de me dire que, même si je n’assume pas vraiment la forme avec laquelle j’ai exposé Victoria Abril, eh bien c’était juste. À un moment, il faut se lever, pour dénoncer une forme d’hypocrisie et d’impunité. Je n’attaque pas les gens pour le plaisir. Mais par contre, s’ils se rangent du côté des agresseurs présumés sans laisser la place à la « présomption de victime », je ne peux plus me taire. Rien ne justifie des comportements abusifs et certainement pas l’art. C’est faux, c’est un mythe.

Les très nombreux soutiens que j’ai reçus, sont extrêmement doux. Il n’y a pas de haine contre des agresseurs, d’esprit de revanche, d’envie d’effacer quelqu’un. C’est ça le message. Si on est bien intentionné, ou qu’on le devient, il y a peu à craindre de tous ces gens qui demandent plus de justice et de respect. On veut, je m’inclus dedans, vivre et travailler dans une société où on n’ait pas peur de dénoncer les abus qu’on subit et où on sait qu’on sera écoutés, respectés, pris en compte. Par conséquent, aujourd’hui je suis partagée entre deux sentiments : la peur de ce qui va me tomber dessus, et l’espoir.

Qu’est ce qui empêche encore la mise en place concrète d’un système bienveillant aujourd’hui ?

C’est ce règne de l’idolâtrie. C’est un cercle vicieux. L’admiration génère des idoles qui ont un sentiment de toute-puissance et sont souvent à l’origine de comportements violents, déplacés, abusifs, le tout avec un sentiment d’impunité.

La prise de parole d’Emmanuel Macron ne m’a pas surprise, mais vraiment scandalisée. Il n’y avait aucune considération pour la parole des victimes. En France on aime les héros, les leaders, les idoles. Mais on n’aime pas les gens qui dénoncent, qui sont, ou se disent victimes. On ne leur laisse pas le bénéfice du doute. Alors qu’on le laisse aux agresseurs.

Moi j’ai peur pour ma carrière, mais je n’ai pas l’impression que la soixantaine de personnes qui a signé cette pétition a eu peur pour la sienne en se rangeant du côté d’un agresseur présumé, et peut être que ça, c’est un problème.

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