Aux États-Unis, le monde du rodéo s’attaque aux problèmes de santé mentale et de toxicomanie

Vous ne pouvez visionner ce contenu car vous avez refusé les cookies associés aux contenus issus de tiers. Si vous souhaitez visionner ce contenu, vous pouvez modifier vos choix.

SANTÉ MENTALE - Bosler, fin fond du Wyoming, un samedi d’été. Dans ce minuscule bourg de l’Ouest américain, le public vibre au rythme des coups de sabot que lance un des chevaux contre une clôture blanche.

La barrière s’ouvre, l’étalon hagard déboule dans l’arène. Planté sur la selle, un cow-boy tente périlleusement de s’agripper avec une seule main tandis que l’animal sauvage rue et se cabre. Un seul objectif : ne pas se faire débarquer durant au moins huit secondes. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus, des dizaines de vaillants tentent de répéter la prouesse, les chutes sont nombreuses.

Un nuage de cendres

« Celle-là a dû faire bien mal. Il va avoir besoin d’un petit coup de main », lance l’animateur dans son mégaphone quand un des hommes se retrouve face à lui, les quatre fers en l’air.

La famille de Jonn observe la scène. C’est après une chute et une sérieuse blessure au genou que le jeune homme, passionné de chevaux depuis son adolescence, a commencé à prendre de l’OxyContin, un opiacé antidouleur hautement addictif, prescrit par des médecins.

Ce médicament a d’ailleurs fait l’objet d’un scandale sanitaire aux États-Unis. 500 000 Américains sont décédés en 20 ans à cause de ce médicament présenté comme miraculeux au milieu des années 90. La série Dopesick, diffusée sur Disney +, raconte l’histoire de cet antidouleur développé par le laboratoire Purdue Pharma et poussé par la famille Slacker, qui le savait pourtant très addictif.

« Ils ont continué à lui en prescrire jusqu’à ce qu’à un moment donné, il soit incapable de vivre sans, explique son père, Don Beer. Ça nous a menés là où nous sommes maintenant, à honorer la mémoire de mon fils qui est parti. » Le 31 octobre 2021, le cow-boy, père de trois fillettes, meurt d’une overdose de fentanyl, un opiacé de synthèse jusqu’à 50 fois plus puissant que l’héroïne. Il avait 29 ans.

« Certaines personnes sont attirées par les chevaux parce qu’ils les aident à surmonter les difficultés du quotidien », explique son père. « Jonn en faisait partie : plus il était entouré de chevaux, mieux il se sentait. »

Ses cendres ont été répandues samedi dans l’arène du rodéo, placées sur la selle du dernier cheval qu’il a monté. D’un coup de sabot, elles se sont dispersées dans un nuage.

« Un cow-boy, c’est censé être costaud »

La mort de Jonn a servi d’électrochoc pour Rand Selle, un cow-boy au regard perçant. « On doit souvent gérer des histoires d’amis cow-boys ou de proches qui se sont suicidés ou qui ont succombé à une addiction à la drogue ou à l’alcool », souffle le trentenaire, organisateur du rodéo en hommage à son acolyte.

Dans cet État, où les villes sont distantes de plus de 150 km, où la météo est hostile et le réseau téléphonique quasi-inexistant, le mot d’ordre a toujours été de se « relever comme un cow-boy » face aux aléas du quotidien. « Nous les cow-boys, on est censés être costauds, on nous apprend à être indépendants et à ne compter sur personne, assure-t-il, les larmes aux yeux. On n’a pas forcément cette facilité à communiquer, parler de nos émotions. »

Après le décès de Jonn, Rand Selle a créé un groupe pour libérer la parole sur l’addiction et le suicide dans ce milieu très masculin. L’association a été baptisée « No More Empty Saddles » -- « Plus une selle vide ». « Après avoir lancé cette initiative, je commence à rencontrer beaucoup de nouvelles personnes qui veulent en parler un peu plus. Nous voulons apporter des changements. Nous voulons soutenir tout le monde et essayer de faire bouger les choses », précise Rand.

Cadenas

Le groupe jouit d’un succès notable sur Facebook, où plusieurs cow-boys ont commencé à livrer leur témoignage. « C’est complètement normal d’avoir des émotions négatives, c’est ce qui nous rend humains et nous distingue… d’un cheval », souligne Sheryl Foland, la responsable des questions de santé mentale pour l’association.

L’entourage de cette professionnelle de santé n’a pas été épargné par les tragédies d’addiction et de suicide. « J’ai grandi avec un père alcoolique, raconte-t-elle. Mon père était en cure de désintoxication quand mon frère est mort » par suicide. « Vous ne savez jamais qui va devenir accro, souligne Sheryl Foland. Mais tant que nous n’en parlerons pas, nous n’avancerons pas. »

Pour en « finir avec les morts inutiles », cette femme distribue depuis sa caravane des cadenas pour neutraliser les armes à feu, principal moyen de suicide dans le Wyoming, et des boîtes qui se verrouillent pour entreposer les médicaments addictifs aux participants du rodéo.

La veille, un cow-boy a toqué à sa porte. « Il avait juste besoin d’un endroit pour parler. »

À voir également sur le HuffPost : Tom Holland quitte Instagram pour sa santé mentale

Lire aussi