Afghanistan : les talibans interdisent aux femmes de travailler pour les ONG, inquiétude internationale

(FILES) In this file photo taken on October 13, 2022, Afghan female students arrive for entrance exams at Kabul University in Kabul. - Afghanistan's Taliban rulers on December 20, 2022 banned university education for females nationwide, as the hardline Islamists continue to crush women’s right to education and freedom. (Photo by Wakil KOHSAR / AFP)

AFGHANISTAN - L’inquiétude monte encore d’un cran. De hauts responsables des Nations unies et des dizaines d’ONG opérant en Afghanistan se concertent ce dimanche 25 décembre sur la marche à suivre après que les talibans leur ont ordonné de cesser de travailler avec des femmes, menaçant leur présence dans le pays.

Samedi soir pendant que l’Occident se préparait à célébrer Noël, le ministère afghan de l’Économie a ordonné à toutes les organisations non gouvernementales de cesser de travailler avec des femmes sous peine de suspendre leur licence d’exploitation. Il n’a pas été précisé si la directive concernait le personnel féminin étranger des ONG.

Dans la lettre émise aux ONG locales et internationales, le ministère explique avoir pris cette décision après avoir reçu des « plaintes sérieuses » selon lesquelles les femmes y travaillant ne respectaient pas le port du « hijab islamique ». En Afghanistan, les femmes sont obligées de se couvrir le visage et entièrement le corps.

« Nous n’avons jamais été prévenus de problème concernant le code vestimentaire des femmes », a relaté dimanche une responsable d’associations sous anonymat.

Une réunion prévue par l’ONU

« Une réunion de l’Équipe Humanitaire de Pays (HCT) est prévue dimanche pour se consulter et discuter de la manière d’aborder cette question », a déclaré à l’AFP Tapiwa Gomo, responsable de l’information pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies.

La HCT est composée de hauts fonctionnaires des Nations unies et de représentants de dizaines d’ONG afghanes et internationales qui coordonnent la distribution de l’aide à travers le pays. Lors de la réunion organisée à Kaboul, les participants discuteront de l’opportunité de suspendre tout travail d’aide, ont fait savoir plusieurs responsables d’ONG.

Des millions d’Afghans dépendent de l’aide humanitaire fournie par les donateurs internationaux par l’intermédiaire d’un vaste réseau d’ONG. « L’ONU cherchera à rencontrer les dirigeants talibans pour obtenir des éclaircissements », a encore expliqué l’organisation dans un communiqué.

Elle rappelle aux autorités afghanes qu’en excluant les femmes « systématiquement de tous les aspects de la vie publique et politique », elles font « reculer le pays en compromettant les efforts pour instaurer la paix et une stabilité significative dans le pays ».

Les droits des femmes de plus en plus réduits

L’étau autour des femmes s’est resserré ces derniers mois. Les talibans, revenus au pouvoir en août 2021, leur ont interdit, il y a moins d’une semaine, de fréquenter les universités publiques et privées pour les mêmes raisons de code vestimentaire non respecté. Ils les avaient déjà exclues des écoles secondaires.

Elles sont en outre écartées de nombreux emplois publics, ne peuvent pas voyager sans être accompagnées d’un parent masculin et ont reçu l’ordre de se couvrir en dehors de la maison, idéalement avec une burqa. Elles ne sont pas non plus autorisées à entrer dans les parcs.

« Ce dernier recul flagrant des droits des filles et des femmes aura des conséquences considérables sur la fourniture de services de santé, de nutrition et d’éducation aux enfants », a tweeté dimanche le directeur régional de l’Unicef, George Laryea-Adjei.

« Cette décision peut être dévastatrice pour le peuple afghan », a tweeté le secrétaire d’État américain Antony Blinken, se disant « très inquiet de l’interdit des talibans pour les femmes de distribuer de l’aide humanitaire vitale pour des millions de personnes en Afghanistan ». Le coordonnateur humanitaire de l’ONU pour l’Afghanistan, Ramiz Alakbarov, a dénoncé dans un tweet une « violation manifeste des principes humanitaires ».

« Toujours plus brutal, toujours plus absurde. Je me demande toujours ce qu’ils peuvent faire d’encore pire. Je crains qu’ils ne trouvent. Ils y parviennent toujours », a également tweeté l’ambassadeur de France à Kaboul, David Martinon.

Cette décision est « une nouvelle tentative déplorable d’effacer les femmes des espaces politiques, sociaux et économiques », a fustigé Amnesty international, tandis que l’ONG International Rescue Committee (IRC), qui compte plus de 3 000 femmes dans son personnel en Afghanistan affirmait être « consternée ». « Notre personnel féminin est essentiel à l’acheminement de l’aide humanitaire en Afghanistan », a-t-elle ajouté sur Twitter.

Beaucoup d’Afghanes dans les ONG

Des dizaines d’organisations travaillent dans les régions reculées de l’Afghanistan et beaucoup de leurs employés sont des femmes. Plusieurs d’entre elles ont prévenu qu’une interdiction du personnel féminin entraverait leur travail.

Ne souhaitant pas donner son nom de peur de représailles des talibans, une Afghane de 27 ans, qui devait commencer à travailler dimanche dans une ONG internationale, a vu ses « rêves s’envoler ». « Le travail ardu que j’avais fourni ces dernières années dans le domaine de l’éducation a volé en éclats », a-t-elle témoigné auprès de l’AFP.

« Mais nous sommes assez courageuses pour ne pas accepter les interdictions, et nous battre pour nos droits. Cela peut prendre du temps mais si nous croyons en nous-mêmes, nous reviendrons plus fortes que jamais », a déclaré, combative, la jeune femme.

Selon les Nations unies et les agences d’aide, plus de la moitié des 38 millions d’habitants du pays ont besoin d’une aide humanitaire pendant l’hiver rigoureux.

À lire aussi sur Le Huffpost :

Lire aussi