Émeutes après la mort de Nahel: ce qui a changé depuis les évènements de 2005

Quatre jours après la mort de Nahel, un adolescent tué par un policier lors d'un contrôle à Nanterre, l'émotion reste vive. Des dégradations de bâtiments publics, des pillages et des échauffourées ont de nouveau éclaté dans la nuit de jeudi à vendredi dans plusieurs villes du pays.

Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, a demandé ce vendredi à l'ensemble des préfets l'arrêt des bus et tramways dans toute la France après 21 heures. Et quelque 45.000 policiers et gendarmes ont été mobilisés.

Une situation qui rappelle les violences qui avaient suivi la mort de Zyed et Bouna en 2005. Les deux jeunes de 17 et 15 ans étaient morts électrocutés après avoir voulu échapper à un contrôle de police. Une première nuit de violences avait embrasé la ville de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, avant que les émeutes ne s'étendent ensuite à tout le département et au reste de la France. Les violences avaient duré trois semaines.

Mais près de vingt ans séparent ces événements et les deux situations ne semblent pas en tous points comparables.

• Une carte des émeutes différente

"La carte des émeutes ne correspond pas du tout à celle de 2005 où les émeutes avaient clairement lieu dans les quartiers les plus pauvres", explique pour Public sénat Annie Fourcaut, professeur émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Pour cette historienne spécialiste du développement des banlieues, les émeutes d'il y a près de vingt ans exprimaient un sentiment de danger face aux forces de l'ordre doublé d'un sentiment d'abandon. À l'époque, le centre de Paris avait été épargné. Ce qui n'a pas été le cas ces derniers jours.

"De manière générale, les événements ne sont plus circonscrits aux quartiers pauvres beaucoup d'incendies ont eu lieu dans des endroits qui d'habitude sont très calmes", relève-t-elle.

• Une forme de radicalisation

Pour le sociologue Thomas Sauvadet, spécialiste du phénomène des bandes de jeunes, l'une des principales différences entre 2005 et 2023, c'est la radicalisation de l'hostilité des émeutiers.

"On a par exemple assisté beaucoup plus rapidement à des scènes de pillage (comme cette armurerie pillée vendredi soir à Marseille, NDLR). Les jeunes d'aujourd'hui ont grandi dans un environnement beaucoup plus toxique et beaucoup plus radical que les émeutiers de 2005", analyse-t-il pour BFMTV.com.

• Les images du contrôle de police

En 2005, il n'y avait eu aucune image de Zyed et Bouna fuyant les policiers. Dans le cas de Nahel à Nanterre, le contrôle de police a été filmé. "Aujourd'hui, on a une multiplication des images, des points de vue mais aussi du partage de ces images", pointe pour BFMTV.com Laurence Allard, maîtresse de conférences en sciences de la communication et chercheuse à l'université Sorbonne-Nouvelle.

Des images largement relayées sur les réseaux sociaux, l'une des différences majeures avec 2005.

• Les réseaux sociaux

En 2005, les réseaux sociaux tels qu'on les connaît aujourd'hui n'existent pas encore. Les images des émeutes sont diffusées de manière restreinte via de simples SMS ou MMS, ou encore sur Skyblog - un site qui permettait de créer son propre blog et d'échanger avec les utilisateurs. "Mais il fallait aller chercher ces contenus", ajoute la sémiologue Laurence Allard.

"Aujourd'hui, avec Facebook, Twitter, WhatsApp, Telegram, Snapchat, la diffusion est plurielle et bien plus dense, sans compter l'effet démultiplicateur des algorithmes", poursuit l'universitaire. Tout est documenté, parfois en direct. "Le degré d'implication est largement supérieur." Il ne s'agit plus seulement, selon elle, de regarder ces images mais de les échanger dans une forme d'interaction sociale.

Avec la particularité, notamment sur Tiktok, de pouvoir les rééditorialiser. "On peut réserver sa diffusion à un cercle proche ou bien plus large, voire public. Cela démultiplie les canaux et leur diffusion. On est même au-delà de la caisse de résonnance."

Mohamed Mechmache, fondateur du collectif Aclefeu(Association collectif liberté égalité fraternité ensemble unis), s'est ainsi inquiété sur RMC que ces outils numériques n'alimentent encore davantage les émeutes.

• La présence de collectifs

En 2005, au lendemain des émeutes, Aclefeu voyait le jour. L'objectif de l'association: établir un dialogue entre les habitants des banlieues et les institutions. En 2016, après la mort d'Adama Traoré à la suite de son interpellation à Beaumont-sur-Oise, sa sœur fonde le Comité vérité et justice pour Adama, mobilisé contre les violences policières.

Mais pour le sociologue Thomas Sauvadet, les jeunes en première ligne des récentes émeutes demeurent éloignés de ces mouvements militants. "Ils ont un rapport beaucoup moins politisé", observe-t-il.

"Ils viennent plutôt des bandes de jeunes, de la rue, voire du trafic et sont habitués au conflit, déjà dans une forme de socialisation violente."

• L'émeute mise en scène

Parmi les vidéos les plus populaires, ce serait moins celles qui montreraient le feu ou la violence qu'une forme d'insolite, voire de banalité de l'émeute, pointe encore Laurence Allard. Comme cette vidéo qui montre ce jeune se faisant coiffer au milieu des violences.

"L'émeute est le medium par lequel on se filme, une sorte de toile de fond. Comme si l'émeute n'était pas là pour le spectacle mais pour la saynète."

Alors qu'un émeutier de 2005 racontait que ce qui les guidait à l'époque, "c'était la vengeance", "un ras-le-bol des contrôles de police" et que leur objectif "c'était de brûler des voitures pour faire venir les policiers et ensuite les caillasser", pour Laurence Allard, "l'émeute est un fait social bien plus complexe qu'un commissariat qui brûle".

Cette spécialiste des pratiques digitales évoque plusieurs vidéos de scènes de pillages dans un supermarché. Dans l'une d'elles, un jeune demande à un autre de ne pas oublier de prendre le mascarpone, un autre de la lessive.

"Le spectaculaire est un trompe-l'œil. Piller un Lidl, ça dit beaucoup de choses. Et cela visibilise une certaine misère sociale. Qu'est-ce qu'on voit de ces émeutes? Pas uniquement de la fumée."

Article original publié sur BFMTV.com