"Ça bloque l'accès aux soins": un médecin généraliste en croisade contre les certificats médicaux "abusifs"

Ne soyez pas surpris si des têtes de crocodiles se cachent au bas de vos certificats médicaux dans les prochaines semaines. Il s'agit de l'initiative du docteur Michael Rochoy, portée par le Collège de médecine générale. Épuisé par "la paperasse inutile", ce médecin généraliste veut faire la guerre aux certificats médicaux injustifiés qui lui font perdre un temps précieux et encombrent son cabinet tous les jours.

Soins à domiciles, inscriptions en crèche, pétanque, course à pied, gym... Chaque jour, ce médecin, qui exerce à Outreau (Pas-de-Calais), perd au moins deux consultations à devoir signer des certificats divers et variés pour pouvoir attester qu'une personne est apte à exercer telle ou telle activité.

Le Dr Rochoy a ainsi lancé un site internet (certificats-absurdes.fr) ainsi qu'un tampon encreur à destination de ses confrères, afin qu'ils puissent cibler les documents qu'ils jugent superflus.

"Ça bloque l'accès aux soins"

"Je n'ai pas d'intérêt particulier à mettre le doigt là-dessus. En soi, ça ne me dérange pas de devoir faire ça. C'est rapide, ça demande une réflexion assez pauvre et c'est très rentable", atteste ce professionnel de santé, qui s'est inspiré de l'action "Crocodile bleue" lancée en janvier dernier par ses confrères belges.

Pourquoi un crocodile comme symbole? Selon lui, cela fait référence à l'expression néerlandaise "Paarse krokodil" (crocodile violet), qui symbolise dans le pays la bureaucratie inutile depuis les années 2000. À l'époque, une compagnie d'assurance aux Pays-Bas avait fait parler d'elle avec une publicité humoristique, dans laquelle un secrétaire demande à une mère de remplir et de lui remettre un certificat recto-verso pour pouvoir récupérer la bouée oubliée par sa fille la veille. Une situation absurde alors que l'objet se trouve juste derrière lui.

Pour le praticien, ces procédures "bloquent l'accès aux soins" et "représentent un coût faramineux pour la Sécurité sociale". "On ne s'en sort pas. Quand je passe mon temps à remplir ces papiers, ça bloque un créneau pour un patient qui en aurait potentiellement vraiment besoin: un enfant malade, une personne âgée... Je la verrais plus tard, ou bien je serais obligé de lui consacrer moins de temps", regrette-t-il.

"On est devenus des contrôleurs de la santé", déplore le médecin, qui dit avoir "l'impression de vivre dans une société du sur-contrôle, où règne une espèce de suspicion généralisée".

Écoles, bailleurs sociaux, employeurs...

Le pire, selon lui, c'est qu'il est régulièrement amené à certifier "des choses incertifiables". "Est-ce que ce patient est apte à grimper à une échelle de 2m? Est-ce qu'il est capable de reprendre la natation ou la danse classique? Je peux bien sûr l'estimer grossièrement en fonction de son état de santé global, mais ça se base principalement sur la déclaration du patient, et donc sur sa bonne foi", explique le Dr Michael Rochoy.

Les arrêts de travail courts (de moins de 3 jours) et ceux pour enfants malades sont également dans son viseur. Lui est plutôt favorable à un système de quota annuel de journées d'arrêts courts sans certificats requis, comme cela se fait en Belgique ou aux Pays-Bas. Selon lui, le risque d'abus serait restreint dans la mesure où un salarié n'est pas indemnisé par la Sécurité sociale pendant sa période de carence.

Mais ça ne s'arrête pas là. Justificatifs Pôle emploi, bailleurs sociaux, établissements scolaires, renouvellement de soins pour les infirmières... Le praticien du Pas-de-Calais dresse une liste interminable de cas divers et variés dans lesquels un certificat médical est demandé. Jusqu'aux assurances, qui n'hésitent pas à se tourner vers les généralistes afin de connaître l'intégralité des antécédents médicaux d'une personne dans le cas de l'achat d'un bien immobilier par exemple. "Une pratique illégale", rappelle Michael Rochoy.

Le ministre de la Santé François Braun a reconnu, début février l'"absurdité" de certains certificats. En réponse aux recommandations d'un rapport sur la simplification administrative, il a promis de "clarifier avant la fin du premier semestre 2023" les règles en la matière, en énonçant 15 mesures de simplification administratives. "Du vent, rien que du vent" pour le médecin du nord de la France, qui considère que ces annonces sont "insuffisantes", notamment au niveau des certificats d'arrêts maladie ou enfants malades.

Quant aux promesses de clarification des règles en matière de certificats médicaux, celles-ci sont pour la plupart "déjà existantes" puisque la réglementation avait été revue en 2011. Il regrette aussi que ces mesures concernent principalement la numérisation des données, ce qui n'est pas forcément synonyme de "simplification" ou de "gain de temps" pour les médecins, selon lui. En ce qui concerne les certificats dédiés à la pratique sportive notamment, "qu'est-ce qui va nous assurer des résultats?", s'interroge enfin le professionnel.

Article original publié sur BFMTV.com