États-Unis : aux midterms, l’avortement au cœur de la bataille électorale

People argue as a group of anti-abortion protesters crashes the Women’s March Action Rally for Reproductive Rights at Mariachi Plaza in Los Angeles, California, on October 8, 2022.
DAVID MCNEW / AFP
DAVID MCNEW / AFP People argue as a group of anti-abortion protesters crashes the Women’s March Action Rally for Reproductive Rights at Mariachi Plaza in Los Angeles, California, on October 8, 2022. DAVID MCNEW / AFP

INTERNATIONAL - La scène se passe aux États-Unis. Une famille est attablée pour le dîner dans un salon où respire l’amour. Tout à coup, des lumières bleues et rouges clignotent, des coups frappent à la porte. « Je vous arrête pour avoir mis fin à votre grossesse illégalement », déroule le policier devant la mère de famille sidérée.

La vidéo d’une minute trente se termine par un message : « Arrêtons les Républicains qui criminalisent l’avortement de partout. Protégez les droits des femmes et la liberté. »

Ce clip choc d’Eric Swalwell, candidat démocrate de Californie aux midterms qui se déroulent mardi 8 novembre, est digne d’un polar et a fait le tour des réseaux sociaux.

Offensive publicitaire

Cette vidéo s’inscrit dans la stratégie du parti du président Joe Biden, qui a fait de l’IVG son principal thème de campagne, en réponse à la décision de la Cour suprême de mettre fin à la protection du droit à l’avortement en juin dernier. Depuis cette date, chaque État américain peut légiférer sur le sujet. Douze l’ont déjà interdit.

Face à cette offensive conservatrice, les démocrates ont dépensé 320 millions de dollars en publicités pour le droit à l’avortement dans le cadre de la campagne électorale, contre 31 millions pour l’inflation, selon le New York Times.

Et les exemples sont nombreux. Mandela Barnes, candidat du Wisconsin, a par exemple choisi de faire témoigner sa mère qui a avorté pour protéger sa santé. Dans un autre clip viral, la candidate de Louisiane Katie Darling a décidé de filmer son accouchement. En voix-off, elle évoque plusieurs sujets dont l’IVG, interdite dans son État depuis début août. « Nous devons mettre les femmes en confiance, pas mettre leur vie en danger », commente-t-elle.

De démocrates galvanisés à la chute dans les sondages

Cette riposte ne concerne pas seulement des candidats isolés. La Californie, le Vermont ou encore le Michigan ont rapidement réagi après la décision controversée de la Cour suprême. Pour les midterms, ils proposent à leurs électeurs de voter en faveur (ou non) de l’inscription de la protection de l’IVG dans leur constitution.

Pour mobiliser les « pro-choix » (le surnom donné à ceux favorables à l’IVG) dans les dernières semaines de la campagne, le président Joe Biden a pour sa part promis une loi qui garantira le droit à l’avortement si les démocrates sortent majoritaires au Congrès.

« L’avortement a été un sujet majeur pour les démocrates, et cette stratégie a payé immédiatement. Les sondages ont montré des chiffres plus favorables aux démocrates que l’on donnait perdants à coup sûr. Les études ont aussi montré qu’il y avait une vraie mobilisation et une hausse des inscriptions sur les listes électorales », souligne Anne Deysine, professeure des universités et autrice de Les États-Unis et la démocratie (L’Harmattan), interrogée par le Huffpost.

« Les électeurs veulent-il voir les républicains ou les démocrates au Congrès ? »
Five Thirty Eight « Les électeurs veulent-il voir les républicains ou les démocrates au Congrès ? »

Le graphique du site Five Thirty Eight ci-dessus montre bien la progression de la gauche cet été, galvanisée par un référendum organisé dans le très conservateur État du Kansas, où les électeurs ont massivement rejeté un amendement constitutionnel anti-IVG. Avec ce nouvel élan, les démocrates ont même cru pouvoir déjouer le revers électoral habituellement subi par le parti au pouvoir aux élections de mi-mandat.

Un tournant tardif vers l’économie

Toutefois, cette dynamique a changé. L’avortement n’est une priorité que pour 5 % Américains, contre 26 % pour l’économie et 18 % pour l’inflation, selon une enquête Siena/New York Times de mi-octobre.

Pour Anne Deysine, cela montre que les démocrates « ont trop misé sur l’avortement » pendant que les républicains ont « martelé sur l’inflation et la criminalité ». Ces dernières semaines, de nombreux démocrates ont aussi remis en cause la stratégie du parti après avoir observé l’absence de mobilisation dans certaines franges de leur électorat, raconte le New York Times. « Le président Biden est en train de réorienter la stratégie en mettant l’accent sur l’économie. Trop tard ? », s’interroge la spécialiste de la politique américaine.

De leur côté, les républicains étaient « très embarrassés » après la décision de la Cour suprême et ont tout fait pour éviter ce sujet central pendant la campagne, affirme Anne Deysine. « Pendant les débats, ils ont gommé leur position. Les démocrates ont essayé de les attaquer et ils ont louvoyé, ont été beaucoup plus vagues, pas absolument hostiles à l’avortement », liste-t-elle.

Des républicains plutôt discrets, sauf exception

Malgré cette discrétion, certains républicains n’ont pas manqué de faire polémique. Le candidat au Sénat Mehmet Oz, proche de Donald Trump, a provoqué la colère des progressistes après avoir assuré que l’IVG était l’affaire « de la femme, de son docteur, et des politiciens locaux » lors d’un débat face à son concurrent démocrate. Cette déclaration a indigné l’ancienne Première dame et secrétaire d’État Hillary Clinton. « Votre corps, leurs choix », a-t-elle dénoncé dans un tweet accompagné de l’extrait vidéo controversé.

Une seule fois, le GOP (Grand Old Party) a tenté d’amener la question de l’avortement dans le débat public depuis l’été, avec la proposition de loi du sénateur Lindsey Graham (également pro-Trump) qui voulait interdire l’IVG après 15 semaines de grossesse au niveau national.

Mal lui en a pris. Le texte a été férocement critiqué non seulement par les démocrates, pour qui cette loi est liberticide, mais également par les républicains, qui veulent laisser les États légiférer sur le sujet. Cette proposition opportuniste, « hypocrite » lâche même Anne Deysine, est en réalité le fait de républicains cherchant à prendre l’ascendant sur des démocrates en avance dans les sondages.

La tendance s’est depuis inversée, et les dernières perspectives ne sont pas très optimistes pour Joe Biden qui avait promis de signer sa loi sur la protection de l’avortement en cas de vague démocrate. « De toute façon une loi n’est pas la solution car si les républicains reprennent la majorité, ils peuvent revenir sur cette loi », balaye la spécialiste Anne Deysine. La bataille pour l’IVG aux États-Unis est, semble-t-il, loin d’être finie.

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