Annecy, "Human Bomb", Merah... Pourquoi les attaques visant des enfants nous touchent encore plus

Six personnes ont été blessées jeudi matin, après avoir été violemment agressées au couteau par un homme à Annecy. Parmi les victimes, deux se trouvent toujours en urgence vitale. Le bilan est lourd et l'émotion est immense. Mais quand, en plus, la majorité des victimes sont des enfants de moins de trois ans, le traumatisme est encore plus grand.

Si aux Etats-Unis, les tueries de masse dans les écoles surviennent régulièrement, en France, les attaques visant des enfants, qu'elles soient terroristes ou non, restent rarissimes, mais qui n'en restent pas moins traumatisants.

Mohammed Merah, le "tueur au scooter"

La plus marquante reste probablement celle perpétrée par Mohammed Merah. En mars 2012, le "tueur au scooter" avait semé l'effroi à Toulouse. En huit jours, l'homme de 23 ans avait assassiné froidement sept personnes, dont trois enfants.

Après avoir exécuté trois militaires, lors de deux opérations le 11 et le 15 mars, Mohammed Merah se rend dans la matinée du 19 mars devant le collège-lycée juif Ozar Hatorah, près du centre-ville de Toulouse. Il ouvre le feu devant la porte de l'établissement et tue un enseignant, Jonathan Sandler, et ses deux jeunes fils, Gabriel, 4 ans, et Arieh, 5 ans.

Le terroriste pénètre ensuite dans la cour, met à terre la fille du directeur, Myriam Monsonego, âgée de 7 ans, et lui tire une balle dans la tête à bout portant.

Avant de s'enfuir, il blesse grièvement Aaron Bryan Bijaoui, un adolescent de 15 ans qui tentait de lui échapper. Mohammed Merah sera abattu quelques jours plus tard, le 21 mars, au terme d'une opération du Raid de trente-deux heures.

La "bombe humaine" de Neuilly-sur-Seine

Quelques années plus tôt, le 4 mars 1996, il est un peu plus de 14 heures quand Nouredine Lounis pénètre dans une école maternelle de Marseille, armé d'un fusil à pompe. Soixante enfants se trouvent dans l'établissement. C'est l'heure de la sieste. L'homme menace de faire sauter le bâtiment. Pendant près de deux heures, il séquestre plusieurs membres du personnel, dont un instituteur et une employée de cantine. L'homme tire trois fois, mais ne fait aucune victime. Il sera finalement maîtrisé par les forces de l'ordre dans la cour de l'école.

À son procès, Nouredine Lounis raconte qu'il a voulu faire comme "HB", la "bombe humaine", qui a retenu en otage une classe d'une école maternelle de Neuilly-sur-Seine pendant deux jours, trois ans auparavant. Le 13 mai 1993, Érick Schmitt, de son vrai nom, un ancien chef d’entreprise de 42 ans, s'introduit dans l'établissement, armé d'un pistolet et d'une ceinture d'explosif.

Pendant 48 heures, il séquestre une institutrice et vingt-et-un enfants, âgés de 3 à 4 ans. Nicolas Sarkozy, maire de la ville à cette époque, participe même aux négociations avec le preneur l'otage et parvient à le convaincre de libérer plusieurs enfants. L'homme sera finalement abattu dans son sommeil par le Raid, sans faire aucune victime.

"On heurte encore plus la population"

Si toutes les attaques suscitent l'émotion, celles visant délibérémment des enfants sont encore plus marquantes. Et pour cause, ces drames provoquent "un sentiment d'insécurité, d'incrédulité, de stupeur et de sidération dans la population", explique à BFMTV.com Marjorie Sueur, psychologue clinicienne et présidente de l'école française des sciences criminelles (EFSC).

"Ça rappelle que personne n'est en sécurité, même les enfants, que rien n'arrête ces personnes", estime la spécialiste.

"On a du mal à imaginer qu'on peut s'en prendre aux enfants, qu'on puisse leur faire du mal. L'enfant représente l'innocence, l'insouciance, la joie de vivre et la pureté. On heurte encore plus la population", complète Marjorie Sueur.

Pour Mickaël Morlet-Rivelli, expert judiciaire en psychologie près la cour d’appel de Reims et doctorant en psychologie à l’université de Clermont-Auvergne et au centre international de criminologie comparée de Montréal, le facteur de l'âge entre aussi en compte: "Il y a une légitimité par rapport à l'espérance de vie. Par définition, celle des enfants est plus importante que celle des personnes âgées. Ils ont encore tout à vivre", explique-t-il auprès de BFMTV.com.

Pour l'expert, il s'agit aussi de vulnérabilité: "Que ce soit sur le plan physique ou physiologique, l'enfant est plus fragile, il est moins en capacité de se défendre, il est immature au sens où il n'est pas arrivé à maturité", explique-t-il, évoquant la notion de stratégie de coping, qui désigne l'ensemble des processus qu'une personne interpose entre elle et la situation perçue comme menaçante.

"L'enfant a moins de stratégie de coping, ça le rend vulnérable, il n'a pas d'autres choix que de subir", ajoute Mickaël Morlet-Rivelli.

"L'enfant est sacré, on n'y touche pas"

Pour l'adulte, c'est aussi une question de projection, estiment les deux psychologues. "La plupart des gens sont parents ou aspirent à l'être. On est tous plus ou moins en capacité de se projeter, décrypte Mickaël Morlet-Rivelli. Ça provoque un sentiment double: si c'était mon enfant, je ne m'en remettrais jamais et finalement, je suis soulagé que ce ne soit pas le mien".

"Toucher les enfants, c'est toucher le plus de personne possible", complète Marjorie Sueur.

Une fois le choc du drame passé, il y a le besoin de comprendre, poursuit la psychologue: "On prend encore plus en considération l'acte, on penche encore sur la motivation de l'auteur, on a besoin de comprendre pourquoi il s'en est pris aux enfants".

Et la preuve, c'est aussi du côté de la justice qu'on la trouve, rappelle Mickaël Morlet-Rivelli: "Les peines les plus importantes prévues par la loi sont les actes attentatoires sur les enfants. Les normes sociales peuvent changer en fonction des lieux, des époques, des cultures, mais il y en a une qui est universelle: l'enfant est sacré, on n'y touche pas".

Article original publié sur BFMTV.com