Avant l'affaire Lola, ces faits divers emblématiques avaient déjà fait l'objet de récupération politique

Mamoudou Gassama, Malien en situation irrégulière, reçue par Emmanuel Macron après avoir sauvé un enfant de 4 ans. (Photo by Thibault Camus / POOL / AFP)
Mamoudou Gassama, Malien en situation irrégulière, reçue par Emmanuel Macron après avoir sauvé un enfant de 4 ans. (Photo by Thibault Camus / POOL / AFP)

Avant le meurtre de Lola, sur lequel les partis de droite et d'extrême droite tentent de surfer pour s'attaquer au gouvernement, d'autres faits divers emblématiques ont servi de marche-pied aux partis politiques.

S'emparer d'un fait divers pour tenter d'en faire un débat politique. La récupération politique, qui bat son plein à droite et à l'extrême droite depuis le meurtre de Lola, 12 ans, à Paris, est une vieille habitude en politique.

Avant la mort de la jeune fille, d'autres faits divers emblématiques ont servi de marche-pied à des responsables politiques pour se mettre en avant, ou mettre sur le devant de la scène leurs idées, y voyant aussi une occasion d'égratigner le pouvoir en place.

  • La tuerie de Nanterre, en 2002

Le 27 mars 2002 à Nanterre, en banlieue parisienne, le conseil municipal est endeuillé. Au terme de la réunion, un homme se lève et tire une quarantaine de balles sur les élus présents. Le bilan est lourd : 8 personnes sont tuées, 19 blessées.

Lors d'un déplacement, Jacques Chirac, candidat à sa réélection, se lance sur le thème de l'insécurité : "l'insécurité, ça va de l'insécurité ordinaire au drame que nous avons connu cette nuit à Nanterre", puis ajoute : "l'insécurité est une préoccupation forte chez l'ensemble de nos concitoyens".

Une sortie qui choque l'opposition socialiste, qui reproche au chef de l'État d'instrumentaliser le drame. "Est-ce que certains voudront déplacer le sujet sur le thème de l'insécurité en général ? Cette histoire est tragique, horrible. Et malheur à ceux qui en feraient un élément de campagne", prévient alors le premier secrétaire du PS de l'époque, François Hollande.

  • Le meurtre de Nelly Cremel en 2005

En 2005, une joggeuse de 40 ans, Nelly Cremel disparaît avant d'être retrouvée morte 8 jours plus tard. L'enquête s'oriente rapidement vers deux hommes dont l'un, Patrick Gateau, est en liberté conditionnelle depuis sa sortie de prison en 2003, après avoir passé 19 ans derrière les barreaux. Il avait initialement été condamné à la perpétuité pour un meurtre commis en 1984.

Un passif que le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, exploite pour s'en prendre à la justice. "Que va-t-il advenir du magistrat qui a osé remettre un monstre pareil en liberté?", lance-t-il, estimant qu'il doit "payer pour sa faute".

La réplique du magistrat, deux jours plus tard dans Le Parisien, est cinglante : "M. Sarkozy ferait bien de réviser son Code de procédure pénale. Dans le cas de Patrick Gateau, ce sont deux juges d'application des peines et un conseiller de la cour d'appel qui ont pris la décision ensemble. Le parquet ne s'y est pas opposé et n'a d'ailleurs pas fait appel (…) Les expertises psychiatriques étaient très favorables. Le prisonnier avait effectué plus de la moitié de sa peine, il avait le droit de sortir", assène-t-il.

Six ans plus tard, même protagoniste : Nicolas Sarkozy. Le désormais président de la République s'empare d'un fait divers pour mettre en avant sa volonté d'une nouvelle loi contre la récidive des délinquants sexuels.

  • Le meurtre de Laëtitia Perrais, en 2011

Laetitia Perrais, jeune serveuse de 18 ans à Nantes, est enlevée, violée et assassinée dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011. L'auteur présumé, qui sera condamné par la suite, est alors en liberté provisoire, après avoir été condamné pour le viol d'un codétenu. Entre 1996 et 2010, Tony Meilhon est incarcéré pour vol de voiture, puis viol d'un codétenu, violence avec arme sur un co-détenu, vols à main armée et enfin outrage et menaces à magistrat.

Sorti de prison depuis 1 an au moment de la mort de Laëtitia Perrais, Tony Meilhon aurait dû être encadré par un suivi judiciaire, que les magistrats et un personnel social débordé n'ont pu mettre en place. Une situation qui fait réagir le président Sarkozy.

"Il y a trop de drames comme celui-ci, la récidive criminelle n'est pas une fatalité, il faudra des décisions, pas des commissions de réflexion", lance le président de la République alors que le corps de la jeune femme n'est toujours pas retrouvé. le chef de l'État veut une nouvelle loi contre la récidive des délinquants sexuels, convoque les ministres de la Justice et de l'Intérieur, Michel Mercier et Brice Hortefeux.

En plus d'une nouvelle loi, à laquelle le pouvoir renoncera finalement, le président s'en prend une fois de plus à la justice. "Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés", lance le chef de l'État. Une sortie qui ne passe pas auprès des magistrats, qui entament une grève de 10 jours. Sauf que quelques mois plus tôt, la Cour des comptes regrettait la trop faible part de l'insertion dans le budget de l'administration pénitentiaire, et la CGT pointait du doigt le manque de moyens humains dans l'insertion.

  • L'affaire du bijoutier niçois

Le 11 septembre 2013, un bijoutier niçois est braqué par un homme armé. Victime de violences et d'un vol, le commerçant sort une arme de derrière son comptoir et tir dans le dos d'un des deux hommes qui s"'enfuyait à scooter, le tuant sur le coup. L'affaire divise le pays sur les réseaux sociaux, et les pétitions s'enchainent dans les deux camp.

Des rassemblements de soutien sont organisés, auxquels participe notamment le maire UMP de Nice, Christian Estrosi. "Il y a deux victimes : le bijoutier et le voyou. La peur doit maintenant changer de camps. La loi Taubira ne doit pas passer", tweete l'édile quelques heures après le drame.

Le maire, également député, porte l'affaire à l'Assemblée, ce qui donne l'occasion d'une passe d'armes avec la garde des Sceaux de l'époque, Christiane Taubira. Christian Estrosi, qui rappelle son "soutien moral" au bijoutier braqué, un "honnête commerçant", "maltraité, tabassé, tuméfié dans son intégrité physique (sic) et touché dans son intégrité morale", et qui est l'auteur, selon l'élu niçois, d'un "geste de désespéré".

Il s'en prend ensuite à la garde des Sceaux, coupable d'une "obsession négative à l'égard de la prison" et accusée "d'envoyer des signes de mansuétude à la délinquance". "Supprimer les peines plancher contre les multirécidivistes", "supprimer les tribunaux correctionnels pour les mineurs", "vouloir mettre des peines de probation en lieu et place de cinq ans d'emprisonnement", "c'est une incitation à la violence", lance-t-il à l'époque.

Elle réplique et fustige une "attitude" et des "propos antirépublicains" qui mettent "en danger l'Etat de droit", rappelant que son projet de loi contre la récidive, qui "ne concerne que des délits punissables de cinq ans" et dénonce "l'amalgame" fait par Christian Estrosi "avec un vol avec arme pour lequel la peine encourue est de vingt ans de réclusion criminelle".

  • Le héros Mamadou Gassama

La récupération politique peut aussi se faire après des faits divers au dénouement heureux. Le 26 mai 2018 à Paris, un enfant est agrippé à l'extérieur du garde-corps d'un balcon d'un appartement du 4e étage. Devant l'immeuble, des passants assistent, impuissants, au drame qui est en train de se jouer.

Mamadou Gassama, un ressortissant malien en situation irrégulière, parvient à escalader l'immeuble et à sécuriser l'enfant avec l'aide d'un voisin. La scène, immortalisée par les témoins, fait le tour des réseaux sociaux.

Deux jours plus tard, le héros est reçu à l'Elysée par Emmanuel Macron, qui lui remet la médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement et annonce sa naturalisation prochaine, effective le 12 septembre 2018.

Le mouvement Génération.s dénonce un "sommet d'hypocrisie" tandis que la sénatrice écologiste Esther Benbassa parle de "com' à l'état pur". Même son de cloche du côté des associations d'aide aux migrants. "On a un sentiment général de récupération politique éhontée", et "d'utilisation d'un fait divers pour de la communication et de l'affichage" affirme à l'AFP Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade "C'est une façon de donner le change et des gages, pour compenser une politique endurcie sur le contrôle, le tri et la reconduite à la frontière", prolonge-t-il.

La naturalisation de Mamadou Gassama a eu lieu dans un contexte particulier : quelques jours plus tard, le projet de loi "asile-immigration" arrivait en commission des Lois du Sénat, après avoir donné lieu à des débats houleux à l'Assemblée.

  • La mort de Jérémie Cohen

C'est l'exemple de récupération politique le plus récent. Le 16 février 2022, Jérémie Cohen, homme de confession juive de 31 ans et porteur d’un handicap léger, traverse les voies ferrées lorsqu'il est percuté par un tramway à Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Quelques instants plus tôt, il était frappé par plusieurs jeunes. Jérémie Cohen décède à l'hôpital quelques heures plus tard. L'enquête est rapidement classée sans suite mais les frères de la victime lancent un appel à témoins. Le fait divers ne suscite pas davantage d'émotion jusqu'au début du mois d'avril, lorsque le père de Jérémie Cohen contacte Éric Zemmour pour qu'il médiatise l'affaire.

À quelques jours du premier tour de la présidentielle, Éric Zemmour, candidat d'extrême droite, s'empare de l'affaire en tweetant sur le sujet puis en évoquant au JT de 20h de TF1 une vidéo où on voit le jeune homme tentant de fuir ses agresseurs. L'emballement est immédiat : le cabinet d’Emmanuel Macron appelle les parents du jeune homme, et, de Valérie Pécresse à Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot ou Fabien Roussel, les candidats réclament la lumière sur l’agression, dénonçant son caractère éventuellement antisémite.

"Tout est caché", assure Nicolas Dupont-Aignan ; Éric Zemmour dénonce une "affaire étouffée" par une "omerta médiatique et politique", Marine Le Pen un "acte criminel (...) caché en accident" et" Yannick Jadot déplore "que la famille doive se battre à ce point pour connaître la vérité".

VIDÉO - Mort de Jeremie Cohen: «Pas de motifs discriminatoires», à ce stade