À l’heure de la pénurie de profs, il faut le dire : oui, il s’agit du plus beau métier du monde, et de notre devoir

Enfants et parents se préparent à dire au revoir aux enseignants à l'approche des vacances d'été. Une fin d'année pas comme les autres, bouleversée par la crise du coronavirus, et dans des salles de classe à moitié vides.
Indeed via Getty Images Enfants et parents se préparent à dire au revoir aux enseignants à l'approche des vacances d'été. Une fin d'année pas comme les autres, bouleversée par la crise du coronavirus, et dans des salles de classe à moitié vides.

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« Une fois prof, tu feras partie de la Maison ». Je l’ai entendu aussi. Je n’avais aucune idée de quelle maison il s’agissait. Ça, je l’ai compris un peu plus tard. Une maison brinquebalante et nécessitant quelques travaux, peut-être, mais quelque part, une vraie maison. Accueillante et spacieuse.

RENTRÉE - Des métiers, j’en ai eu plusieurs : télévendeur, monteur pour la télévision, chargé de production pour un orchestre de musique classique, gestionnaire d’une association de quartier… Et puis j’ai eu mon groupe de rock avec lequel j’ai sillonné les routes et enregistré des disques, j’ai écrit six livres dont trois romans, j’anime aujourd’hui encore une émission de radio, publie des livres avec ma petite structure d’édition… Une vie professionnelle et passionnelle bien remplie, malgré une scolarité en dents de scie et des études bâclées par le désir de plonger un peu plus tôt que les autres dans la « vraie vie ».

Et me voici donc professeur des écoles, dans une REP+ de banlieue parisienne. Une reconversion sur le tard motivée par l’envie de « donner du sens ». Ou de donner tout court. On peut le dire, un lieu commun. Un leitmotiv se rependant comme une traînée de poudre chez les gens fatigués de ne plus savoir le pourquoi du comment ils travaillent toute la journée. La quête de sens, cette maladie du siècle hautement contagieuse mais pourtant bénigne, et dont il faudra surtout bien un jour se garder de trouver un vaccin.

Enseignant à 40 ans

À quarante ans passés, j’ai décidé de goûter à ce curieux métier, et de passer le fameux concours de recrutement de l’Éducation nationale. C’était il y a six ans.

« Tu verras, c’est dur, épuisant, les enfants sont impitoyables, la paperasse mange ton temps comme un ogre qui t’avale tout cru, on manque de moyens, de temps pour finir les programmes... ». Je l’ai entendu quelques fois, cette phrase. Souvent, en fait, c’est vrai. J’ai également croisé quelques futurs collègues, au moment de passer mon concours, dont le regard terne trahissait une lassitude qui faisait peine à voir. Pas de quoi vous dégoûter, mais clairement vous faire réfléchir.

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Mais croyez-le ou pas, ils étaient au final très peu. Pour ne pas dire en quantité insignifiante par rapport aux autres. Ceux-là même, pléthoriques, dont les yeux brillaient quand ils m’évoquaient leurs élèves, leur classe, leurs méthodes, leurs coups de cœur et leurs coups de gueule, leurs éclats de rire et leur tendresse infinie pour les mômes qu’ils avaient en face d’eux toute la journée. Des gens à part, une sorte de guilde bizarre, de congrégation de bosseurs acharnés se reconnaissant entre eux.

« Une fois prof, tu feras partie de la Maison ». Je l’ai entendu aussi. Je n’avais aucune idée de quelle maison il s’agissait. Ça, je l’ai compris un peu plus tard. Une maison brinquebalante et nécessitant quelques travaux, peut-être, mais quelque part, une vraie maison. Accueillante et spacieuse.

La quête de sens était une chose. Mais un métier passion, ce vieux fantasme qui s’évapore comme une eau en plein soleil avec l’âge et l’expérience, c’était vraiment possible ?

Il est difficile de répondre sincèrement à cette question. Parce que chaque jour n’est pas forcément une épiphanie, loin de là. Nos classes sont parfois difficiles, notre humeur de temps à autre peu compatible avec la bienveillance lorsqu’un élève oublie pour la cinquantième fois sa trousse à la maison ou préfère raconter sa courte vie au lieu de travailler.

Nous sommes souvent fatigués de répéter mille fois les mêmes consignes sans qu’elles soient jamais suivies, ou d’apprendre des notions mystérieusement oubliées le lendemain alors que les algorithmes de Minecraft sont connus à la perfection. On se sent souvent nuls, désarmés, pas à la hauteur. On s’en veut de ne pas pouvoir aider davantage l’un dans sa dyslexie ou l’autre à braver son environnement familial toxique pour pouvoir enfin se mettre au travail.

Un métier difficile ? Certainement. Insurmontable pour autant ? Loin de là

Et pour preuve, je ne reviendrai jamais en arrière. Pourquoi ? Parce que malgré sa difficulté (et encore, toute relative, quel métier a jamais été facile ?), il est une chose qu’on ne peut échanger contre rien au monde. Lorsqu’une lumière se met à briller au fond d’un jeune cerveau après la lecture d’un texte dont le sens résonne, lorsqu’une règle mathématique absconse est enfin comprise et ouvre les portes d’un embrassement bien plus large de cette formidable science, lorsque dans un débat philo un élève se décentre et place l’Autre au cœur de la conversation, lorsqu'un gamin vous dit en fin de journée : « Maître, en fait, c’est bien d’apprendre »... Eh bien, c’est plus qu’une satisfaction professionnelle. Peut-être sommes-nous des idéalistes naïfs, des gens qui vivons au pays des Bisounours (quelle expression détestable), mais le sens dont nous faisons quête prend dans ces moments sa forme la plus pure.

Dans notre société qui sait se montrer si déprimante si on la prend par le mauvais bout de la lorgnette, quoi de plus beau que de tendre une perche à un enfant en lui apprenant qu’il reste de belles choses à construire ou à réparer ? Quoi de mieux que de contribuer à notre humble niveau à essayer de lui ouvrir l’esprit, et à lui donner la certitude que lui, ce môme qui se croit comme tous les autres, est pourtant bel et bien unique et peut faire ce qu’il veut de sa vie tant qu’il accepte d’apprendre.

Éduquer, orienter, instruire

Parce qu’après tout, aimer apprendre, de soi et des autres, n’est-ce pas la clef de tout ? Et surtout d’une société peut-être pas parfaite, mais au moins meilleure qu’elle ne l’est ?

Quatre mille postes non pourvus cette année. C’est désolant. Désolant pour nous mais surtout pour eux. En ne participant pas à leur éducation, aux côtés de leurs parents, c’est la société de demain que nous (dé)construisons. Certains d’entre nous n’ont plus trop de cartes à jouer. Nous avons pris de l’âge. Trop, peut-être. Demain, le monde tournera sans nous et advienne que pourra.

Mais eux, ces enfants, ne sont-ils pas notre futur ? Ou plus encore, « leur » propre futur ? Celui-là même qu’il nous appartient de chérir et de livrer sans trop de bosses, de cassures et de contusions ?

Alors oui, il va falloir qu’on s’y remette. Éduquer, orienter, instruire. Aider à construire les futures générations est le devoir de notre société. On ne peut y déroger ni balayer tout cela sous le tapis. Leur futur en dépend. Notre legs également.

Et cela tombe bien. Parce que ce devoir n’est pas une purge. Loin de là. Il s’agit ni plus ni moins que du plus beau métier du monde.

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