Victor Wembanyama peut-il devenir le meilleur contreur de l’histoire de la NBA?
Un mélange d'impuissance et de crainte. Le tout saupoudré d’une bonne dose d’admiration. Le 5 novembre dernier, les joueurs des Toronto Raptors ne sont pas sortis indemnes de leur première rencontre avec Victor Wembanyama. Alors que le Français a fait ses grands débuts en NBA une dizaine de jours plus tôt, ils ont pu découvrir par eux-mêmes l’ampleur du phénomène. Et notamment sa formidable aptitude à terroriser les équipes adverses grâce à ses qualités défensives.
"À chaque fois que vous êtes sous le cercle, il faut faire attention à lui et regarder où il est, car il va tout de même essayer de contrer votre tir. Il faut être attentif à l’endroit où il se trouve", témoigne alors Scottie Barnes, à deux doigts de jeter des regards derrière lui en salle de presse pour être sûr que l’imposante ombre du Français ne l'a pas suivi. "Il est tellement unique, renchérit OG Anunoby. Il est juste vraiment grand, et il couvre beaucoup de terrain."
Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi grand de ma vie
Au milieu d’une saison rookie plus que réussie sur le plan individuel, Wembanyama brille particulièrement dans un domaine: la protection du cercle. Pour l’intérieur des San Antonio Spurs, le mois de février a d'ailleurs pris des allures de véritable "block party", avec une moyenne de 5,3 contres sur les six derniers matchs. Le 13 février dernier, il s’est même offert son record en carrière avec la bagatelle de 10 contres face aux Toronto Raptors (encore eux).
Avec 3,3 blocks par match en moyenne depuis le début de la saison, l’ancien joueur de Boulogne-Levallois est tout simplement le meilleur contreur de toute la NBA, devant Brook Lopez (2,7 contres), Walker Kessler (2,7), Chet Holmgren (2,7), Anthony Davis (2,7) ou encore Rudy Gobert (2,1). Sauf improbable retournement de situation, personne ne devrait le détrôner d’ici la fin de l'exercice 2023-2024, ce qui ferait de lui le premier rookie à terminer meilleur contreur d’une saison depuis Manute Bol en 1986.
À la lecture de ces chiffres, une question peut d’ores et déjà être posée: Wembanyama a-t-il les moyens de devenir le meilleur contreur de toute l’histoire de la NBA? En termes de volume, le plus prolifique de l’histoire est Hakeem Olajuwon (3830 contres en carrière). Derrière la légende des Houston Rockets, Dikembe Mutombo (3289) et Kareem Abdul-Jabbar (3189) complètent le podium. Viennent ensuite Mark Eaton (3064), Tim Duncan (3020), David Robinson (2954) ou encore Patrick Ewing (2894).
Déjà sur le rythme des meilleurs
En restant sur ce rythme de 3,3 contres par match, il faudrait un peu plus de 14 saisons complètes à Wembanyama pour dépasser Olajuwon. Largement dans les cordes du Français. "Le seul suspense est de savoir s’il va enchaîner les saisons", tranche Fred Weis, ancien international français et consultant basket pour RMC Sport.
Il n’y a pas débat: intrinsèquement, il est un meilleur contreur que tous les mecs du top 10
Alors que sa capacité à enchaîner les matchs était particulièrement scrutée cette saison, Wembanyama a jusqu’ici disputé 53 des 59 matchs joués par les Spurs cette saison.
Pour Fred Weis, la polyvalence du joueur des Spurs, doté d’une mobilité jamais-vue pour un joueur de cette taille, fait la différence. "À l’intérieur, il va contrer. En aide, il va contrer. En face à face, il va contrer. Et à trois points? Il va contrer aussi. Qui contrait des mecs à trois points avant? Contrer un mec à trois points, normalement ça n’arrive pas. Victor, il le fait. Il a aussi cette capacité à se déplacer latéralement assez vite pour tenir les petits. Le seul qui avait tout comme lui, c’est Hakeem Olajuwon. Sauf que lui, il ne faisait pas 2,24m (Olajuwon mesure 2,13m, NDLR). Personne ne peut tenir la comparaison avec Victor sur le combo taille, vitesse, puissance, déplacements latéraux."
S'il continue sur ces standards, même sans progresser, il sera le meilleur contreur de l’histoire
Parmi les 10 meilleurs contreurs de l’histoire, un seul affiche une moyenne de contres par saison supérieure à celle de Victor Wembanyama: Mark Eaton (3,5 contres par saison sur l’ensemble de sa carrière). À titre de comparaison, Olajuwon a tourné à 3,1 contres par match en moyenne sur sa carrière. S’il a fait des pointes à 4,6 contres de moyenne par saison (voir plus bas), l’ancien pivot des Rockets a faibli sur la fin de sa carrière (1,8 contre en moyenne sur ses 6 dernières saisons) et a démarré un peu plus doucement que "Wemby" en étant à 2,7 contres lors de sa saison rookie en 1984-1985.
Le Français est donc parti sur un rythme extrêmement élevé. Dans toute l’histoire, seuls cinq joueurs affichent une meilleure moyenne de contres sur leur saison rookie: Mark Eaton (3,4 contres), Alonzo Mourning (3,5 contres), Shaquille O’Neal (3,5 contres), David Robinson (3,9 contres) et Manute Bol (5 contres). Quatre d’entre eux (Mourning, Eaton, O’Neal, Robinson) ont terminé dans les 11 meilleurs contreurs de l’histoire. Le cinquième (Manute Bol) a vu sa carrière écourtée par les blessures.
Une saison à plus de cinq contres par match?
Wembanyama est donc clairement parti sur des bases historiques. S’il faudra compter sur une régularité à toute épreuve pour aller chercher Olajuwon, le N°1 de la dernière draft peut d’ores et déjà se fixer un objectif à court ou moyen terme: le record de contres sur une seule et même saison. Pour l’instant, la plus grande saison de toute l’histoire dans cet exercice est la propriété de Marc Eaton, qui a tourné à 5,6 contres par match lors de la saison 1984-1985 avec le Utah Jazz, soit la bagatelle de 456 contres en 82 matchs. Une marque qui semblait jusqu'ici inatteignable tant la nature du jeu NBA a changé depuis les années 1980, une décennie marquée par le jeu intérieur, aux antipodes de la NBA actuelle, où le shoot extérieur est roi.
Si les références old school paraissent pour l’instant hors de portée, avec toute la prudence qui s’impose tant il a pris l’habitude de repousser les limites, Wembanyama est déjà dans les standards de ce qui se fait de mieux sur une saison au XXIe siècle. Le Tricolore est en effet dans le top 10 des meilleurs contreurs sur 82 matchs depuis 2000, pas loin de la marque référence de Theo Ratliff (3,7 contres sur la saison 2000-2001).
"Son temps de jeu est limité, il est souvent obligé de faire attention à ses fautes, explique Fred Weis. Le seul danger, c’est qu’un jour il devienne tellement important en attaque qu’on se dise 'on ne va pas prendre de risque'.
3,3 contres, ce n’est que le début
"Le record depuis 2000? Sans aucun problème, poursuit notre consultant. Atteindre la saison de Mark Eaton, ça me paraît plus compliqué. Mais aller chercher les 4,6 contres de moyenne d'Olajuwon, c'est possible. Cinq contres, ça peut même devenir un standard. Ça parait fou, mais ça peut arriver." Surtout quand un phénomène de cette ampleur a pris la fâcheuse habitude de banaliser l’extraordinaire.