L'est de l'Ukraine gagné par la contestation

par Jack Stubbs ZAPORIJIA, Ukraine (Reuters) - Zaporijia, ville industrielle et russophone de l'est de l'Ukraine, ne semble pas prédisposée à la révolte. Pour ses 700.000 habitants, l'emploi et la stabilité sont des valeurs cardinales et, lors des élections législatives de 2010, le Parti des régions, dont le président Viktor Ianoukovitch est issu, y a obtenu 71% des voix. Or, fin janvier, 5.000 contestataires se sont rassemblés devant le siège de l'administration régionale pour réclamer la démission du gouverneur Alexandre Peklouchenko, désigné par le chef de l'Etat. "Seuls les lâches et les traîtres démissionnent (...) Je suis un soldat du président", leur a répondu l'intéressé. Les manifestants ont alors tenté d'approcher mais se sont heurtés aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes. Ceux qui refusaient de battre en retraite ont ensuite eu à faire aux forces anti-émeute et aux "titouchki", des hommes de mains à la solde des autorités. "Il s'agissait de gens normaux, respectueux de la loi. Nous ne sommes ni les criminels ni les hooligans qu'ils prétendent", s'indigne Sergueï Babkine, qui a assisté à la scène dans les rangs des contestataires. La mobilisation, fruit de l'indignation soulevée par la répression des manifestations de Kiev, était toutefois sans commune mesure avec les événements de la capitale, 700 km au nord-ouest. Depuis la mi-novembre, des dizaines de milliers de personnes s'y rassemblent régulièrement pour dénoncer la volte-face du président, qui a renoncé in extremis à un accord d'association avec l'Union européenne pour se tourner de la Russie. Parfois violente, la confrontation avec les forces de l'ordre a fait six morts et plusieurs centaines de blessés. La décision de Viktor Ianoukovicth a suscité de vives réactions dans l'est comme dans l'ouest du pays, où les points de vue politiques sont d'ordinaire diamétralement opposés. "TOUS DE MÈCHE" Dans l'Est, soumis depuis plusieurs siècles à l'influence de Moscou et plus favorable à l'actuel chef de l'Etat, nombreux sont ceux qui continuent à voir la Russie comme une puissance tutélaire, garante de la stabilité. Dans l'Ouest, plus proche de l'UE, cette influence passe plus généralement pour une forme d'impérialisme, mais ce découpage n'est pas aussi figé qu'il y paraît. Pour Sergueï Babkine, Zaporijia est devenue le symbole des manoeuvres politiques à l'origine de l'exaspération de l'opinion et de la contestation. Oleksandr Sin, élu maire de la ville en 2010, s'était alors présenté sous les couleurs du parti Batkivchtchina (Mère Patrie), formation de l'ex-Premier ministre et opposante Ioulia Timochenko, qui purge une peine de prison pour abus de pouvoirs. Trois mois après son élection, il a rallié les rangs du parti au pouvoir. "Ils sont tous de mèche. Le gouverneur, le maire, le chef de la police... C'est la même famille. Les gens en ont marre. Pour ceux d'ici, ça ne peut pas durer", affirme-t-il. Les partisans de l'"Euromaïdan", tel que le mouvement de contestation le plus radical a été baptisé, essaiment désormais à l'Est, comme en témoigne la mobilisation de Zaporijia. Pour Oleg Bhouslavskij, responsable des sciences sociales à l'institut de journalisme et de communication de la ville, "Zapirijia est le miroir de ce qui se passe à Kiev". "Le sentiment est désormais que quelque chose doit changer. D'ordinaire, le Parti des régions peut compter sur l'Est lors des élections, mais, en 2015, ce sera plus incertain", dit-il, évoquant la présidentielle. Pour d'autres, en revanche, la ville semble à l'abri de la ferveur révolutionnaire. "La plupart des gens s'en moquent. L'inertie est une maladie ici", déplore ainsi Taras Bilka, un journaliste et musicien de 26 ans. "Malheureusement, l'attrait pour l'Euromaïdan est limité, ici. Ceux qui sont favorables au changement sont déjà partis à Kiev", poursuit-il. Jean-Philippe Lefief pour le service français