"Ça ne fait plus rêver personne": pourquoi le vivier des nouveaux ministres se restreint

Un banc de touche qui se tarit. Après des semaines de rumeurs de remaniement, ce sont principalement des députés qui sont rentrés au gouvernement, d'Aurore Bergé aux Solidarités en passant par les députés Thomas Cazenave à Bercy ou Philippe Vigier aux Outre-mer, loin des promesses de renouvellement avancées par le président lors de son élection en 2017.

Pour expliquer ce casting, beaucoup pointent du doigt une fonction qui serait devenue peu attractive.

"C'est fini, ça ne fait plus rêver personne d'être ministre. Vous ne ferez plus rentrer des noms très prestigieux", s'attriste Philippe Douste-Blazy, plusieurs fois ministre sous Jacques Chirac auprès de BFMTV.com.

"Si vous n'aimez pas payer vos impôts, il ne faut pas y aller"

Parmi les raisons invoquées pour un casting de plus en plus étriqué principalement concentré sur l'Assemblée nationale, nombreux sont ceux à avoir dans le viseur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Lancée par François Hollande après l'affaire Cahuzac en 2013, les ministres doivent déposer auprès d'elle une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêt.

Plusieurs d'entre eux ont dû quitter l'exécutif après avoir été épinglés. Sous Emmanuel Macron, pas moins de quatre ministres ont été exfiltrés, de l'ex-escrimeuse Laura Flessel à Caroline Cayeux, la ministre des Collectivités rurales qui avait très largement "sous-estimé" son patrimoine immobilier en passant par l'ex-chauffeur de taxi Alain Griset, un temps ministre délégué aux PME.

"Quand vous êtes ministre, c'est un honneur. On se doit d'être une probité irréprochable. Mais c'est sûr que si vous n'aimez pas payer vos impôts, il ne faut pas y aller", tance l'ex-ministre des sports socialiste Patrick Kanner.

Avantage à piocher dans les rangs des députés: leur profil ont déjà "été screené" en partie par la HATVP, comme l'explique un collaborateur ministériel. Comprendre: l'institution a déjà pu vérifier en grande partie qu'ils étaient en conformité avec les règles fiscales même s'ils devront remplir une déclaration de patrimoine. De quoi s'éviter une éventuelle polémique.

"Pas très motivant"

D'autres dans les rangs macronistes disent craindre les conséquences sur les membres de leurs familles de leur entrée au gouvernement. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a ainsi dû s'expliquer sur un possible conflit d'intérêt avec la société pétrolière Perenco, longtemps dirigée par son père, qui a lui-même crée une société pour le compte de ses petits-enfants (La Haute autorité a finalement "constaté l'absence de manquement" dans ses déclarations NDLR).

Le ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini a de son côté été écarté des dossiers liés à Google. Son épouse travaille pour le géant du numérique. Même topo pour Marlène Schiappa, notamment en charge des mutuelles sous le précédent gouvernement avant d'être exfiltrée, qui a dû se déporter après avoir été fait la couverture de Paris Match avec son nouveau compagnon, patron de la MGEN.

"On se doit d'être transparent mais à la fin, on se dit qu'on abîme ses proches pour un CDD très court. Ça n'est pas très motivant", se plaint un lieutenant de la macronie.

"Mais quand vous êtes député, vous avez déjà eu un avant-goût des nuits courtes et des week-ends qui durent juste une soirée. Vous savez à quoi vous préparez en sachant que ce sera pire", remarque encore ce cadre de la majorité.

"Merci aux familles"

Réunis lors d'un dîner aux goûts d'adieu pour une partie du gouvernement ce mardi soir à l'Élysée, les ministres accompagnés de leurs conjoints ont d'ailleurs eu le droit à un mot doux d'Emmanuel Macron.

"Merci aux familles. Car je sais combien celles et ceux qui partagent vos vies portent une partie de la contrainte des vicissitudes que vous avez à subir", leur a lancé le chef de l'État.

Mais à gauche, on réfute les exigences de transparence pour expliquer les profils de députés qui sont rentrés au gouvernement, en pointant plutôt du doigt le président lui-même. Il faut dire que les ministres n'ont plus guère de marge de manœuvre.

"On a pu vérifier que vous saviez manger votre chapeau"

Emmanuel Macron n'hésite plus à s'emparer de dossiers ficelés par ses ministres pour annoncer lui-même des mesures, du plan eau défendu par Christophe Béchu aux annonces sur le bac professionnel en passant par les vœux aux soignants en janvier dernier. De quoi frustrer fortement certains membres de l'exécutif.

"Quand vous êtes parlementaire macroniste, on a pu vérifier que vous saviez manger votre chapeau et rester dans la ligne présidentielle", avance l'ex-ministre des Familles et des Droits des femmes Laurence Rossignol.

Parmi les entrants du second gouvernement Borne, nulle trace d'ailleurs de députés qui avaient parfois été remuants. Un temps évoqué, le nom de Sacha Houlié, le président de la Commission des lois, qui a croisé à plusieurs reprises le fer avec Gérald Darmanin, n'a finalement pas été retenu.

"Éviter un crash test"

Les nouveaux venus issus du Palais-Bourbon ont également pour eux une certaine expérience médiatique - à l'instar d'Aurore Bergé, adepte des coups médiatiques - et des prises de paroles dans l'hémicycle.

"Ça évite le crash test en direct lors des premières questions d'actualité ou dans les matinales", décrypte un lieutenant de la majorité.

Surtout, les vieux routiers de la politique refusent de croire que la fonction de ministre ne fait plus envie. "Il y aura toujours plus d'aspirants que de postes. J'aimerais bien savoir si la moitié des députés n'ont pas dormi ces derniers jours avec leur téléphone sous l'oreiller", sourit ainsi l'ex-ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux.

Article original publié sur BFMTV.com