Basket: Wembanyama, un "faux grand" ? Pourquoi le phénomène français est un cas à part chez les joueurs de très grande taille

Basket: Wembanyama, un "faux grand" ? Pourquoi le phénomène français est un cas à part chez les joueurs de très grande taille

L’anecdote est rapportée par Sports Illustrated. En février dernier, dans son numéro consacré à la nouvelle coqueluche du basket mondial, le prestigieux magazine américain est revenu sur une drôle de mésaventure vécue par Victor Wembanyama lors d’un voyage aux Etats-Unis l’été dernier. De passage à San Diego, le phénomène français, 2,22m sous la toise, s’est rendu compte que sa valise avait été égarée à l’aéroport de Paris. Dans ce cas précis, le commun des mortels - bien que forcément très embêté - peut aisément trouver un magasin pour acheter le nécessaire. Mais comment faire quand la plupart des boutiques… ne proposent pas de vêtements à votre taille ?

A l’époque, Rudy Gobert était venu à la rescousse du futur N°1 de la draft NBA. Ils sont peu à pouvoir prêter des vêtements à Wembanyama, mais, avec ses 2,16m, l’actuel pivot des Minnesota Timberwolves fait partie de ceux-là. Présent à Los Angeles dans sa résidence secondaire, à environ deux heures de route de San Diego, le pivot des Bleus a rempli une valise de jeans, de chemises et de chaussures qu’il a immédiatement fait parvenir en Uber à Wembanyama.

Une extrême attention portée aux joueurs de très grande taille

Faire plus de 2,20m n’est pas forcément un cadeau dans sa vie de tous les jours. Pas plus que dans sa vie de basketteur. Être aussi grand est bien sûr un avantage dans un sport où la taille est un élément fondamental et aide à dominer. Mais, dans la pratique du haut niveau, ce don de Dame nature a également un prix. "Ce sont des joueurs qui ont de grands segments, donc les articulations ont plus de pression et de compression. Il faut faire extrêmement attention, détaille Pierre-Yves Couve, ancien kiné de Wembanyama en équipe de France U16. Quand vous avez de grands segments comme ça, c’est le levier qui compte, le mouvement de la force. Sans vous abreuver de termes techniques, plus vous avez un levier qui est grand, plus les pressions sont fortes sur les articulations. Quand vous jouez avec des grands comme ça, vous devez faire extrêmement attention, travailler en étroite collaboration avec le staff technique. On les soulage, on les fait jouer 20 minutes. Parfois, je me permettais de dire au staff technique: 'Il faut le sortir, il peut jouer 20 minutes mais pas plus'. La préparation doit être très minutieuse."

Plus que n’importe quel autre joueur, les basketteurs de très grande taille - 2,15m et plus - doivent apporter un soin tout particulier à leurs corps. "A ce stade de ma carrière, le préparateur physique va juste faire un peu plus attention en termes de récupération, il va plus me faire faire du vélo plutôt que du tapis de course par rapport à d’autres joueurs pour ne pas mettre trop de contraintes sur les articulations, illustre Moustapha Fall, 2,18m. Quand j’étais jeune, il y avait plus de différences. J’avais beaucoup de renforcement, que ce soit au niveau des genoux, au niveau des chevilles ou au niveau du corps au général pour pouvoir mieux soutenir le dos", indique le pivot des Bleus et de l’Olympiacos. "Quand t’es plus grand, tu fatigues plus vite. Il faut que tu t’étires, que tu te reposes. Il faut prendre plus de temps, tout simplement", abonde Fred Weis (2,18m).

1,70m à 8 ans, 1,91m à 11 ans… Une croissance linéaire

La croissance de ces joueurs hors norme peut également être un réel frein dans leur avènement au plus haut niveau. Très souvent, un basketteur qui culmine à plus de 2,15m a grandi d’un seul coup au moment de son adolescence. Avec de lourdes conséquences sur l’apprentissage du basket. Avant de devenir un joueur dominant en NBA, Rudy Gobert a par exemple payé les pots cassés de cette croissance brutale. "De mémoire, Wembanyama devait être à 2,12m ou 2,13m à 15 ans, se souvient Bernard Faure, qui a eu le joueur de Boulogne-Levallois sous ses ordres en équipe de France U16. Au même âge, Rudy Gobert, c’était 1,92m. Gobert était un joueur extérieur à l’époque, il n’était pas prêt du tout pour jouer. Pour lui, il n’y a pas eu d’entrée possible au Pôle France. Il est allé à Cholet qui l’a gardé quasiment deux ans sur du travail individuel, sur du jeu sans opposition et sans le faire participer à aucun championnat."

"Il a toujours pris conscience de son corps. Il a grandi petit à petit. Plus que les autres… mais petit à petit. On a l'habitude de dire que les grands arrivent à maturité plus tard, car ils doivent justement s’habituer et s’adapter à leur physique. Mais Victor, il n'a pas ce problème."
Fred Weis

Wembanyama, lui, n’a pas eu besoin d’arrêter la compétition à cause d’une croissance brutale. Bien au contraire. 1,70m à 8 ans, 1,91m à 11 ans… Le très probable futur joueur des San Antonio Spurs a grandi de manière tout à fait linéaire. "C’est pour ça qu’il est si fort: c’est parce qu’il a toujours été grand en fait, lance Fred Weis. Il a toujours pris conscience de son corps. Il a grandi petit à petit. Plus que les autres…mais petit à petit. On a l'habitude de dire que les grands arrivent à maturité plus tard, car ils doivent justement s’habituer et s’adapter à leur physique. Mais Victor, il n'a pas ce problème. J’ai l’impression qu’il est né comme ça."

L’ancien joueur de Nanterre a donc eu le temps d’apprivoiser ce corps si spécial. "Bouger un corps comme le mien, en fait, c’est très dur, confiait d’ailleurs le principal intéressé dans les colonnes du Parisien en décembre dernier. Il faut de la volonté et la mienne a toujours été de jouer comme je l’ai toujours fait, alors que c’est beaucoup plus compliqué que pour quelqu’un qui mesure 1,80 m." Mais il a clairement relevé le challenge. Car ce qui frappe le plus en le regardant jouer - et ce qui fait de lui le prospect le plus attendu en NBA depuis LeBron James - est justement sa formidable mobilité.

"C'est un faux grand"

"Victor, c’est une liane. En jeunes, je ne vais pas vous mentir: parfois, on avait la trouille. On se disait qu’il allait se faire démonter. Mais en fait non. C’est une liane, il est souple. C’est pour ça qu’il est inclassable, lance Pierre-Yves Couve, son ancien kiné. Un intérieur de grande taille, qui fait 2,15m, à l’âge de 15 ou 16 ans, on sait qu’il est un peu maladroit, pas bien dans ses structures et qu’il va éclore et prendre confiance en lui vers l’âge de 25 ans. Victor, lui, explose tout de suite car ça n’a rien à voir. Il est grand… mais ce n’est pas un grand. Il n’a pas eu de problèmes de croissances. Alors il a des hyperpressions dans les genoux, mais il n’est pas lourd. Il n’a pas de raideur, il est extrêmement souple. C’est un faux grand !"

Tout le paradoxe est là. Si ses 2,22m font de lui un joueur hors norme et un athlète déjà bien identifié par le grand public, forcément marqué par cette taille de géant, Wembanyama est un basketteur (presque) tout à fait normal aux yeux d’un staff technique et médical. "Quand on parle de niveau aérobie, on sait que le niveau des intérieurs est moindre que celui des joueurs extérieurs, détaille Bernard Faure. On a l’habitude d’individualiser tout ce travail. Lui, il n’est pas classé hors catégorie par rapport à ça. Il est évalué de la même manière que n’importe quel joueur, un joueur d’1,95m ou 2 mètres."

À première vue, la silhouette de Wembanyama, mince et élancée, pourrait le désavantager au moment de se frotter à des intérieurs un peu moins grands mais plus costauds. "Quand tu le vois, t’as l’impression qu’il est freluquet. Mais je ne pense pas qu’il soit si freluquet que ça en fait, balaye Fred Weis. ll n’a pas le morphotype d’un mec balèze en apparence, mais je pense qu’il est vraiment gainé. Un grand, quand tu le pousses au niveau du bassin, ça bouge normalement. Lui, ça ne bouge pas beaucoup ! Je pense que le maître-mot pour un grand c’est le gainage", poursuit l’ancien pivot des Bleus. "D’un point de vue musculaire, vous ne ferez jamais de Victor un Musclor de la NBA. Ça ne sera jamais un golgoth comme Gobert qui fait régner la terreur dans la raquette", souligne de son côté Pierre-Yves Couve.

Ce corps si spécial, combinaison inédite de la mobilité d’un joueur d’1,95m dans un corps de 2,22m, est précisément ce qui affole les Etats-Unis et le monde du basket. "ll est beaucoup plus fluide que tous les grands que j’ai pu voir dans ma carrière. Il a quasiment tous les atouts d’un ailier alors qu’il fait la taille d’un big man, résume Moustapha Fall. Tout ce qu’il fait est fluide, ça ne paraît pas comme les autres grands, un peu pataud, un peu robotisé. Quand il fait ses gestes ou ses mouvements, personne n’est choqué, car ça paraît normal en fait." D’ici peu, ça sera au tour de la NBA de s’y habituer.

Article original publié sur RMC Sport