À Mayotte, l’opération Wuambushu inquiète les Comores et les associations

Gérald Darmanin, ici photographié à Mayotte en décembre 2022, a confirmé l’opération « Wuambushu »
Gérald Darmanin, ici photographié à Mayotte en décembre 2022, a confirmé l’opération « Wuambushu »

DIPLOMATIE - Baptisée « Wuambushu », l’opération « secrète » ne l’est plus : la France s’apprête à déclencher dans les prochains jours une série d’interventions policières contre la délinquance et l’immigration illégale à Mayotte.

Les contours concrets de l’action étatique demeurent flous, mais elle devrait constituer essentiellement à des expulsions massives d’étrangers en situation irrégulière et à des destructions de bidonvilles. L’opération a été validée par Emmanuel Macron en conseil de défense.

Une opération pas si secrète

Révélée fin février par Le Canard enchaîné, l’opération « Wuambushu », qui peut vouloir dire en mahorais « reprise » comme « poil à gratter », n’avait jamais été officialisée par le gouvernement même si elle a été confirmée.

Gérald Darmanin a parlé librement pour la première fois en cette fin de semaine dans une interview au Figaro, puis sur franceinfo, de la tenue d’une opération « au long cours ». Évoquant « une situation de délinquance aggravée », le ministre assure que le démantèlement des bandes criminelles, le démantèlement de l’habitat insalubre, et le contrôle des armes de touts types font partie des priorités. Pour appuyer son opération, le ministre de l’Intérieur argue même de la menace terroriste : « N’oublions pas que nous sommes à Mayotte, près de l’Afrique des Grands Lacs, qui est menacée par l’islamisme radical »

Il a néanmoins démenti un lancement lundi et la durée de deux mois, avancé par la presse. « Il n’y a pas un moment où on la commence et un moment où on la termine », a-t-il ajouté, affirmant même que l’opération avait « déjà commencé ».

« Il y a 1.800 policiers et gendarmes en ce moment même à Mayotte qui font des opérations de police, qui mettent fin au trafic d’armes, qui mettent fin aux bandes criminelles », dont 60 ont été dénombrées, dit-il.

Au total, plus de 2.500 personnels (forces de l’ordre, agence régionale de santé, justice, réserve sanitaire) sont mobilisés, selon une source proche du dossier.

L’apogée d’une longue crise migratoire

Mayotte, devenu le 101e département français en 2011, attire chaque année des milliers de migrants, arrivés par la mer en « kwassa kwassa », des embarcations de fortune, de l’île comorienne voisine d’Anjouan, mais également de l’Afrique des Grands Lacs et de plus en plus de Madagascar.

Près de la moitié des 350.000 habitants estimés de Mayotte ne possède pas la nationalité française, selon l’Insee, mais un tiers des étrangers sont nés sur l’île.

Ces migrants clandestins, installés dans des quartiers particulièrement insalubres, des « bangas » en proie à la violence et aux trafics, vivent pour la plupart tranquillement sur l’île, occupant de petits emplois. Ils sont accusés par des collectifs de citoyens et des élus de déséquilibrer le peu d’infrastructures et ressources de l’île et de nourrir un taux de délinquance « hors normes ». Des arguments avancés notamment par député LR de Mayotte, Mansour Kamardine.

Plusieurs opérations dites de « décasage », parfois réalisées par des habitants de l’île eux-mêmes constitués en milices, ont déjà eu lieu depuis 2016.

Gérald Darmanin a dit souhaiter la destruction de « 1.000 bangas dans les deux mois ». « Nous prendrons le temps nécessaire (...) toujours sur autorisation du juge, car il va de soi que nous relogeons les personnes conformément au droit », a-t-il affirmé.

Inquiétude pour les droits humains et la santé

Plusieurs organisations, dont la Ligue des droits de l’homme, se sont inquiétées que « la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables ».

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a demandé à Beauvau de renoncer à l’opération, face aux risques d’« aggravation des fractures et des tensions sociales » à Mayotte et d’« atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères ».

« Les actions annoncées (...) m’inquiètent tout particulièrement », a aussi déclaré la Défenseure des droits Claire Hédon, qui a annoncé la présence de quatre de ses délégués sur place.

« On ne peut pas respecter les droits des personnes en les considérant comme une masse informe », a fait valoir à l’AFP Flor Tercero, la responsable des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), une délégation de robes noires mandatées par des barreaux métropolitains pour mener une mission d’observation de l’opération. Le syndicat de la magistrature s’inquiète lui aussi d’une « instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire, rappellent nos confrères de Libération.

Des organisations de la société civile comorienne ont de leur côté dénoncé le « massacre que la France veut perpétrer sur l’île comorienne de Mayotte ». À Mayotte, les personnels de santé ont mis en garde , dans une tribune, contre de possibles « conséquences dramatiques » d’une telle opération anti-migrants, rappelant que cela pourrait générer des situations à haut risque épidémique.

Tensions diplomatiques avec les Comores

Les autorités des Comores, qui revendiquent toujours leur souveraineté sur Mayotte, restée française après l’indépendance des Comores en 1974, sont vent debout contre cette opération et accusent Paris de « semer la violence ».

« Nous n’avons pas les moyens d’absorber cette violence fabriquée de Mayotte par l’État français. Une situation aussi complexe ne peut se régler de manière aussi déroutante », a déploré mardi Anissi Chamsidine, le gouverneur d’Anjouan, l’île comorienne la plus proche de Mayotte.

Le président comorien Azali Assoumani, qui assure depuis février la présidence de l’Union africaine, a déclaré à l’AFP espérer « que l’opération sera annulée », en reconnaissant « n’avoir pas les moyens de (la) stopper par la force ».

« Les Comores n’entendent pas accueillir des expulsés issus de l’opération », a prévenu vendredi le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie.

D’intenses tractations ont eu lieu ces dernières semaines entre Moroni et Paris, laissant planer la possibilité d’un accord de dernière minute. Gérald Darmanin a même assuré vendredi que la France « travaille très bien » avec l’Union des comores et que tous les « délinquants » comoriens arrêtés à Mayotte « sont reconduits aux Comores ».

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