« Agriculture en crise : l’urgence ne doit pas faire oublier les problèmes structurels » - TRIBUNE

« L’urgence ne doit pas faire oublier les problèmes structurels de l’agriculture » - Valérie Rabault, députée PS du Tarn et Garonne. (Photo d’illustration prise le 30 janvier 2024 sur lors d’une manifestation sur l’A4 en direction de Paris)  
BERTRAND GUAY / AFP « L’urgence ne doit pas faire oublier les problèmes structurels de l’agriculture » - Valérie Rabault, députée PS du Tarn et Garonne. (Photo d’illustration prise le 30 janvier 2024 sur lors d’une manifestation sur l’A4 en direction de Paris)

TRIBUNE - À Montastruc-de-Salies en Haute-Garonne, le Premier ministre Gabriel Attal a répondu à certaines des revendications de court terme des agriculteurs : maintien de l’exonération sur le gasoil non routier (GNR) utilisé pour les tracteurs que nous avions été plusieurs à défendre lors du débat budgétaire de l’automne, paiement de la PAC que l’État verse avec retard depuis des années mais dont les délais ont été encore plus longs que d’habitude en 2023, opposition au traité de libre-échange du Mercosur, meilleure indemnisation des frais vétérinaires pour la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui conduit à l’étouffement des vaches qui en souffrent, réduction à 2 mois au lieu de 9 actuellement du délai d’autorisation pour curer les lacs collinaires existants qui servent à l’irrigation… La plupart des réponses apportées vendredi 26 janvier vont dans le bon sens, et même lorsqu’on siège dans l’opposition, on peut avoir l’honnêteté de le reconnaître.

Répondre à l’urgence ne doit toutefois pas faire oublier les problèmes structurels qui abîment l’agriculture française depuis trop longtemps et qui enfoncent les paysans dans un désespoir inacceptable. Je voudrais en citer cinq.

D’abord la concurrence déloyale. Elle est abyssale dans l’agriculture et ne sévit de la sorte dans aucun autre secteur de l’économie française. Combien de fois les agriculteurs ont-ils découvert sur les marchés des fruits importés traités avec des substances interdites en France ? On estime ainsi que jusqu’à 25 % des produits agricoles importés dans notre pays ne respecteraient pas les normes qui s’imposent pourtant aux producteurs français ! Stopper cette distorsion ne devrait pourtant pas être insurmontable : le Gouvernement devrait s’engager à augmenter les contrôles sur les produits agricoles qui entrent en France et faire immédiatement repartir ceux qui ne répondent pas aux normes que nous définissons. Il doit aussi intégrer systématiquement une clause miroir dans tous les accords commerciaux qu’il signe afin d’imposer une réciprocité des standards environnementaux et sanitaires. Sans un coup d’arrêt à cette concurrence déloyale, l’agriculture française disparaîtra, au profit de productions « low norme ». Sur certaines productions, la tendance est déjà largement engagée puisque par exemple, 45 % du poulet que nous mangeons est désormais importé contre 25 % en 2000.

Sans un coup d’arrêt à cette concurrence déloyale, l’agriculture française disparaîtra, au profit de productions « low norme ».

Deuxième problème structurel : le juste prix payé aux agriculteurs. Personne ne peut comprendre que le prix de la nourriture que nous achetons ait augmenté de 70 % depuis 2000, alors que dans le même temps le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % ! Depuis 2018, trois lois EGALIM ont été votées pour mieux intégrer les coûts de production, mais aucune n’impose explicitement au transformateur que le prix qu’il paie ne puisse être inférieur au prix de revient de l’agriculteur. L’inscrire dans la loi est donc un impératif. Par ailleurs, si cette obligation devait être contournée via des transformateurs qui seraient installés à l’étranger et qui revendraient des produits alimentaires produits en France aux grandes surfaces françaises, un encadrement plus strict devrait être engagé.

Troisième problème : la Politique Agricole Commune (PAC). Au-delà des retards récurrents de versement qui sont très dommageables pour la trésorerie des exploitations, la PAC reste inégalitaire : le montant versé pour un hectare de blé est le même, que l’on soit dans la Beauce ou en Tarn-et-Garonne, alors même que le différentiel de rendement entre les deux territoires est de près de 50 %. À ce jour, seuls 10 % de la PAC sont fléchés pour faire face aux « handicaps naturels » (zones montagnes, Causses où par définition, les rendements sont moindres) : les exploitations familiales, de taille moyenne, sur des coteaux, situées pour beaucoup dans le Sud-Ouest n’en bénéficient pas car elles ne sont pas considérées comme « assez désavantagées » pour être éligibles à cette majoration de PAC. De facto, elles sont traitées au même titre que les grandes plaines, sans en avoir le rendement. Au fil des ans, de multiples critères ont été introduits à la PAC pour verdir la production, ce qui en soi concourt à un objectif nécessaire. Mais la question du revenu dont disposera in fine l’agriculteur n’est pas traitée de manière prioritaire. Quant à la lisibilité de la PAC, elle est devenue nulle puisqu’elle repose à ce jour sur 56 mesures comme l’affiche le site de Télépac. Dès lors, il me paraît urgent que la question du revenu retrouve une place prépondérante dans les critères de la PAC.

Quatrième problème structurel : l’eau. Elle est la grande absente des annonces du Premier ministre et le Gouvernement peine à définir une stratégie claire qui à la fois préserve la ressource en eau et qui permette aux agriculteurs de réussir leurs cultures en adaptant au besoin ces dernières. À ce jour, le budget du fonds hydraulique agricole est réduit à 20 millions €, ce qui est très insuffisant. Il y a donc urgence à établir un plan clair, avec le concours des équipes de l’INRAE, décliné par département, pour définir ou redéfinir les cultures les plus idoines pour un territoire donné et pour inventer les solutions d’irrigation les plus économes en eau. La facture de l’aménagement du territoire pour préserver au mieux la ressource en eau ne peut être imputée aux agriculteurs.

L’eau est la grande absente des annonces du Premier ministre

Cinquième problème structurel : l’assurance, France Agrimer et plus généralement les absurdités qui s’abattent sur le monde agricole. Comment accepter qu’une même compagnie d’assurance propose, pour une culture donnée, des tarifs très variables entre deux départements voisins ? Comment justifier que l’établissement public France Agrimer, par des règles que personne ne lui a demandé d’ajouter, prive des structures et des communes de l’argent de l’Europe pour le programme « Fruits et légumes à l’école » si bien que sur les 35 millions d’euros de crédits annuels auxquels la France peut prétendre elle n’en a consommé en 2022 que 5 millions, alors qu’elle est l’un des principaux pays producteurs de fruits et de légumes en Europe ? Comment laisser une jurisprudence sur l’urbanisme dicter une loi que nul législateur n’a votée, et qui accepte qu’un éleveur de vaches puisse construire sa maison à côté de son étable, et pas une éleveuse de pintades pourtant reconnues comme animal sujet à l’affolement, ce qui dans un mouvement de panique peut conduire à l’étouffement de tout l’élevage sans intervention humaine rapide ? Ce ne sont que quelques exemples de vécu, en Tarn-et-Garonne. Nul doute qu’ils existent partout en France. Il est donc grand temps que les normes et règles soient appliquées conformément aux seules orientations données par le législateur, et pas selon des interprétations que nul n’a validées.

Répondre à ces cinq problèmes structurels ne résoudra pas tout, mais serait un début pour sécuriser l’avenir de l’agriculture française.

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