Visite d’État au Brésil : Macron et Lula, deux présidents que tout oppose ?

Malgré leur apparente proximité, Emmanuel Macron et Lula sont loin d’être parfaitement alignés sur de nombreux sujets qui seront abordés par les deux hommes ces prochains jours.
LUDOVIC MARIN - AFP / Montage Le HuffPost Malgré leur apparente proximité, Emmanuel Macron et Lula sont loin d’être parfaitement alignés sur de nombreux sujets qui seront abordés par les deux hommes ces prochains jours.

INTERNATIONAL - Aligner les points de vue, une mission que Macron et Lula vont devoir mener main dans la main. Attendu au Brésil pour une visite d’État de trois jours à partir de ce mardi 26 mars, Emmanuel Macron aura fort à faire aux côtés de son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva. À commencer par réchauffer les relations entre les deux pays après le passage chaotique de Jair Bolsonaro à la tête du pouvoir brésilien.

Dans la guerre en Ukraine, le Brésil veut incarner une troisième voie critiquée par les Occidentaux

Plus détendus aujourd’hui, les relations entre Paris et Brasília restent toutefois soumises à la pression de dossiers internationaux brûlants qui rendent la visite d’Emmanuel Macron au Brésil aussi délicate qu’attendue. Il faut dire que ces derniers mois ont laissé apparaître les visions contradictoires des deux chefs d’État, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, de la situation à Gaza ou de l’accord UE-Mercosur, dans l’impasse et toujours pas ratifié… au grand dam du Brésil.

· Climat et biodiversité

C’est sans doute sur ce point que les deux chefs d’État auront le moins de mal à s’entendre. Car si l’on met de côté l’absence remarquée d’Emmanuel Macron lors du sommet pour l’Amazonie, organisée l’été dernier, les deux hommes partagent la volonté de préserver coûte que coûte le poumon vert de la planète, sans pour autant enrayer l’économie brésilienne.

« Sous Bolsonaro, l’UE était devenu un ennemi du Brésil, c’est donc un retour de la proximité avec Lula. D’autant plus que la forte baisse de la déforestation constatée depuis un an favorise ce rapprochement. Mais Lula attend de l’argent, il attend des gestes de la France », observe pour Le HuffPost Jean-Louis Martin, économiste et chercheur associé à l’IFRI. Il pointe toutefois une première limite : « les ambitions vertueuses de Lula sur le plan écologique sont antagonistes de l’idée d’une croissance forte pour faire baisser la pauvreté et les inégalités ».

Carolina Grassi, doctorante brésilienne au Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires de l’Université Aix-Marseille et spécialiste de l’Amazonie voit plutôt cette visite comme l’occasion de montrer concrètement les efforts du Brésil, en matière de bioéconomie notamment. « Macron va arriver par l’Amazonie, dans la ville de Belem qui accueillera la COP 30, remarque-t-elle. C’est un geste fort et un bon moyen de préparer le rôle de la France pour cet événement ».

· Guerre en Ukraine

D’un côté, le président français n’a jamais caché son soutien à Kiev, surtout ces dernières semaines. De l’autre, Lula défend bec et ongles sa position de long aligné, jugeant l’Ukraine tout aussi responsable que la Russie, même si Brasília avait initialement condamné l’invasion russe.

Un constat qui inspire à Jean-Louis Martin la réflexion suivante : « Lula se voit comme un grand réconciliateur. Mais en demandant à l’Ukraine de céder la Crimée, il a perdu beaucoup de crédibilité. C’est la conséquence directe du rôle de médiateur qu’il s’est donné, celui de porte-parole du Sud Global ».

Il ajoute qu’il n’est pas étonnant de voir Lula tracer sa propre voie en tant que leader politique élu démocratiquement face au « deux poids, deux mesures des Occidentaux ». La position occidentale est d’ailleurs « très mal perçue au Sud, et pas seulement au Brésil », où la guerre en Ukraine n’a finalement qu’un impact modeste.

De son côté, Carolina Grassi estime que « Lula a tout intérêt à aborder les sujets internationaux avec Macron malgré leurs divergences. Il ne faut vraiment pas oublier l’objectif du Brésil d’obtenir un jour son siège au Conseil de sécurité de l’ONU », observe-t-elle.

· Conflit à Gaza

Comme avec l’Ukraine, le président Lula cultive sa différence sur la guerre Israël-Hamas. Mi-février, le président du Brésil a d’ailleurs provoqué une crise diplomatique avec Israël en accusant l’État hébreu d’un « génocide » −similaire à l’Holocauste− dans la bande Gaza. Une manière de faire « surprenante » pour le chercheur comme pour la doctorante. Ils s’étonnent d’ailleurs de la « maladresse » de Lula sur ce sujet. « Mais sur le fond, c’est encore l’expression des ressentiments du Sud Global », remarque Jean-Louis Martin.

Carolina Grassi explique aussi que le Brésil est bien plus détaché de ce sujet car il cultive un rapport très différent de la France sur le conflit au Proche-Orient. Mais les positions des deux chefs d’États ne les empêcheront pas de parler défense et sécurité : « L’axe défense de cette visite est l’un des plus importants. C’est une manière symbolique de relancer le partenariat militaire lancé en 2008. La France à tout intérêt à vendre des équipements militaires au Brésil, ne serait-ce que pour la protection des frontières. La plus grande frontière terrestre française se trouve au Brésil ».

· Accord UE/Mercosur

Sur ce dernier dossier, les avis de Lula et Emmanuel Macron sont plus opposés que jamais. La crise des agriculteurs français étant passée par là, les nouvelles négociations entre l’Union européenne et l’alliance du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) pour un traité de libre-échange semblent désormais dans l’impasse, en bonne partie à cause de la France.

Lula, qui espérait une ratification de l’accord avant la fin d’année 2023, semble d’ailleurs résigner lorsqu’il indique qu’il a « toujours été plus dur de conclure un accord avec la France », compte tenu de son « protectionnisme ». « Ce sont des années de perdues sur un sujet qui n’aboutira très probablement jamais », conclut le chercheur, qui parle même de « gâchis » après plusieurs décennies de négociations.

En face, « Macron ne peut plus faire marche arrière après les événements de février. À court terme, le plus gênant est donc de s’obstiner sur cet accord. D’ailleurs, les Brésiliens font encore semblant d’y croire mais la résignation prédomine », rapporte Jean-Louis Martin. À ce sujet, l’Élysée assure que l’accord ne devrait pas faire l’objet de négociations au Brésil, préférant que la visite se concentre sur ce qui unit les deux pays.

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