Cette vidéo ne montre pas un sous-marin russe tirant un missile à proximité de la Floride

La Russie a envoyé des bâtiments militaires au large de Cuba pour une visite et des exercices début juin 2024. Des internautes ont partagé dans plusieurs langues une vidéo montrant un tir de missile depuis un sous-marin en affirmant qu'elle montrait un bâtiment russe était en train de tirer non loin de la Floride, toute proche de Cuba. C'est faux, la vidéo date de 2018 et a été tournée dans l'océan Arctique.

"Les Russes ont déployé leurs sous-marins nucléaires juste au large de la Floride et s'amusent à faire des exercices. C'est le retour de karma lorsqu'on a plus de 40 laboratoires biologiques financés par les Etats-Unis et des bases militaires de l'Otan près de la frontière russe en Ukraine. On se rapproche de l'expérience de mort imminente nucléaire", affirme sur Facebook une utilisatrice, au dessus d'une vidéo où l'ont voit un missile s'élevant à la verticale au dessus de la mer dans un nuage de fumée, typique d'un tir depuis un sous-marin immergé (archivée ici).

La même publication se retrouve sur d'autres réseaux, avec le même texte en français, comme sur X ou Telegram, et a circulé dans d'autres langues, comme l'anglais, sur Instagram, ou Facebook, en affirmant que quatre missiles ont été tirés à 33 milles nautiques (environ 61 kilomètres) des côtes de Floride.  Ce site en français (Qactus, lié à la mouvance complotiste QAnon), qui reprend aussi la vidéo, parle lui de 66 milles.

<span>Capture d'écran du site Qactus réalisée le 18 juin 2024</span>
Capture d'écran du site Qactus réalisée le 18 juin 2024

Des bâtiments militaires russes ont effectivement croisé non loin de la Floride début juin, à l'occasion de leur venue à Cuba pour des exercices militaires, un évènement couvert par les médias, comme l'AFP (archivé ici). La Russie et l'île communiste des Caraïbes sont des alliés de longue date et cette arrivée de bâtiments militaires russes s'inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre Washington et Moscou, autour de la guerre en Ukraine. Les Etats-Unis sont un soutien très important de Kiev qui tente de résister à la tentative d'invasion russe lancée en février 2022.

Cette visite trouve aussi un écho particulier car elle rappelle la crise des missiles de Cuba en 1962, un épisode de très forte tension pendant la guerre froide entre les deux super puissances, risquant de dégénérer en affrontement nucléaire. Ce fut "le moment le plus dangereux de la Guerre froide", estime le chercheur Bruno Tertrais, spécialiste des questions nucléaires (archivé ici).

Une vidéo de 2018 tournée dans l'Arctique

La vidéo utilisée par les publications que nous examinons, qui alimente les peurs d'une escalade vers un conflit nucléaire entre la Russie et les Etats-Unis, n'a toutefois aucun rapport avec Cuba et les tensions actuelles, puisqu'elle remonte à 2018, bien avant l'invasion russe de l'Ukraine en 2022, et a été ailleurs, dans l'Arctique.

En procédant à une recherche par image inversée, l'AFP a retrouvé la même vidéo, publiée sur YouTube le 23 mai 2018, par le média Voice of America (VOA), créditant le ministre russe de la Défense, montrant des tirs de missiles d'entraînement depuis un sous-marin en Mer blanche, dans l'océan Arctique, en direction de la péninsule russe du Kamchatka (archivée ici).

"Un sous marin à propulsion nucléaire russe teste avec succès le tir de quatre missiles intercontinentaux balistiques mardi, selon la marine" russe, affirme VOA.

Un missile balistique est un missile qui suit une trajectoire parabolique, propulsé uniquement pendant sa phase ascensionnelle, puis qui retombe sur sa cible à très grande vitesse, après avoir circulé parfois hors de l'atmosphère terrestre. Sa portée est variable, mais s'il est intercontinental, elle est supérieure à 5.500 kilomètres, explique le chercher Joseph Henrotin dans cette fiche publiée par l'institut français des relations internationales (Ifri), consacrée aux armes hypersoniques (archivée ici).

"La marine russe a déclaré que le sous-marin, le Iouri Dolgorouki, du nom du seigneur médiéval qui a fondé Moscou, a tiré une salve de missiles Boulava depuis une position immergée dans la Mer Blanche. Les têtes inertes [sans charges nucléaires, NDLR] emportées par les missiles ont atteint leurs cibles de l'autre côté de la Russie, le polygone de tir de Koura, dans la péninsule extrême-orientale du Kamchatka", ajoutait VOA.

<span>Capture de Google Maps. En rouge, la Mer Blanche d'où tirait le sous-marin en 2018, en bleu, la zone cible des missiles</span>
Capture de Google Maps. En rouge, la Mer Blanche d'où tirait le sous-marin en 2018, en bleu, la zone cible des missiles

La vidéo a aussi été publiée en 2018 par d'autres médias, comme l'agence d'Etat russe Tass (archivé ici).

Le sous-marin Dolgorouki est un sous-marin lanceur d'engins (SNLE) qui emporte des missiles balistiques et peut procéder à des frappes nucléaires, tandis que le sous-marin russe envoyé à Cuba en 2024, le Kazan, est d'une catégorie différente, comme l'explique ce document de l'ONG américaine NTI sur les capacités sous-marines russes (archivé ici).

C'est un sous-marin d'attaque à propulsion nucléaire, qui pourrait être équipé de missiles de croisière, permettant de frapper des cibles à terre, mais dont la trajectoire n'est pas balistique. Le gouvernement cubain avait assuré qu' "aucun des navires n'est porteur d'armes nucléaires, de sorte que leur escale dans notre pays ne représente pas une menace pour la région".

Le gouvernement américain avait réagi à l'arrivée de la flottille russe à Cuba en disant que ce n'était "pas une surprise, car les Russes ont déjà fait de telles escales" et ne "constitue pas une menace pour les Etats-Unis" (archivé ici).

Le ministère russe de la Défense, cité par l'agence russe d'Etat Interfax, avait lui fait savoir que la flotte avait réalisé un "exercice sur l'utilisation d'armes de missiles de haute précision", comme l'AFP l'avait relaté (archivé ici).

Les journalistes du bureau de l'AFP à La Havane ont constaté que le Kazan a quitté le port lundi 17 juin 2024 (archivé ici).