Andréa, Charlie, Malek, prénoms de filles ou de garçons ? Un spécialiste décrypte leur évolution

Il y a une quarantaine d'années, tous les petits Malek qui naissaient étaient des garçons. Aujourd'hui, un Malek sur deux est une fille. A contrario, alors que les Dany étaient en majorité des petites filles jusqu'au début des années 1960, ce prénom est à présent presque exclusivement attribué aux nouveau-né garçon.

En principe, rien n'interdit à une famille de choisir un prénom dit féminin pour un petit garçon, ou un prénom considéré comme masculin pour une petite fille. En 2018, le parquet de Lorient s'était pourtant opposé aux volontés de deux familles qui souhaitaient appeler pour l'une leur fils Ambre et pour l'autre leur fille Liam. Le magistrat avait estimé que ces prénoms pouvaient générer une "confusion de genre" chez les enfants. Mais deux ans plus tard, la cour d'appel de Rennes donnait bel et bien raison aux parents.

Car en France, les parents choisissent librement le ou les prénoms de leur enfant, indique le site Service public. Et ajoute: "Il n'y a pas de liste de prénoms autorisés". Seule condition à respecter: le prénom ne doit pas être contraire à l'intérêt de l'enfant, "par exemple, un prénom ridicule ou grossier".

Dans ce cas, l'officier d'état civil peut alors avertir le procureur de la République, notamment "si le prénom viole le droit d'une autre personne à voir protéger son nom de famille" ou si l'enfant "porte le nom d'un seul de ses parents et a comme prénom le nom de l'autre parent". La question du genre n'est donc pas un motif de refus.

Des terminaisons jugées féminines

Comment expliquer qu'un prénom longtemps associé à un genre soit, quelques décennies ou une poignée d'années plus tard, attribué à l'autre? "Il y a d'abord des effets de structure", remarque pour BFMTV.com Baptiste Coulmont, sociologue des prénoms et professeur de sociologie à l'École normale supérieure Paris-Saclay. Et cite l'exemple du prénom Camille.

"Il y a beaucoup moins de bébés qui s'appellent Camille qui naissent aujourd'hui (2196 en 2022 contre près de 8000 à la fin des années 1990, selon les données de l'Insee, NDLR). Mais cette baisse est plus forte chez les filles que chez les garçons. Ce qui donne donc une proportion plus importante de Camille chez les garçons."

Autre illustration avec le prénom Charlie. Jusqu'au début des années 1980, il était exclusivement donné à des garçons. Mais cela ne représentait qu'une poignée à quelques dizaines de naissances. Un contexte difficilement comparable avec la situation de 2022 qui a enregistré la naissance de 2689 Charlie, dont deux tiers de filles.

"Les terminaison 'ie' comme celles en 'a' sont jugées plus féminines", explique le sociologue.

Yaël: garçon en Bretagne, fille à Paris

Mais cela n'explique pas tout. Jusqu'à la fin des années 1960, le prénom Yaël était exclusivement donné à des petites filles. Avant que ne s'opère un renversement: depuis une vingtaine d'années, ce sont ainsi davantage de garçons qui portent ce prénom.

Faut-il y voir un simple effet de mode? "Il faut d'abord regarder la répartition des naissances", met en garde le sociologue Baptiste Coulmont. "Le prénom n'est pas masculin ou féminin partout de la même manière."

Cet universitaire explique ainsi qu'en Bretagne, les petits Yaël sont majoritairement des garçons - une variation du prénom masculin celte Gaël. Mais en région parisienne, ce sont davantage des petites filles qui s'appellent Yaël - un personnage féminin du Livre des Juges, un des livres de la Bible hébraïque.

"Les Bretons comme les familles de confession juive ne pensent pas donner un prénom mixte, ce n'est pas forcément le caractère épicène qui est rechercé. La mixité du prénom n'apparaît qu'au niveau national."

Des prénoms rares

Autre élément à prendre en compte: une grande partie de ces prénoms mixtes sont rares. Pour Malek, cela représente 106 naissances l'année dernière. Cinq de moins pour Jessy (prénom strictement féminin à la fin des années 1960 avant qu'il ne se masculinise avec huit Jessy sur dix garçon en 2022). Quant à Dany, quelque 79 bébés et pour Yaël, seulement 35 naissances.

"Les parents n'ont pas nécessairement connaissance que le prénom choisi peut être attribué à un garçon comme à une fille", pointe Baptiste Coulmont.

Si certains prénoms sont historiquement et massivement non genrés - Dominique ou Claude - le sociologue considère qu'il suffit qu'un seul garçon s'appelle Ambre ou qu'une seule fille Arsene pour que le prénom devienne mixte.

"La mixité, ce n'est pas forcément un prénom qui serait porté à parité entre les filles et les garçons."

Eden, Zola, Maloe: féminin ou masculin?

Selon ses calculs, en France, un enfant sur douze porte un prénom également attribué à l'autre genre, "mais souvent dans de très petites proportions", précise Baptiste Coulmont. Des arbitrages qui relèvent tant de l'importation de prénoms de l'étranger - à l'exemple de Nikita - que du subjectif. "Eden, Zola, Maloe ou Assil, diriez-vous que ces prénoms sont féminins ou masculins?" s'interroge encore le sociologue.

"Pour le moment, ils ont très peu d'ancrage. Mais peut-être qu'ils seront un jour tellement répandus qu'il y aura un basculement."

Comme le prénom Andréa. En 1952, tous les Andréa étaient des petites filles. Mais l'année dernière, sur les 971 Andréa qui ont vu le jour, près de la moitié étaient des petits garçons.

Article original publié sur BFMTV.com