Tianjin Tchernobyl : les catastrophes prophétiques

Comme toujours, il y a la petite histoire qui en dit long. À Tianjin, une jeune adolescente a été arrêtée pour escroquerie. Elle a fait croire sur un réseau social que son père était mort dans l’explosion. Émus, ses followers lui ont envoyé de l’argent pour l’aider (plus de 12 000 euros) jusqu’au moment où la police a débarqué. Son compte a été gelé, l’argent avec, et la police s’est fait un plaisir de raconter l’affaire sur le compte Facebook du commissariat de Fangchenggang, dans le sud du pays, auteur de l’arrestation.

Tout est là. Une société travaillée par l’argent, devenu une obsession à tous les étages de la société. Une société où les média officiels sont contrôlés mais où les réseaux sociaux sont omniprésents. Blogs, sites, page Facebook, où les infos circulent, où les pétitions tournent contre tel ou tel projet urbanistique, tel édile corrompu, laissant aux citoyens des espaces de liberté, qu’ils utilisent pour contester les autorités politiques décentralisées, habitudes chinoises ancestrales, y compris sous Mao. Et puis la corruption, cheval de bataille du président Xi depuis son accession au pouvoir, lui permet de mener une guerre de clan dont la Chine est coutumière depuis toujours.

Derrière la petite histoire, il y a la grande. Ce cyanure qui s’écoule et que l’on endigue tant bien que mal. 700 tonnes étaient stockées sur le port, là où la réglementation ne tolérait que 24 tonnes ! C’est un journal chinois qui rapporte l’information. Les autorités ont dû la lui transmettre opportunément. Cela permettra de charger l’entreprise comme un délinquant notoire, comme si en Chine quelqu’un respectait les réglementations de sécurité ou les règles du commerce ! La croissance chinoise s’est faite dans une anarchie contrôlée, avec comme dopant le pot de vin, accélérant tous les business, toutes les autorisations, permettant de faire imploser de l’intérieur le système. Le pot de vin comme accélérateur de l’histoire ! Cette croissance qui ralentit et laisse la Chine face à un problème de fond, celui de définir un modèle pour les 50 années à venir. Une nouvelle révolution venue d’en haut.

Après Tchernobyl, Svetlana Aleksievich, écrivain ukrainien, avait écrit La Supplication. Bouleversant récit sur ces habitants de Prypiat, la ville des employés de la centrale nucléaire, finalement évacués après qu’on leur a dit que tout allait bien. Elle rapporte une petite histoire. Terrible. Un militaire qui, avec les pompiers, avait éteint l’incendie du réacteur avec du sable. Des tonnes de sables apportées par camion larguées par hélicoptère. Il était revenu à la maison dévasté affaibli comme jamais avant de déclencher une leucémie fulgurante. Son fils était fier de son papa. Il s’était baladé avec son calot sur la tête à l’école, dans la rue : « Mon papa a éteint l’incendie. » Avant que lui aussi développe une tumeur au cerveau. Le calot de militaire irradié de son père l’aura tué.

On a mis du temps à savoir ce qui se passait à Tchernobyl. Le culte du silence, tout cacher, mentir, nier même l’évidence. L’habitude est toujours là. La fierté de l’uniforme, le sens du sacrifice des soldats - « un Russe sait mourir » - et la fascination qu’il suscite nourrissant un patriotisme profond et sourcilleux. Encore aujourd’hui. Et ces populations sacrifiées qui font à peine encore leur colère, victimes d’une résignation profondément intégrée, comme si le bonheur apaisé et serein n’était pas accessible à ce peuple. Mais comme Tianjin, Tchernobyl et l’explosion du réacteur Lénine aussi disaient que la grandeur de l’URSS était bien un mythe qui s’écroulait et qu’une nouvelle ère allait s’ouvrir.