"Les 2 papas et la maman", le jour où Smaïn a fait rire la France avec une comédie sur le don de sperme

Détail de l'affiche des
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Il fut un temps où Smaïn était l'un des humoristes les plus populaires de France et un des comiques les plus demandés des cinéastes. En 1994, Smaïn collectionnait les succès. Il tournait avec Pierre Richard (On peut toujours rêver) et Marcello Mastroianni (Trois vies et une seule mort de Raoul Ruiz). Son talent était reconnu: les Molières, les Victoires de la musique et même les César le célèbrent. "J'ai un nom. On me connaît un peu", modère aujourd’hui le comique.

Sollicité par tous les producteurs de Paris, Smaïn décide de se lancer dans la réalisation. Il s'associe à son ami de toujours, Jean-Marc Longval, avec qui il a tourné en 1989 J'aurais jamais dû croiser son regard. Le cinéaste a justement dans ses tiroirs l'idée d'une comédie sur une insémination artificielle, inspirée par des courts métrages burlesques du comique Jean-François Derec.

"Il avait écrit des petits modules un peu à la façon de Chaplin, Les Aventures de Max: Max attend le bus, Max attend un enfant. Là-dessus est venu se greffer l'idée d'une insémination artificielle. On avait écrit un synopsis où Max découvrait qui était la personne inséminée et il la suivait. Au départ, c'était une idée très poétique, dans le ton d’un Pierre Etaix. Sauf qu’à l'époque personne ne voulait faire un film avec Jean-François. J'ai ressorti l'idée en me disant que cela plairait à Smaïn", raconte Jean-Marc Longval.

Il vise juste. Smaïn est aussitôt séduit. "Il avait beaucoup d’angoisse sur la paternité. C'est bien tombé. On l'a totalement réécrit pour lui." Un couple, Delphine et Jérôme, désire un enfant. Jérôme étant stérile, ils vont demander à Salim, le meilleur ami de Jérôme, de faire un don de sperme pour permettre une insémination artificielle. Mais ce dernier devient à son tour stérile… Inconsciemment, Smaïn est aussi attiré par cette structure en deux temps, marquée par deux tragédies, comme dans son film préféré: Obsession de Brian de Palma.

"Situation très inconfortable"

Jean-Marc Longval s'attelle à l'écriture de ce film baptisé Les 2 papas et la maman avec l'aide du romancier Olivier Dazat et de Michel Delgado, un associé de Christian Clavier. Smaïn finance l'écriture: "Je n'ai pas vraiment participé à l’écriture, mais j'avais mon mot à dire." Alain Sarde et Claude Berri, deux des producteurs français les plus importants de l'époque, s'affrontent pour remporter les enchères. Smaïn aurait rêvé de travailler avec les deux, mais impossible de réunir deux personnalités aussi différentes:

"Je voulais qu’ils produisent tous les deux, mais comme dirait Claude Berri, 'Il faut choisir sa crèmerie!' Je suis un naïf. Je pensais que tout le monde allait s’entendre. Je voulais [l'équivalent de] l'association entre Spielberg et Lucas! Tu parles! Il s’est passé que je me suis fâché avec Claude Berri. Il l’a très mal pris. Et c’est Sarde qui a produit."

"Smaïn, qui n'aime pas se mettre à dos les gens, a trouvé la situation très inconfortable", commente Jean-Marc Longval. "Mais par la suite, Claude Berri a distribué le film! Smaïn avait une histoire avec Claude Berri. Ils s'étaient rencontrés à l'époque de Tchao Pantin. Berri avait hésité assez longtemps entre lui et Richard Anconina pour jouer face à Coluche. Berri suivait de près la carrière de Smaïn. Notre scénario était arrivé sur la table de Denis Château, l'associé de Claude Berri, qui lui avait dit d'absolument le produire."

"Dès le départ, ça sentait bon"

Dès les prémisses du projet, tout le monde perçoit en effet que Les 2 papas et la maman sera un succès. "Dès le départ, ça sentait bon", confirme Jean-Marc Longval. "J'ai même eu un jour l'outrecuidance de dire à Alain Sarde que le film allait faire plus d’un million d'entrées - ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps." Producteur historique de Sautet, Téchiné et Godard, Sarde goûte peu à la comédie qu'il "regardait avec condescendance". En vingt ans de carrière, il avait produit seulement une poignée de comédies dont La Crise.

Ils obtiennent un budget de 26 millions de francs, soit 5,6 millions d’euros en 2021. Une somme modeste à l'échelle des budgets de l'époque. "Smaïn et moi, on avait eu une première expérience sur le premier film de Fabien Onteniente, À la vitesse d'un cheval au galop (1992). On s’était ramassés. C’était notre premier échec financier. Par la suite, on a préféré aborder le cinéma d’une manière plus prudente."

"Antoine n'était pas totalement acteur"

Ils appliquent cette prudence au moment de trouver les interprètes du couple: ils veulent des stars! Alain Chabat, déjà engagé sur Le Cousin d'Alain Corneau, refuse de jouer Jérôme. Patrick Timsit est contacté, mais il décline. Puis Alain Sarde fait appel à son vieil ami Vincent Lindon, raconte Jean-Marc Longval: "Il a accepté dans les 48 heures. A l’époque, il était avec Caroline de Monaco, qui avait trouvé le scénario très drôle! Mais quelques jours plus tard, il nous a rappelé en disant qu'il ne voulait plus faire le film."

"J'étais vraiment la vedette du film, ça dérangeait les egos", assure Smaïn. Dans la foulée de ces désistements, Jean-Marc Longval songe à Antoine de Caunes: "Je voulais un jeune premier. Je l'avais vu dans Pentimento (1989) de Tonie Marshall. On sentait qu'il n'était pas totalement acteur, mais il avait un facteur sympathie extraordinaire. Tout le monde avait trouvé que l’idée était bonne. Quand on l'a contacté, il venait de décider d'arrêter Canal. Ça collait parfaitement pour lui. Je retiens sa gentillesse même s'il s’est un peu détaché du film."

Pour l'actrice qui incarne Delphine, Smaïn et Longval pensent à Carole Bouquet. Ils vont jusqu'à réécrire certaines scènes pour convaincre la comédienne, qui les incite à être plus provocateurs. Pour des raisons restées obscures, elle renonce au rôle qui est finalement attribué à Arielle Dombasle. "Arielle Dombasle gagne à être connue. On a passé de très bons moments. Elle avait fait avant Un indien dans la ville. Elle est très ouverte d’esprit, iconoclaste, hétéroclite. Elle prend des risques", salue Jean-Marc Longval.

Passage de relais avec Jamel

Deux novices complètent la distribution: Julie Gayet et Jamel Debbouze, dans son premier rôle au cinéma. "Je suis très heureux de lui avoir offert ce rôle", se félicite Smaïn. "Il avait la vis comica. Il était drôle. Il avait envie. Et je ne me suis pas trompé." "Smaïn l’avait rencontré à la ligue de l'improvisation et m'avait suggéré de lui faire passer des essais", ajoute Jean-Marc Longval. "Au bout de cinq minutes, je me suis rendu compte qu'il était génial. Il avait la tchatche, de l'assurance. C'était un feufolet."

Avec le recul, Jean-Marc Longval y voit "un passage de relais" entre deux générations de comiques. Le jeune humoriste de 21 ans, qui deviendra deux ans plus tard une immense star grâce au Ciel, les Oiseaux et… ta mère! et la sitcom H, admire Smaïn, qu'il considère alors comme un "pionnier". Mais les deux hommes sont profondément différents. Smaïn est un modèle d'assimilation, tandis que Jamel Debbouze assume pleinement sur scène ses origines marocaines. Rapidement, le cadet se détache de son aîné.

Dans Première, en décembre 2004, Jamel s'en prendra ouvertement à Smaïn: "Il caricaturait les rebeus de banlieue qui volent les portefeuilles, les sacs à dos, font les quatre cents coups, les 404, les 605. Il pouvait dire: 'Les Français, levez les mains; les Arabes, fouillez dans les poches.' (...) Le keumé, malgré lui, nous faisait passer pour des singes." Ils ne se reparleront plus: "C’est dommage. J’aurais bien aimé travailler avec lui", dit aujourd'hui Smaïn. "J’aurais bien voulu qu’il me renvoie l’ascenseur, mais ce n’est pas l'ascenseur qu’il m’a renvoyé."

"On a truffé le film d’allégories"

La blessure de Smaïn est d'autant plus vive que son personnage des 2 papas et la maman tourne justement le dos aux clichés des arabes du cinéma français. Il incarne un séducteur. "C'est parce que le comique est séducteur", sourit l'humoriste. "La tradition faisait que le comique était asexué", renchérit Jean-Marc Longval. "Charlot, Louis de Funès… il n'y a aucune sexualité. Smaïn avait un sourire qui attirait. Il était crédible en séducteur. On n’avait pas peur de parler de sexe."

Le personnage de Smaïn est aussi concepteur de jeu vidéo. "Ça évite d’être dans le cliché du rebeu livreur de pizza. On lui donne une stature. On avait aussi une place à prendre. Le film reflète la place du jeune beur dans la société française", assure Smaïn. "Il est aussi concepteur de jeux vidéo, parce qu'il y a dans cette expression le mot 'concepteur'. C'est une allégorie de l'insémination et du fait d'être un créateur. Il est en symbiose avec sa machine. Il n'a pas besoin d’être amoureux pour créer", analyse Jean-Marc Longval.

"On a truffé le film d’allégories, comme le fait qu'il ne sache pas nager aussi. C'est une référence au placenta, au liquide amniotique. L'idée, c’est également de faire une comédie sur le fait de trouver sa place. C'est un thème qui touche Smaïn, qui ne connaît pas ses vrais parents."

Dans un contexte de montée de l'extrême-droite, ce film où un jeune homme d'origine algérienne veut faire un enfant à un couple de Français de souche est un brin provocateur. Sans parler de la scène qui montre l'humoriste en spermatozoïde héros de jeu vidéo: "C'était courageux", assure Smaïn. "Mais comme je le faisais avec humour, personne ne nous a embêtés avec ça. Ça m'a permis d’affirmer mon identité."

"R​​etrouver le Smaïn de la scène"

Avec ce film, Smaïn refuse néanmoins d'être un porte-étendard. Son personnage n'a rien de réaliste. Il est entièrement burlesque. "La comédie, c'est une affaire de comédiens. Il faut avoir conscience de soi-même", analyse Jean-Marc Longval., "Smaïn n'est pas un comédien de la Comédie-Française. Il a ses limites. Il ne pouvait pas jouer de manière réaliste. Les gens devaient aussi retrouver le Smaïn de la scène. Dans notre premier film, J'aurais jamais dû croiser son regard, Smaïn avait un jeu très sobre et ça n'avait pas marché pour cette raison."

Sur le tournage, Smaïn s'occupe du jeu des comédiens et Jean-Marc Longval de la technique. Chaque scène est précisément storyboardée pour obtenir un film très rythmé. "On ne voulait pas faire une comédie traditionnelle. Je ne dis pas qu’il fallait une idée à chaque plan, mais il fallait être créatif." Un invité de marque s'invite, le philosophe Bernard Henri-Lévy, époux d'Arielle Dombasle. "Il voulait voir comment ça se faisait. Il préparait son premier film de fiction, Le Jour et la Nuit. Il s'asseyait dans un coin comme un stagiaire et il nous observait."

"Il a été odieux"

Les 2 papas et la maman sort le 24 avril 1996. La critique est mitigée. Libération salue ​​la prestation de Smaïn: "​​Son talent fait l'intérêt de ce film gentil mais poussif." Arielle Dombasle et Antoine de Caunes ne sont pas épargnés par la presse. "Ils ont été brocardés", déplore Jean-Marc Longval. "Arielle a un jeu un peu décalé, il faut le reconnaître, mais Antoine, ce n'est pas son métier. Il avait la séduction et la maladresse pour que son personnage soit attachant."

Première se montre sans pitié à l'égard du film dans son numéro de mai 1996: "Tellement nul qu'on n'a pas voulu nous le présenter!" Vingt-six ans plus tard, Smaïn et Jean-Marc Longval n'ont toujours pas digéré ces mots. Ils en veulent toujours au rédacteur en chef d'alors, Alain Kruger: "C'était une attaque. On l'a très mal pris. Kruger avait Smaïn dans le nez", s'énerve Jean-Marc Longval. "Il a été odieux", poursuit Smaïn. "On a travaillé deux ans sur ce film et il a osé écrire ça!"

En juin 1996, Première récidive: "Il serait donc grand temps, afin d'éviter d'autres naufrages, de connaître deux vérités: les histoires de fécondation artificielle sont de fausses bonnes idées de scénario, et il ne suffit pas de savoir faire des grimaces pour jouer du boulevard efficacement." Le public n'est pas de l'avis de Première. Les 2 papas et la maman rencontre un grand succès, avec près de 1,3 million de spectateurs. Smaïn fête ce succès avec Alain Sarde à La Maison du Caviar dans le VIIIe arrondissement de Paris.

"Ma place dans l’histoire du cinéma"

Smaïn n'a pas pu capitaliser sur le succès des 2 papas et la maman. Il fait ensuite des mauvais choix. Son film suivant, Charité biz'ness (1998), avec Elie Semoun en parodie du chef Raoni, est une catastrophe. "C'était une grosse erreur", regrette aujourd'hui Smaïn. Suit Recto/Verso (1999), réalisé par Jean-Marc Longval, avec Michel Muller en co-star. Un autre échec. Smaïn reste tout de même fier du résultat: "Le film est hilarant."

Smaïn n'a jamais eu envie de repasser derrière une caméra après Les 2 papas et la maman. "Il faut avoir de grandes qualités pour être réalisateur, que je n'ai pas. Un réalisateur doit être un chef d'orchestre, quelqu'un de déterminé, de presque autoritaire. Et moi, je suis un mec gentil." Ses rôles à l'écran se sont aussi raréfiés. "Moi, dans le cinéma français, c’est un passage. Je suis un homme de scène."

L'humoriste, vu au printemps au cinéma dans Le Médecin imaginaire, a conscience que son temps est passé. "On dit que Smaïn, c’est fini, mais bien sûr que c’est fini! Il faut passer à autre chose. Je suis passé à autre chose. Aujourd’hui, je préfère vivre ma vie que faire du cinéma. Le cinéma, c’est la photographie immédiate d'une société immédiate. En 1996, j'étais un précurseur. C'est ma place dans l’histoire du cinéma. Au milieu des beurs, il y aura mon nom et il y aura écrit: c’était l'un des premiers."

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Article original publié sur BFMTV.com