Aux Victoires de la musique 2024, la revanche du rap et du R'n'B

Les Victoires de la musique s'ouvrent-elles enfin aux musiques urbaines? La question se pose au lendemain d'une édition 2024 où le rap et le R'n'B ont particulièrement brillé, après des années de polémique autour de leur sous-représentation dans cette grand-messe de la chanson française.

Les nominations révélées en janvier laissaient présager un tournant avec Shay, Aya Nakamura, Gazo, Damso, Meryl ou encore Josman nommés dans certaines des catégories les plus prestigieuses. Et le palmarès l'a confirmé: si la chanteuse Zaho de Sagazan s'est imposée comme la grande gagnante de la soirée avec quatre trophées, la plupart des artistes rap/R'n'B nommés ont été récompensés face à des genres plus consensuels, tels que la pop ou la chanson française.

Le rap et l'afrobeats dans les catégories maîtresses

Notamment Aya Nakamura, star de la chanson mêlant R'n'B et afrobeats, sacrée artiste féminine de l'année. Un trophée qui vient réparer un oubli fâcheux: chanteuse francophone la plus écoutée au monde, qui s'affiche sur les écrans XXL de Times Square à New York, elle n'avait jusqu'à présent remporté que la Victoire annexe de l'artiste la plus streamée.

Il en va de même pour Gazo, sacré artiste masculin (ex aequo avec Vianney): si le rappeur grand public Orelsan a déjà récolté 12 Victoires dans sa carrière, son confrère récompensé ce soir est emblématique des artistes surtout prisés des jeunes audiences.

Une reconnaissance attendue depuis longtemps par le monde du rap, dont les égéries multiplient depuis des années les critiques à l'encontre de Victoires de la musique qui refusent de leur ouvrir la porte, malgré leur succès phénoménal. Le tout sur fond d'accusations de corruption, le fonctionnement de la grosse machine des Victoires ayant plusieurs fois posé question.

"On en est exclus"

Une timide tentative avait eu lieu avec le prix de l'album le plus streamé, décerné entre 2021 et 2023. Un trophée subalterne, lié à une donnée statistique et non à un choix fort d'un jury, qui faisait office de maigre lot de consolation. Le rappeur SCH, qui l'avait reçu en 2022, en avait profité pour mettre un coup de pied dans la fourmilière en saluant ses confrères absents:

"Je vous l’avoue, je suis un peu gêné ce soir de tenir cette Victoire-là dans mes mains, sans les voir ici assis en face de moi", avait-il déclaré au micro.

"Ces grands messieurs qui auraient mérité tout autant que les artistes ici présents de célébrer leurs victoires de la musique", avait-il conclu.

Quelques jours plus tard, c'était Ninho qui en avait rajouté une couche en se confiant au Parisien: "J’ai vendu 1,6 million d’albums, c’est à quel moment qu’on gagne une Victoire de la musique?", avait ironisé la superstar du rap.

"Ce sont les Victoires de la musique qui nous ont virés", avait-il accusé. "On attend des coups de fil, mais ils ne viennent jamais (...) Ce n’est pas notre monde parce qu’on en est exclus. Je ne sais pas quel document il faut donner pour être accepté."

SDM avait frappé encore plus fort: "Il faut arrêter d'y aller et boycotter cette cérémonie à la con!", s'était-il agacé la même année sur les réseaux sociaux. "On n'a pas notre place là-bas. Il faut tout couper avec eux c'est bon. Excusez-moi, mais je suis fâché en vrai. C'est super grave", avait-il ajouté.

Lui aussi figurait parmi les rappeurs nommés au Victoires 2024, dans la catégorie Chanson originale. Mais son refus de se produire en live lors de la cérémonie lui a coûté sa qualification.

"Entre-soi", "manque de diversité"

La création l'an dernier des Flammes, cérémonie dédiée au rap et ses courants, n'est sans doute pas étrangère à ce récent sursaut des Victoires de la musique. "Cela a fait bouger un peu l'industrie et, cette année, les nommés des Victoires sont bien plus représentatifs de ce qui marche en France", estimait il y a quelques jours Nicolas du Roy, directeur éditorial de Spotify France, auprès de l'AFP.

L'impulsion de Vincent Frèrebeau, nouveau président des Victoires (revenu à un poste tournant déjà occupé en 2005-06 et 2012-13), y est sans doute aussi pour beaucoup. En janvier dernier, lors de la révélation des nominations, il avait osé prononcer les mots "entre-soi", "petits arrangements entre amis" et "manque de diversité":

"Depuis quelques éditions, on commençait à entendre des choses pas agréables sur les Victoires, à juste titre. Moi-même je ressentais des choses qui n'allaient pas", avait-il confié à l'AFP.

Le responsable, par ailleurs à la tête du label indépendant tôt Ou tard, a donc tenté d'initier un changement, avec un nouveau processus de désignation qui fait moins la part belle aux maisons de disques.

Article original publié sur BFMTV.com